Archélas avait le cœur plus léger lorsqu'ils sortirent de l'Auberge du Loup Noir, ce qui ne l'empêcha pas de prendre un air renfrogné pour passer inaperçu. Il était soulagé que Ceithli ne lui en veuille pas et plus tranquille à l'idée qu'il pouvait lui faire réellement confiance. À trop vouloir décider pour elle, il l'avait mise en danger. Ça ne se reproduirait plus. Il savoura la caresse du vent sur son visage lorsqu'ils sortirent et respira avec délice l'air frais de cette fin d'automne. Il était toujours un peu fatigué, mais sa lassitude morale l'avait déserté. Il se sentait même un peu plus léger que le matin même, lorsqu'il avait arpenté la route Royale en s'amusant de voir les bûcherons s'écarter sur sa route. Peut-être parce qu'il avait sur les lèvres un goût de désir inassouvi auquel il n'osait pas toucher de crainte de faire s'envoler cette délicieuse sensation. Depuis la veille il sentait une irrésistible envie de se perdre en Ceithli lui tourner autour... il trébucha sur une racine. Ça lui apprendrait, tiens !
Ils ne tardèrent pas à arriver chez l'herboriste. Un homme sympathique – ce qui expliquait sans-doute que sa boutique se situe un peu en retrait du village. À son exclamation à peine étonnée, Archélas ne pu retenir un frisson, et avant même qu'il ait eu le temps d'y réfléchir, ses doigts s'étaient refermés sur la garde de son épée. Le souvenir de Manôlis lui donnait une furieuse envie de découper en rondelles le prochain qui s'avisait de poser ses yeux sur Ceithli ! Mais il n'en fut rien, et le jeune homme se radoucit. Il exposa le problème et surveilla de près les faits et gestes du soigneur, avec un mélange d'intérêt et de méfiance. Lorsque l'herboriste soigna la morsure à l'oreille féline, Archélas sentit une douleur cuisante lui dévorer les entrailles. Tout ce qu'il pu faire – mis à part s'en vouloir une nouvelle fois – fut de s'approcher du guépard pour lui caresser le cou. Il se demanda ce qu'elle pouvait bien ressentir ainsi et se perdit dans un flot de questions existentielles un peu bizarres. Il n'y avait jamais pensé lorsqu'il gratifiait Nemesis de ses caresses, mais en effet... que ressentait-elle ? En tant qu'humain, une caresse ou même un contact ne le laissait jamais indifférent. Bien évidemment, le sentiment n'était pas le même selon la personne qui le touchait. La première fois qu'il avait embrassé les doigts de Ceithli par exemple, il n'avait rien éprouvé de particulier et n'avait agit que par politesse... à présent pourtant, un tel geste lui aurait... Ahem...
Il se saisit du flacon qu'on lui tendait – sauvé par l'herboriste ! Puis ils refirent la route en sens inverse. Archélas voulu retourner à l'Auberge, mais Ceithli échappa à son hypothétique contrôle et s'engouffra dans une grange au nez et à la barbe d'un chien loup qui ne sembla pas particulièrement apprécier sa présence. Le jeune homme se raidit alors lorsqu'il lui sembla comprendre. La jeune femme lui avait dit être incapable de grimper aux arbres... sans-doute avait-elle caché leur butin ailleurs... et sans-doute était-ce comme cela qu'elle s'était faite attaquer...! Archélas se mordit la lèvre de remords. Lorsqu'elle réapparu, il jeta la viande sur ses épaules et suivit Ceithli qui se hâtait de s'éloigner... et s'arrêta chaque fois qu'elle le retenait par le fond de ses pantalons sans lui laisser d'autre choix que de lui obéir. En fait, c'était elle qui donnait les ordres à présent, ce qui le fit sourire. Mais il ne gardait pas son sourire longtemps, dévoré de remords chaque fois qu'il dépensait l'argent de la jeune femme. Il se promit de tout lui rembourser au plus tôt. Puis ils revinrent à l'Auberge. Le capitaine fit toutefois un détour par les écuries pour glisser quelques victuailles dans ses fontes en prévision d'un départ urgent – on ne savait jamais. Enfin, ils regagnèrent la chambre. La matinée venait de s'achever et ils n'avaient rien mangé depuis la veille au soir. Même lui aurait dévoré crue une chèvre de ce traitre de charcutier ! Et il eut un rire sincère de voir Ceithli si pressée de manger qu'elle en oubliait de jouer les fausses pudeurs pour redevenir humaine... et réclamer son dû !
Archélas s'approcha pour déposer l'ensemble de la nourriture sur le lit. Plus exactement, sur les genoux de la jeune femme, par dessus le drap. Et alors qu'il s'apprêtait à s'asseoir pour déjeuner en sa compagnie, on frappa. Il fit signe à Ceithli de ne pas bouger et alla ouvrir, sa rapière prête à trancher la première gorge qui se présenterait... mais quelle ne fut pas sa surprise de découvrir un petit homme replet aux bras encombré de deux petits sacs en tissu, un ragondindon couvert de poils de tapis pourpre et un fromage dans lequel se dessinaient nettement les empreintes de doigts du capitaine. C'étaient... c'étaient...
