La surface de l’eau se ride. Des cailloux sont jetés dans les flaques par des jeunes désœuvrés – c’est l’heure où ils sont les plus nombreux dehors. Ouais, c’est dans les ghettos comme dans n’importe quelle banlieue, un cliché qui, cependant, se trouve être réel. Même si, en majorité, les gamins amassés dans les rues, en groupes ou solitaires, ne sont pas bien méchants – quelques-uns vendent de la drogue, presque tous en achètent -, certains individus jouent plus haut qu’il vaut mieux éviter de titiller, à moins de vouloir être retrouvé un matin allongé dans un terrain vague, tout son sang bu par la terre meuble.
Et au milieu de ces silhouettes, arpentant les rues d’un pas décidé, une figure noire – un homme. Il ne ressemble pas vraiment à un habitant des Ghettos – trop « classe », si l’on veut. Pas l’air de manquer d’argent, d’après son long manteau de cuir et ses bottes bien entretenues. Et pourtant, il n’est pas emmerdé par les petites racailles, qui le surveillent simplement, le suivant du regard alors qu’il passe. Mais soudain un gosse d’environ 16 ans, survêt’ blanc et jean baggy, l’interpelle en ces termes fleuris :
« Hé, l’swag, tu t’crois chez toi là ? Y’a une taxe ici, pour passer, t’sais ! … »
Il lance un regard à son groupe d’ami, cherchant un appui qui tarde à venir, et pour cause : tous le fixent comme s’il venait de faire une énorme connerie, et lui chuchotent d’ « écraser, putain ». Car ils connaissent tous la personne qui traverse ainsi leur quartier sans hésitation. La connaissent et la craignent, plus ou moins… A l’interjection, l’homme tourne la tête et plante ses yeux dans ceux de l’imprudent – mais il ne s’arrête pas pour si peu ; il n’en a pas le temps, ni l’envie. Tant que ça ne se reproduit pas !
Comme à chaque fois qu’il se rend dans les Ghettos, Jonah est là pour affaires. Il a rendez-vous avec Camila, une de ses « contacts » réguliers. Camila, pour dire les choses simplement, est une prostituée. Qui joue double. Malgré sa pauvreté, sa grande beauté – elle est vraiment superbe – lui permet de fréquenter du beau monde… Et elle repart toujours des luxueuses villas un peu plus chargée qu’elle n’y était entrée ! Les personnes haut placé préférant en général garder leurs vices secrets, ils évitent de faire trop de remous autour de ces disparitions d’objets… Il y a quelques jours, la jeune fille a monnayé ses charmes à un riche industriel Atalante logeant à Néobabel, et, apparemment, lui a subtilisé quelque chose qui pourrait bien intéresser le trafiquant – une sorte de couteau-sabre, à sa description ça pourrait bien être un tanto.
Jonah est censé la rencontrer ce soir, afin qu’elle lui montre l’objet, et qu’il l’achète s’il lui convient. Mais où peut-elle être… L’homme est arrivé au point de rendez-vous depuis un moment déjà, et pas trace de la petite brune aux longs cils ! « Allez, minette… Qu’est-ce-que tu fabriques ?! » Jonah s’impatiente, et derrière la grille du square miteux plein de tessons de bouteille et puant la pisse, il commence à s’inquiéter. « Putain… »