« Ils doivent avoir des domestiques pour s'en occuper, alors. » répondit Benedikt en piquant sur sa fourchette les morceaux de légumes qui traînaient encore dans son assiette, bienheureux ignorant de ses choix archaïques de vocabulaire. « Non, bien sûr ! Il faut que tu te reposes. Mais il faut appeler Nathan, aussi, je lui ai promis. Tu n'es pas obligé de m'accompagner si tu es vraiment fatigué. C'est juste pour lui dire que tu vas bien. »
Lorsqu'il rentrèrent à la boutique un peu moins d'une demi-heure minutes plus tard, le soleil avait déjà presque disparu. Il était encore tôt, mais le botaniste ne voyait pas d’inconvénient à aller se coucher en même temps que Vrass ; il n'avait rien à faire de plus et une bonne nuit de sommeil n'avait jamais tué personne, aussi ils montèrent tout les deux directement à l'étage.
Benedikt retint une grimace en enlevant le pull qu'il portait et passa machinalement une main dans son dos pour comprendre ce qui lui faisait mal. Ses doigts frôlèrent son dos et firent froncer les sourcils du botaniste, sans qu'il ne parvienne à découvrir d'où venait la douleur. Espérant qu'elle disparaîtrait pendant la nuit, il se contenta de vérifier à nouveau avant de finir de se déshabiller et se glisser sous les couvertures.
Le botaniste eut pourtant l'occasion de découvrir que c'était exactement l'inverse de ses espérances qui se produisait lorsqu'il se réveilla brusquement en plein milieu de la nuit. Il laissa échapper un «putain.» ensommeillé qu'il étouffa dans un oreiller et roula sur le ventre en s'éloignant de Vrass, essayant de chercher ce qu'il avait pu faire pour provoquer une telle réaction de la part de son corps. Rien ne lui venait pourtant à l'esprit. Une heure et demi plus tard, il finit pas se relever pour descendre silencieusement les escaliers et se planter devant le miroir qu'utilisait le tatoueur pour ses clients qui avait l'avantage d'être bien plus grand que celui de sa salle de bain. Assez grand en tout cas pour être en mesure de voir entièrement derrière lui.
Quelques centimètres du bout son aile droite s'étaient détachés de sa peau, qu'il n'osait pas toucher de peur d'avoir encore plus mal. Mais cela n'expliquait pas la douleur qui courrait insidieusement tout le long de son dos et augmentait au fur et à mesure. Le botaniste se mit à tourner en rond comme pour penser à autre chose. Il y avait dans son sac un anesthésiant qu'il avait acheté l'après-midi même, mais au lieu de remonter sur la pointe des pieds dans la chambre aller le récupérer, il s'arrêta devant le miroir.
Benedikt aurait trouvé bien difficile d'expliquer la pertinence son geste, mais à bout de nerf, ce fut sans hésitation qu'il tira brusquement sur le morceau d'élytre séparé de sa peau. La douleur le fit arrêter plusieurs fois, sans qu'il prenne la peine de réfléchir à ce qu'il faisait. Il lui était tout simplement impossible de ne pas finir ce qu'il venait de commencer, et il détacha patiemment la membrane fine de chacune de ses ailes jusqu'à ce qu'elles furent complètement libres.
Le botaniste les regarda avec un air interdit pendant de longues minutes comme si elles ne lui appartenaient pas. Elles remuaient occasionnellement d'une façon qui lui était complètement étrangère, envoyant voltiger parfois dans l'air de petits morceaux de membrane qui retombaient sur le sol comme des feuilles mortes. Il attendait presque qu'elles tombent en poussières tant elles avaient l'air fines et fragiles par endroit, en dehors des nervures sombres.
« Au moins, maintenant, je sais pourquoi j'ai mal. » murmura tout bas Benedikt, les yeux fixés sur le reflet de la peau à vif dans son dos où était resté les traces profonde et noircies des nervures de ses ailes. Pourtant, la douleur était étonnamment plus supportable que quelques minutes plus tôt.
Il pensa soudain à Vrass qui dormait là-haut et soupira. Il n'avait aucune envie de lui montrer ce spectacle et envisagea même de partir sans prévenir pour rentrer chez lui. Mais le problème ne serait pas réglé pour autant, et on était en pleine nuit. Il attrapa une couverture qui traînait là – probablement pour les clients un peu pudique –, alla s'asseoir en tailleur sur une chaise dans la cuisine et s'enroula dedans en prenant garde à ne pas laisser le tissus frôler son dos. Malgré avoir tenté de rassembler tout son courage, il était incapable de se dire qu'il faudrait laisser voir à tout le monde ce qui lui semblait à lui-même une aberration totale. Benedikt avait toujours considéré les seules caractéristiques qui faisait de lui un orphe comme quelque chose de vaguement dérangeant qu'il préférait dissimuler à ceux qu'il ne connaissait pas. Et c'était très bien comme ça. Hors avec des ailes aussi visibles, et pour l'instant, l'impossibilité d'enfiler un t-shirt, ce serait ce qu'on remarquerait en premier chez lui. Le botaniste resta là à réfléchir à une solution envisageable, le visage enfoui dans ses bras croisés, et finit par s'endormir sans s'en rendre compte à moitié étalé sur la table de la cuisine.