Les gradins de l'arène d'Ephtéria sont pleins à craquer de spectateurs, d'habitués mais aussi de curieux en cette journée de grisaille. Une annonce a en effet été placardée sur toutes les maisonnées du Royaume de Païlandune quant à un événement exceptionnel. Car, détenus dans les geôles du palais dans des caches séparées depuis une semaine, avec à peine un croûton de pain et un verre d'eau pour survivre, deux invités de marque font beaucoup parler d'eux. Il s'agirait de deux commerçants réputés ayant commis de graves délits. On parle même carrément de crimes. Benedikt Bloom, herboriste que la foule a bien du mal à imaginer en délinquant. Lui, si mignon, si petit, si inoffensif qu'un épouvantail à son effigie est tout bonnement inefficace contre les corbeaux ? Ce n'était pas possible ! Alors, suivant l'adage qu'il fallait le voir pour le croire, les Païlandais s'étaient déplacés en masse jusqu'à Ephtéria. Quant au second prisonnier, il ne s'agissait de nul autre que du héros de Nideyle ! Vrass Rannveig, tatoueur de renom. Il portait déjà beaucoup mieux le titre de criminel, et beaucoup ne demandaient déjà qu'à le voir à l'œuvre...
C'est donc face à des tribunes bien remplies que non pas deux mais trois prisonniers furent conduits au centre de l'arène. Facilement reconnaissables à leur allure, on pouvait reconnaître le winghox, le petit orphe... et une femme dont personne ne connaissait l'identité. Personne sauf éventuellement les deux clous du spectacle puisqu'il s'agissait de la tenancière du bordel qu'ils avaient mis à feu et à sang - littéralement.
« Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs et Damoiseaux, soyez les bienvenus dans la prestigieuse arène d'Ephtéria, capitale du Royaume de Païlandune ! »
Les acclamations de la foule ponctuèrent ce début de discours tenu par une sorte de colosse habillé comme un monsieur Loyal. Forcément, ils étaient là pour le spectacle, pour l'action, pour le sang et la sueur. On s'amusait comme on pouvait. Certains spectateurs hurlaient des insultes à l'attention des trois prisonniers. D'autres manifestaient leur indignation qu'on ose les détenir alors qu'ils étaient innocents, et autres arguments qui se perdaient dans la liesse ambiante.
« Nous avons longuement hésité entre vous offrir des combats ou une exécution publique. Des guerriers ou des créatures féroces. Des teignes ou des lions.
_ Les-teignes ! Les-teignes ! Scandait la foule.
_ Nous avons mieux. Une cargaison en provenance directe des plaines. Frais, en pleine force de l'âge, robustes et bigrement remontés ! QUE LE SPECTACLE COMMENCE !!! »
L'homme s'inclina alors que l'arène entière tremblait sous les hurlements du public devenu totalement hystérique. Plus personne n'écoutait. Ils se contentaient de brailler comme des attardés réclamant le sang. Seuls au milieu et débarrassés de leurs fers, Vrass, Benedikt, et la tenancière du bordel encore habillée de ses riches vêtements... mais beaucoup moins proprette qu'une semaine plus tôt ! Celui qu'on aurait pu qualifier de présentateur s'était éclipsé. Lorsqu'il passa les lourdes portes qui le séparait de l'arène, les grilles des cages s'ouvrirent dans un claquement sec, vomissant sur le sable leurs occupants furieux : des kordatts !
Vingt kordatts qui se jetèrent dans la mêlé sous les encouragements de la foule, et trois anticus à peine équipés d'une corde lâche autour de l'encolure. Le but du jeu ? Survivre, les capturer, les tuer... faire en sorte de ne pas finir piétiné ou encorné par ces créatures totalement incontrôlable. Sur leur cuir épais, de tout petits points témoignaient des sévices qu'ils avaient subits afin d'être excités pour le combat. Le public voulait de l'action !