« Capitaine Ages ? Vos victuailles. Le Seigneur Manôlis vous fait savoir qu'il n'est pas un voleur, et aussi qu'il ne compte pas vous laisser penser que vous pourriez échanger ce qu'il a demandé contre de la nourriture d'une qualité médiocre... »
Archélas le regarda d'un air abasourdit. Et si l'adage voulait qu'on ne tirait pas sur le messager, ce n'était pas l'envie qui lui manquait ! Il s'en défendit toutefois et se contenta de le remercier froidement, récupérant ses biens et fermant la porte à clé derrière lui. Un moment immobile devant la porte, il fini par porter le tout sur le lit et s'assit.
« À ton avis, il les a empoisonnées ? Tu saurais sentir ça toi ? » Demanda-t-il en levant un sourcil face à l'absurdité de la situation.
Il repoussa le tout dans un coin, remettant ce nouveau problème à plus tard, et s'attela plutôt à manger à son tour. Et comme chaque fois qu'il était occupé à manger, il ne parla pas beaucoup. Il lâcha juste que ce n'était pas pressé, que Nemesis savait détecter les plantes douteuses, qu'il pensait que Ceithli pourrait en faire autant dans sa forme animale, qu'il n'exigeait pas d'elle qu'elle le fasse maintenant, qu'il n'était même pas sûr qu'elle puisse savoir, parce qu'il ne savait pas trop ce qu'elle était capable de faire ou non... ce qui en définitive se solda par beaucoup de mots entre deux bouchées. À la fin, il dû boire beaucoup pour faire passer sa sensation d'avoir la gorge en feu, et ensuite, il se leva pour aller se laver brièvement. En fait, même s'il ne fit qu'une toilette succincte, il s'attarda dans la salle d'eau un moment pour repenser à tout ce qui lui était arrivé depuis deux jours. Autrement dit : Ceithli. Son attachement pour elle lui faisait peur. Il n'avait pas l'habitude. Et il faisait beaucoup d'erreurs en sa présence. Comme défier Manôlis de Guttenvald par exemple. Non pas qu'il la tienne pour responsable, mais il était mal à l'aise vis à vis de ce qu'il ressentait. Il craignait que tout s'arrête, et précisément, il n'avait jamais rien craint jusqu'à présent...
« Manôlis sait que nous sommes à l'Auberge... Déclara-t-il en revenant dans la chambre. Nous devrions rattraper un peu du sommeil désastreux auquel nous avons eut droit cette nuit. S'il a des informations – et il en aura – son messager frappera ici. »
Il s'installa à côté de la jeune femme et s'allongea, osant à peine la pousser pour s'allonger plus à son aise. Il avait dû prendre une chambre simple avec un lit une place... tout simplement parce qu'il était seul. Un guépard ne comptait pas pour une personne... et de toute façon, il ne comptait pas vraiment y dormir. En tous cas pas les deux à la fois. Trop risqué. Ses doigts jouaient à nouveau avec la chevelure de Ceithli. Comment faisait-elle pour n'avoir jamais de nœuds ? Ça aidait peut-être, lorsque ses cheveux entrait dans son crâne et ressortait tout dans le bon ordre en passant de femme à félin puis de félin à femme ? Cette idée le fit sourire. Oui, ça devait être quelque chose comme ça. Ou alors elle transportait tout bêtement une brosse à cheveux dans ses affaires. Avait-il vu un tel objet en les rangeant dans ses fontes ? Il soupira. Il était rassasié et se sentait détendu. Voir peut-être un peu trop d'après sa main qui avait abandonné les cheveux de Ceithli au profit de la courbure de ses reins... Il poussa un nouveau soupir mais fit le constat inverse de quelques secondes plus tôt. Il n'était pas rassasié. Et il n'était pas du tout détendu. Il sentait ses flancs se contracter et son cœur battre dans ses tempes. Quelque part dans sa gorge, l'air avait du mal à passer. Il aurait hurlé juste parce qu'il en avait envie...
Tant pis... après tout, elle savait se défendre...
Il se redressa et enserra Ceithli de ses bras. Ses mains glissèrent sur son corps, suivant la chute vertigineuse de ses hanches et l'une d'elle se perdit en chemin pour une chatterie plus suggestive. La veille, la menace de ne pas recommencer ce geste sous peine de se faire sauter dessus n'était pas tombée dans l'oreille d'un sourd ! Dans son cou, son souffle ne fut plus que baiser passionnés, puis morsures délicates. Ils n'étaient plus dans un lieu sacré. Il s'était abstenu trop longtemps – oui, il avait un seuil de résistance dérisoire – et ses récentes marrées d'émotions étaient venues à bout de sa retenue. Et puis il en avait envie, et à moins d'avoir interprété les choses comme ça l'arrangeait, il lui avait semblé qu'il n'était pas le seul. Ça lui suffisait. Sa main encore libre se referma sur son cou, entre douceur et brutalité, et il l'attira à lui avec de plus en plus d'insistance, la désirant à le rendre fou...
La suite, si vous le voulez bien, ne concerne qu'eux...!
Tout ce que vous avez besoin de savoir, c'est qu'ils s'endormirent paisiblement, rassasiés de tout, jusqu'à ce qu'un corbeau ne vienne croasser sur l'appui de leur fenêtre. Le soir tombait et en bas, une voix comme un bourdonnement se faisait entendre.