Une fois de plus, je m'étais laissé embarquer par l'un des événements de Sayah. Sur le coup, je ne savais pas vraiment ce qui m'avait pris, la plupart du temps, y'a toujours une mauvaise surprise à la clé, mais cette fois, je m'étais dit que ça pourrait peut être être sympa. L'idée de découvrir ce que j'aurais pu devenir selon d'autres circonstances m'intriguait, et c'est pourquoi j'avais finalement fait le premier pas dans cette immense salle où se dressaient trois étranges portes.
Prenant une profonde inspiration, je me tournais vers la première, celle à ma gauche, ignorant encore ce que j'allais bien pouvoir y trouver. Avançant d'un pas assuré, je sentais alors une sorte de brume m'entourer et m'endormir l'espace d'une infime seconde, ou peut être l'éternité allez savoir avec la magie... mais lorsque j'ouvrais les yeux, je n'étais plus au même endroit.
Regardant à gauche, puis à droite, je me trouvais dans une étrange maison entièrement en bois, en m'approchant des murs, je pouvais voir que c'était le genre de maison que l'on construit soi-même, rien à voir avec les Ghettos, les troncs ont été reliés entre eux par de la corde solide, le sol lui-même n'est pas fait de planches mais de rondins, preuve que je ne suis pas dans un village suffisamment évolué pour avoir ne serait-ce que des scies?
Je regardais alors mes mains et je pouvais voir que j'étais habillé... comme un sauvage. Aucun tatouage sur ma peau, mes beaucoup de cicatrices. Mes bottes semblent être en peau de chamois ou de chèvre, mon pantalon aussi est fait en peau de bête et je ne porte pas de haut. En regardant autour de moi, je peux voir les «meubles» du coin, il y a un chaudron pendu dans ce qui doit servir de cheminée, une couche avec des boules de coton et des fibres de végétations, bref, rien qui ne laissait entendre que l'industrie était passée par là.
«Vrass? Tu m'envoies la corde?» - c'est quoi cette voix? Je me retourne pour sortir de la maison et je réalise qu'elle est perchée dans un arbre? En bas, un jeune homme aux cheveux blonds... avec des cornes? Un winghox? Sur le coup, je ne comprends pas, mais il me connait et me demande de lancer une corde, et je vois une échelle de cordes à côté de moi si bien que je la lui envoie. Dès que je vois son visage, les souvenirs semblent affluer peu à peu dans mon esprit, et pendant qu'il est en train de monter, je me sens mal, pris de vertige et je m'évanouis.
Je suis adolescent.. à peine treize ou quatorze ans. Mon père est encore une fois en train d'essayer de m'entraîner à l'épée avec cet acharnement qui lui était propre, lorsque les cornes retentissent! Une attaque? Tenant ma petite épée dans la main, mon père m'ordonne de rentrer à la maison pour protéger ma mère et ma sœur, d'un hochement de tête, j'approuve et je rentre alors qu'il met son équipement et fonce vers les navires pour combattre. Des gens de Païlandune, l'armée du Roi... Dans un premier temps, il semblerait qu'ils ne soient pas en mesure de traverser les imposants remparts, mais bientôt, il commence à y avoir des soldats qui courent dans le village, évidemment, nous sommes des winghox, personne ne panique. Les hommes hurlent des ordres, les femmes obéissent. Je suis désormais le mâle dominant de la maison si bien que j'ordonne à ma mère et ma sœur de descendre à la cave, mais mon aînée refuse, ayant toujours eu un caractère fort et n'ayant pas vraiment de respect pour moi, jugeant que je ne suis pas assez fort pour reprendre le flambeau de père, elle me prend l'épée des mains en me donnant un coup d'épaule pour filer dehors et combattre!
Pestant, je la laisse partir pour prendre au moins soin de ma mère, elle m'obéit et descend à la cave après que j'ai barricadé la porte.
Plusieurs heures plus tard, j'entends des cris de joie mêlés aux cris de rage! Les soldats s'en vont. Je fais signe à ma mère de sortir, et déjà les soldats s'organisent pour l'après-guerre. Les prisonniers sont conduits aux cachots où ils seront probablement torturés pour savoir comment ils ont fait pour parvenir jusqu'ici, les femmes commencent à réunir les blessés pour les faire soigner, elles rangent les débris tout en cherchant époux et fils. Pour ma part, j'ordonne à ma mère de faire de même avant de partir à la recherche de mon père. Certains me regardent bizarrement, je ne porte pas les traces de combat et ils pensent donc que je me suis caché pendant la bataille, mais je ne m'en préoccupe pas.
Je ne retrouve pas mon père. Il me faudra plusieurs heures avant d'apprendre qu'il a été tué, et plusieurs jours pour découvrir qu'un des navires ayant fuit a embarqué des femmes à bord, et que ma sœur en a fait partie.
