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Alors qu'il faisait grossièrement semblant de dormir, Haine se risqua à entrouvrir une paupière au hasard, scrutant la recrue tout droit sortie d'un jeu vidéo avec un mélange de lassitude et de satisfaction. La bonne nouvelle, c'était que Yoji semblait avoir compris l'essentiel du lieutenant. Autrement dit il fermait son clapet et ne gonflait pas notre Mechanima de bavardages insupportables. Genre comme le groupe juste à côté, dont l'un énumérait le nombre de gourdes qu'il s'était faites, faisant rire ses comparses lorsqu'ils reconnaissaient un prénom sur lequel eux aussi, étaient passés. Haine se demanda même si la minette en question n'était pas quelque part dans les Ghettos à siroter un verre avec des copines, se vantant du nombre d'abrutis de l'Escadron sur lesquels elle avait mis le grappin. Bref, autant dire que si faire preuve de sociabilité consistait à être con comme ses pieds, N. préférait s'abstenir. Les autres faisaient ça très bien sans lui. En fait, le lieutenant les aurait volontiers balancés par la porte ouverte les uns après les autres... mais ça ne se faisait pas, à tous les coups.
Et puis les deux paupières s'ouvrirent en même temps lorsque les pilotes annoncèrent le Liek. C'était le moment de se jeter dans le vide comme un gros inconscient, et de faire confiance à un drap de bain plié par une puce électronique qui n'avait aucune notion du travail bien fait... Fantastique ! Les hommes et leurs idées absurdes, vraiment. Toujours est-il que Haine s'arracha de son siège pour aller s'appuyer devant la gueule béante donnant sur le vide. Un peu plus bas, Yoji filait comme un poids mort vers le sol. Quel taré ! Et lui ?
« Vous avez peur du vide N. ? »
Peur du vide, non. Impressionné certes. Il avait beau y être habitué, ça lui foutait toujours autant les boules de se dire que sa vie ne tiendrait qu'à trois fils et une voilure. Enfin bon, c'était toujours mieux qu'un Hieras psychopathe. Alors comme un taré lui aussi, et pour faire la paire avec Yoji, le lieutenant sauta. En fait, il se laissa plutôt tomber comme un gros sac. Les premiers mètres – mais lui demandez pas de dire combien – il encaissa la puissance avec laquelle son estomac lui remonta dans la gorge, s'efforçant d'expulser l'air hors de ses poumons comme on lui avait appris. Fallait pas croire, des fois il retenait des trucs. Ensuite il s'habitua à la chute et savoura bêtement le massage de l'air sur sa sale gueule mal rasée. Moins cher qu'une Thalasso, moins de risque de rouiller aussi. Par contre c'était pas dit qu'il arrive au bout en un seul morceau. Le vent sifflait à ses oreilles, et il faillit percuter un piaf qui lui grillait une priorité à droite.
En bas, le Liek vide formait un sillon. On aurait dit la mue décrépie d'un serpent. Par acquis de conscience – et parce qu'il s'emmerdait un peu mine de rien – N. passa en mode thermique. Il repéra une petite tâche orange à l'est, sans-doute une habitation. Quelques points rouges regroupés au même endroit, donc un troupeau de bestioles suffisamment balèzes pour être perçues malgré la distance. Rien d'autre. L'infra-rouge ne lui servirait à rien. Tiens bizarre, une tâche rouge se rapprochait là, non ?
« Merde !!! »
Haine repassa en vision standard un peu tard pour voir Yoji un peu trop près. Forcément à force de compter les moutons en vision thermique il avait pas fait gaffe à l'altitude, et pour couronner le tout son poids le larguait plus vite que l'autre gringalet. Plongeant sur quelques mètres les bras le long du corps, le lieutenant s'éloigna avant d'ouvrir à son tour son parachute. Quelque part au fond du fin fond de sa cervelle bien cachée, il pria pour que les cordes tiennent et que le bidule se foute pas en torche... et il ne se mit pas en torche. La chance, hein ?
Après un atterrissage brutal ponctué d'un juron – c'était pas le tout mais ses rotules étaient pas en métal, elles – Haine se débarrassa des lanières dans lesquelles il commençait déjà en s'empêtrer en injuriant Nideyle entière. Vérifiant une dernière fois que plus rien n'entravait ses mouvement, il actionna le repli automatique du parachute qui se rétracta comme la grosse langue d'un caméléon. « SLURP », direct dans le sac, plié et prêt à un nouveau saut d'inconscient. N. rejoignit Yoji – comme quoi il était pas si asocial que ça quand il voulait – mais son regard s'attarda cinq minutes sur ses Rangers qui foulaient une terre quasi lunaire.
« Sol desséché en plein hiver, c'spécial. Lâcha-t-il d'un ton sceptique. Puis il se redressa, reprenant ses habitudes de supérieur en mission. Baraque à l'est, on dit bonjour pour êt' polis pi on s'met au turbin. »
Bon en fait ce qui l'intéressait surtout c'était de poser des questions aux locaux. Genre « vous auriez pas vu une Infinitude se siffler le Liek avec une paille par hasard ? ». Un truc comme ça...