Assise dans son coin, Ciara frissonna lorsque Thanel se glissa à son tour sous la tente, laissant entrer un courant d'air glacial. Elle avait posé tout près d'elle ses chaussures et ses chaussettes, et était très occupée à se réchauffer les doigts de pieds devant le feu. Elle n'avait pas osé l'alimenter de trop compte tenu du fait qu'il était allumé sous une toile. D'ici que tout ne parte en fumée... mieux valait ne pas tenter Amroth. Elle réajusta timidement sa robe sur ses jambes. L'éducation de son dispensaire lui avait appris à ne pas exhiber son corps, et sa pudeur n'en était que plus grande, d'où sans aucun doute sa réaction un peu violente devant la nudité de Thanel. Elle lui jeta un coup d'œil en biais. Il était tellement différent du lion dont il prenait l'apparence. Seuls ses yeux arboraient la même teinte lorsqu'il passait de l'un à l'autre. Et toute à sa contemplation muette, elle sursauta lorsqu'il prit la parole pour lui demander son nom.
« Euh... Ciara. Je m'appelle Ciara. » Répondit-elle, prise au dépourvu.
Après coup, elle se dit qu'elle ne risquait rien de grave à dévoiler son prénom. À force de travailler pour les Rebelles, elle commençait à se méfier de tout et de tous. Un jour, elle finirait paranoïaque. Elle ouvrit la bouche pour lui répondre lorsqu'il lui proposa d'aller lui chercher à manger mais n'eut guère l'occasion de prononcer le moindre mot, car il s'était déjà faufilé dehors. Elle retint son souffle, angoissé de se retrouver seule tout à coup. Et si le propriétaire de la tente revenait ? Et s'il découvrait qu'il lui manquait des vêtements et que Ciara s'était approprié son couteau ? Et si quelqu'un d'autre venait, attiré par le feu ? Pire encore, si une créature affamée...
Elle sursauta de nouveau lorsque Thanel revint avec le fruit de sa chasse.
Deux cailles. Comment avait-il fait ? Sans-doute s'était-il changé en lion pour chasser. Oui mais il portait toujours ses vêtements. Les avait-il enlevés avant sa transformation et remis ensuite ? Elle le remercia intérieurement pour cette délicate attention, et oralement pour le repas. Aussitôt qu'elle eut l'oiseau entre les mains, elle le pluma sans manifester ni compassion ni dégoût. Quelques minutes plus tard, entourée et recouverte de plumes, elle embrocha l'animal et le suspendit au-dessus du feu. Elle n'avait pas prononcé un seul mot à part le « merci » d'usage. Pour combler le silence accablant, elle épousseta sa robe et envoya les plumes au feu, soufflant sur celles qui restaient accrochées au tissu. Puis au bout d'un moment, elle leva les yeux vers l'homme-lion et prit une profonde inspiration. Après tout, s'il avait voulu la manger, ce serait déjà fait depuis longtemps.
« Oui, j'ai encore un peu mal. Je préfère rester ici pour la nuit. Les routes ne sont déjà pas très sûres la journée, la nuit, c'est pire. Au moins ici nous sommes tranquilles. »Elle regarda inutilement autour d'elle. La tente était si petite qu'on en avait vite fait le tour. Il suffisait de tourner la tête, ou simplement les yeux. Elle était partagée entre être rassurée par la présence d'un fauve qui semblait amical et agacé par ses propos qu'elle jugeait stupides. Comment pouvait-il penser une seule seconde qu'il serait plus prudent de s'éloigner alors qu'ils avait le gîte – certes sommaire mais protecteur tout de même – et la chaleur pour la nuit. Et dans l'état dans lequel se trouvait sa cheville, où pourrait-elle bien boiter ? Non, vraiment, prendre le risque d'aggraver ses blessures pour aller se perdre au milieu de nulle part par ce froid, ça n'avait rien de «
plus prudent ».
« J'espère que le propriétaire de cette tente ne nous en voudra pas trop du dérangement... »Nouvelle pause. Elle regarda Thanel, une lueur de méfiance dans le regard. De son avis, le Morphe était bien trop gentil pour être honnête. Aussi conserva-t-elle le silence tout le temps que dura la cuisson de sa caille, et tout le temps que dura le repas. Oui, elle finirait paranoïaque. Lorsqu'elle fut rassasiée, elle s'allongea sur la seule couche présente et serra le vair autour de ses épaules, savourant la chaleur dégagé par le feu et feignant de s'assoupir. Le lion ne tarda pas à s'allonger également et à fermer les yeux. Ciara s'obligea à compter lentement jusqu'à cent avant de se redresser. Les anthracites de ses yeux fixèrent le jeune homme avec attention. Manifestement, Thanel s'était endormit. Alors, silencieuse comme un chat, elle se leva et usa de mille précautions pour sortir sans faire le moindre bruit, retenant son souffle à chaque mouvement. Lorsqu'elle fut au dehors, l'air glacial la fit frissonner. Elle repoussa doucement le tissu de la tente et s'éloigna en boitant, regagnant la grande route. Là, elle croisa finalement un convoi qui accepta de la faire monter à bord.