Rapidement, plusieurs expéditions sont organisées pour rattraper les navires voleurs, et même si ma volonté n'y est pas, en l'absence de mon père, je n'ai pas le choix, et j'y vais. C'est au cours de cette expédition que je perdrai un œil, le bleu. Malheureusement, ma sœur ne supportera pas que je sois celui qui l'ait sauvé, et à notre retour, victorieux, au village, elle se jette du haut de la falaise, me maudissant dans son dernier cri. J'avais toujours su au fond de moi qu'elle ne m'avait jamais aimé, bien avant cette histoire avec son fiancé, à cette vision, j'en avais eu confirmation... au final, ça ne changeait pas grand chose.
La seule différence fut que ma mère étant tout de même moins chiante, j'avais pu grandir encore quelques années tranquillement, ne faisant finalement que m'assurer que ma mère ne manquait de rien, comme tout fils se devait de le faire. Cependant, ma différence était bien présente, et je remarquais un jeune homme winghox profondément rejeté par les autres. Blond, des cheveux bouclés et des yeux infiniment bleus... il ressemble un peu à Benedikt en fait bien que je ne peux le réaliser, ne l'ayant jamais connu dans cette vie.
Nous sommes voisins, il est différent, mais ça se voit bien plus que moi. Son père le traite comme une fille, lui fait faire les basses besognes, lessives, ménage, il le rabaisse sans cesse, mais il ne dit rien, en fait, j'ai presque l'impression qu'il ne sait pas parler. Sauf qu'un jour, je vais quand même le voir, et à moi en revanche, il me parle, il me sourit, et je vois bien que je ne lui suis pas indifférent.
Dans un premier temps, on profite du fait que ma mère soit absente pour aller au lavoir ou simplement se rendre à des réunions avec d'autres femmes du village pour se voir en cachette, cependant, on sait tous deux que si on nous découvre, on sera exécutés, si bien qu'un jour, alors qu'on a eu à peine dix-huit ans, on est parti.
On a filé plein Ouest, contournant par le Sud le village des Tenaag'i et le lac bleu, traversant les fleuves et rivières sur notre route pour se réfugier dans la forêt, près du Mana.
Lorsque j'ouvris les yeux - ou plutôt mon œil - je pouvais voir ce visage doux aux boucles blondes, il semblait inquiet jusqu'à ce qu'il affiche tout de même un doux sourire en me voyant reprendre mes esprits
«Ouf.. tu m'as fait peur! Qu'est-ce qui t'est arrivé? Tu t'es levé trop vite?» - je me redressais doucement avant de ramener une main sur mon front, je me sentais un peu mieux
«Oui, ça doit être ça...» - je levais alors les yeux vers lui, Merik... c'est son nom - «ça va toi?»
- «Ouaip! Tu vas être content, j'ai eu un sanglier! On va avoir de quoi manger pendant un moment!» - on vit de la chasse et de la pêche, Merik s'est montré quelques talents pour reconnaître comme personne les racines et champignons comestibles, et en général, c'est moi qui m'occupe de la chasse. On utilise les peaux pour faire des vêtements, les os, défenses et cornes pour faire des outils ou des ustensiles de cuisine. Le chaudron, on l'avait embarqué au cours de notre fuite, ainsi que les quelques bols et assiettes encore entières...
C'est donc ça ma vie? Paumé au milieu de la forêt avec un homme? Pourtant... j'ai pas l'impression d'être malheureux au fond. Je regarde autour de moi avant de sortir à nouveau, et j'écarquille les yeux en voyant le tronc de l'arbre où nous avons construit notre maison. Il est entièrement recouvert de gravures!
«Tu as bien avancé... d'ici la fin de l'année, je crois que tu auras réussi à graver jusqu'en haut!» - dit Merik dans mon dos. Ainsi donc, je continue de dessiner? Je caresse doucement la texture du bois, ne reconnaissant pas cette espèce d'arbre, mais je reconnais quand même mon style. Dans cette vie, je ne suis pas héros de Nideyle, je ne suis pas non plus un parias. Du moins, je n'ai plus de famille. Ma mère a du se suicider après mon départ, toute ma famille est morte. Si je revenais à Windrakk, je serais probablement mal vu, mais pas forcément au point d'être exécuté. Si je reviens seul, je pourrais simplement dire être parti pour découvrir le monde et tuer ceux qui avaient attaqué le village, ceux qui avaient réussi à s'échapper. Certes, je n'aurais pas leur tête, mais la route est longue depuis Ephtéria...
Je soupirais en caressant doucement le bois, cette vie n'a pas l'air si désagréable tout de même... mais est-ce que ça pourrait durer?
Il y eut de nouveau cette étrange brume blanche, et je me retrouver dans cette salle circulaire. Il me restait encore deux portes à franchir, et après avoir vu cette destinée, j'étais prêt à voir ce que le reste me prévoyait.