Dès l’apparition inopportune du gars, une connaissance de Benedikt de toute évidence, qui avait surgit à l’entrée du parc comme un diable hors de sa boite avant de se diriger vers eux, Jonah avait pressentit qu’il allait y avoir cafouillage.
Au vu des paroles du gardien - car c'était son job- , le jeune homme travaillait ici. Bon, ça, c’était plutôt une bonne chose ; ils passeraient sans doute plus inaperçus que s’ils étaient tous deux étrangers à l’endroit ! Même si le vieux regardait Jonah d’une façon inquisitrice qui n’était pas trop pour lui plaire… C’est sûr, ils formaient une paire un peu étrange, mais pas tant que ça ; ils pourraient très bien être… frères, par exemples ? Ils avaient un peu la même bouche.
Mais toute pensée fraternelle – qu’il n’avait pas eue de toute façon – s’évanouit de l’esprit de Jonah dès qu'il entendit les paroles du jeune homme. Etait-il possible d’être moins discret que cela ?! Le trafiquant s’était raidit, mais il était trop tard, et tout ce qu’il put faire fut de lancer son sourire le plus charmant et carnassier au vieux gardien, en espérant que ça lui donne envie de retourner à son travail au plus vite. Toutefois, celui-ci leur avait directement donné un nom... Peut-être les choses allaient-elles bientôt s’arranger !
La paire s’engouffra – c’est le moins qu’on puisse dire, vu la touffeur de la végétation autour de la grille – à l’intérieur du parc, Benedikt guidant son « compagnon ». Mais dès qu’ils furent hors de vue du gardien, Jonah ne se gêna pas pour accabler le jeune botaniste, si novice dans l’art de la diplomatie.
« Bravo pour la discrétion, gamin, tu aurais dû être encore plus direct ! J’espère qu’il sait se taire, ce vieil homme… »
Les deux hommes, Benedikt précédant Jonah, venaient de pénétrer dans une serre plus petite que ses voisines, mais toutefois d’assez belle taille. Le trafiquant fut saisi par la moiteur ambiante, à laquelle il n’était pas habitué, au contraire de son guide qui semblait tout à fait à son aise. Des coléoptères venaient se cogner contre son visage – quelles idiotes bestioles ! Jonah les chassait âprement du dos de la main.
Visiblement, ils interrompaient un scientifique en plein travail, qui était seul dans la serre, l’air absorbé par ce qui ressemblait à une carapace d’insecte arrachée de son propriétaire. Il se rendit finalement compte de leur présence, et les observa d’un air interrogateur, entrainant alors Benedikt dans une explication un peu confuse de la situation – bien qu’exempte de faux pas. Au fur et à mesure qu’il parlait, le professeur arborait un air de plus en plus intéressé, et Jonah n’aurait pas été surpris de voir sa moustache trop propre pour être honnête se mettre à frétiller. Il demanda ensuite à voir les lames, tandis que Benedikt, soulagé de voir sa tâche se terminer, serrait la main de Jonah. Le trafiquant tint fermement la main du jeune homme quelques secondes de plus que nécessaire, et se pencha vers lui afin de prononcer ces quelques mots en toute intimité.
« Merci à toi… Je fais confiance à ta réserve par rapport à notre rencontre… » Il jeta un coup d’œil incisif autour de lui. « De toute façon, tu travailles ici, n’est-ce-pas ? » La question était rhétorique et le ton, lourd de sous-entendus.
Sur ce, Jonah se retourna vers le professeur et s’avança vers lui, la main glissée dans son manteau. Il la ressorti tenant l’une des lames, dont il caressa le fil d’un doigt avant de la tendre, manche en avant, vers le professeur.
« Regardez-les tant que vous voulez… Elles sont plus tranchantes qu’un croc de Teigne », susurra-t-il en exhibant son index barré d’une fine ligne rouge.
Son regard fut attiré par un étrange instrument sur la table, posé près de la carapace aux reflets bleus métalliques. On aurait dit une rappe, mais très fine, et dotée de deux poignées en ivoire taillé. Pour sûr, cet homme aimait les belles choses !