Après avoir mis un certain temps à se remettre de leur rencontre avec un Raana, Archélas et Shell avaient avancé plus prudemment que jamais, laissant leurs montures user de leur instinct. Plusieurs fois le soldat s'était imaginé être soulevé par l'une de ces immenses créatures surgissant juste sous ses pieds, et être déposé plusieurs centaines de mètres plus loin. Mais si dans on esprit la situation avait pu sembler amusante, à aucun moment il ne s'était douté de la chance qu'ils avaient eu tant il ignorait tout des Raanaï...
Distrait par la photographie que venait de prendre l'Élite de sa jument, il s'était extasié de longues minutes sur la fidélité de l'image dans le boîtier comparé à la réalité avant d'être de nouveau interrompu. Non pas par un Raana cette fois, mais par toute une troupe de cavaliers qui les exhortèrent à les suivre vers il ne savait où. Méfiant dans une premier temps, Archélas jugea que ceux qui se faisaient appeler Meph Djinns avaient l'air davantage curieux à leur encontre que belliqueux, et c'est avec un hochement de tête entendu qu'il leur emboîta le pas. Derrière eux lorsqu'il se retourna, il avait lui aussi repéré l'immense nuage opaque qui brouillait l'horizon. On ne distinguait plus même le sommet des dunes, comme si le sable et le ciel ne faisaient plus qu'un dans un immense dégradé de bleu et d'or.
Lorsqu'ils arrivèrent devant la gueule béante des Nafa'q, Archélas eut sensiblement la même réaction que l'Élite. Méfiant, il hésita à entrer. Mais il vit d'autres hommes qui n'avaient rien de soldats s'engouffrer dans les tunnels. Des marchants à première vue, inquiets et pressés face à l'approche de la tempête. Mettant pied à terre, le soldat consentit alors à entrer en terrain inconnu lorsqu'un Meph Djinn l'arrêta.
« Vous avez besoin d'hommes pour vous aider ?
_ M'aider à quoi ? S'étonna Archélas.
_ Pour votre jument. »
En se retournant, l'homme constata effectivement que Nemesis était restée plantée devant l'entrée du souterrain, les oreilles en arrière sur un air désapprobateur.
« Je vais m'en occuper. Vous voulez bien prendre mon oiseau un instant ?
_ Bien sûr. » S'enthousiasma le Meph Djinn qui n'avait jamais vu que des ibis ou des faucons.
Après l'avoir remercié et confié son fardeau, Archélas rejoignit sa monture. Hors de question de lui bander les yeux une seconde fois. Nemesis avait beau avoir la mémoire courte, sa dernière expérience en aveugle était encore trop récente pour se laisser faire, et le soldat le savait. Prenant une profonde inspiration comme pour se débarrasser de toute tension superflue, il posa lentement ses paumes sur les yeux de sa jument. Nemesis remua un peu, se déroba deux fois, puis fini par s'immobiliser à la troisième tentative. D'autres marchands et d'autres Meph Djinns passèrent près d'eux, et lorsqu'il n'y eut plus personne et que l'équidé sembla à peu près calmé, Archélas fit glisser ses mains doucement. D'un signe de tête, il invita sa monture à le suivre, et entra à son tour dans la cache sans se presser, Nemesis - contre toute attente - sur les talons. Une minute plus tard, la trappe était fermée et les tunnels baignés par la lueur étrange des cristaux.
Il rejoignit Shell au moment où elle questionnait leurs hôtes sur leurs réelles motivations.
« Je ne comprends pas. Répondait sincèrement le Meph Djinn. Nos éclaireurs nous ont signalé des voyageurs égarés, et connaissant le désert et ses dangers il était normal de vous venir en aide. C'est ce que Quinah nous a enseigné... »
Ce qui fit penser à Archélas qu'il y avait au moins une Infinitude plus sympathique qu'Amroth sur Nideyle ! Occupé à tapoter un cristal du bout des doigts, il regarda un peu autour de lui avec curiosité.
« C'est vous qui avez creusé tout ça ? Ça a l'air immense.
_ Oui et non. Les galeries principales sont les vestiges du passage des Raanaï sous le désert. La plupart du temps le sable s'effondre derrière eux, mais parfois il devient aussi solide que la pierre et forme des tunnels. Nous nous contentons de les élargir et de les relier entre eux.
_ Oh, justement, nous ne risquons pas de croiser l'une de ces créatures dont vous parlez ?
_ Pas dans ces galeries. Sourit le Meph Djinn. Les parois sont trop dures, même pour eux. Vous avez eu de la chance que celui que vous avez croisé ne vous ai pas tué.
_ Nous tuer ?
_ Les Raanaï sont les gardiens du grand erg... Ils nous protègent des invasions extérieures. Les vibrations de vos pas dans le sable, de toute une armée ou d'une caravane de marchands trouble leur repos. Ils surgissent alors du sable et foncent droit sur ceux qui ont osé les déranger. Un seul Raana peut détruire une caravane entière vous savez.
_ Je veux bien le croire... S'étrangla Archélas en se remémorant la taille impensable d'une créature qu'il n'avait pas imaginée dangereuse une seule seconde.
_ C'est pour cette raison que nous accompagnons les caravanes vers l'est. Nous, Meph Djinns, savons évoluer dans le Majhour sans troubler nos gardiens. »
Archélas hocha la tête, ressentant soudain un grand respect pour ces hommes. En fait, il en aurait bien enrôlé un ou deux pour traverser le désert jusqu'à la fameuse balise de l'Élite. Il se tourna alors vers elle comme pour vérifier qu'elle n'avait pas eu la même idée. Derrière lui, Nemesis le bouscula d'un coup de museau.
« Excusez-nous de vous déranger encore mais, nous cherchons la cité d'Ohime Quinah. Peut-être pourriez-vous nous guider ? »
Mais cette fois, le Meph Djinn afficha un regard suspicieux qui fit dire à Archélas que la partie ne serait pas aussi simple qu'il l'imaginait. Comme quoi on pouvait se montrer très hospitalier et méfiant à la fois...