Interloqué quelques secondes, Archélas resta totalement figé alors que Ceithli faisait de son mieux pour parvenir jusqu'à lui sans salir sa robe ni glisser. Avec le temps impossible qui s'était abattu sur Nideyle ses derniers jours, le sol était boueux à souhait. Hogan attendit un peu avant de descendre de son siège, laissant sa pèlerine traîner dans la terre sans s'en alarmer plus que cela, mais jetant sur Archélas un regard désapprobateur... ce qui fit enfin réagir le soldat. Refermant la bouche qu'il avait laissée ouverte sous le choc, il offrit un large sourire à sa compagne et s'autorisa à lui saisir les mains, sans arriver à la quitter du regard.
« J'en pense que tu es magnifique. Quand est-ce qu'on se marie ? »Derrière lui, un toussotement lui rappela qu'ils n'étaient pas tout seul, et sans lâcher la main de la jeune femme, il la guida du mieux qu'il put jusqu'au manoir. Sur le seuil, Démétrien n'avait pas décroisé les bras et les observait d'un air un peu sévère.
« Père, je te présente Ceithli Elbereth. Ceithli, mon père, Démétrien Ages. »Mais Démétrien ne prononça pas un seul mot, le regard planté dans celui de Ceithli comme s'il n'en croyait pas ses yeux. Et précisément, il n'en croyait pas ses yeux !
« Et bien ne restez pas dehors, vous voyez bien qu'il ne fait pas chaud. » Les invita-t-il à entrer d'une voix brusque.
Les doigts d'Archélas se refermèrent sur ceux de sa compagne dans un mouvement de crispation, contrarié de constater le manque de savoir vivre de son propre père après toutes les leçons qu'il avait eut le culot de lui donner sur le sujet. Ravalant sa rancœur, il fit entrer Ceithli, Hogan à leur suite. Démétrien s'était machinalement dirigé vers le salon, plantant là ses invités, et on l'entendit appeler Euthalie d'un ton presque ironique. On pouvait presque y traduire une sorte de « tu ne devineras jamais ce que ton fils nous ramène ».
« C'était prévisible... Marmonna le domestique en refermant la porte sur le froid mordant extérieur.
Ça ne t'es pas venu à l'idée de le prévenir...?
_ Tu sais comment il est Hogan. Il n'aurait même pas voulu la rencontrer si je lui avais dit.
_ Avec le temps il aurait accepté petit. En douceur, au lieu que de lui imposer.
_ Mais le temps, nous ne l'avons pas. »Hogan haussa les épaules et les devança dans le salon, ses pattes graciles, invisibles sous les pans de sa pèlerine, laissant à peine entendre le bruit de leurs pas sur la moquette. Profitant qu'ils soient seuls une seconde, Archélas se risqua à embrasser la jeune femme, l'étreignant comme s'il craignait de la perdre pour toujours.
« Ça ira, ne t'en fait pas. »Il ne sut pas trop qui il tentait de convaincre par ses mots de Ceithli ou de lui-même, et s'efforça de sourire. Après tout, ce n'était que le début... Prenant une profonde inspiration, il entraîna la jeune femme au salon, mais là encore son cœur se serra lorsqu'il découvrit l'accueil qui leur était réservé. Son père, toujours aussi raide, s'était posté près de la cheminée et les fixait sans discrétion. Sa mère en revanche s'approcha avec enthousiasme sous le regard inquisiteur de son mari.
« Bonsoir mademoiselle Elbereth. Oh vous êtes ravissante ! S'exclama-t-elle en s'approchant. Elle se tourna vers Archélas, tout sourire et sincèrement ravie.
Elle est très jolie ! Insista-t-elle, ce qui rendit sa bonne humeur au soldat.
_ Merci maman._ Appelez-moi Euthalie. Reprit-elle en s'adressant de nouveau à Ceithli. Mais au moment de continuer sur sa lancée, elle perdit ses mots et accusa une seconde de surprise en croisant le regard de la féline.
Euh... Elle jeta un coup d'œil vaguement affolé vers Démétrien et sembla tout à coup comprendre son comportement. Ravalant sa salive et déstabilisée, elle s'efforça toutefois de rester naturelle autant qu'elle le pouvait. Ce qui n'était pas évident.
Je... je vous ai fait des pâtisseries en attendant le dîner. C'est gentil de l'avoir apporté d'ailleurs. Cette pensée sembla la rassurer, et ainsi retrouva-t-elle son sourire.
Lizbeth, la pâtissière, m'a souvent parlé de votre boucherie, elle dit qu'elle ne mange jamais aussi bien que lorsque les plats viennent de chez vous. Archélas dit que c'est vous qui la livrez. Vous êtes vraiment jolie. Asseyez-vous. Archélas, lâche-lui la main chéri, laisse-là respirer. »Le jeune homme obéit à contre cœur, rassuré toutefois qu'au moins un membre de sa famille se montre courtois envers sa compagne. Euthalie débarrassa une étoffe égarée sur le dossier d'une grande marquise et invita Ceithli à s'assoir. Elle lui glissa aussitôt quelques pâtisseries d'autorité dans les mains puis alla s'installer juste en face après un regard furtif vers son époux à qui elle semblait sans-cesse demander son accord. Les mains sur les genoux, retenant tant bien que mal sa curiosité, elle semblait admirer muettement la beauté de Ceithli. Ses yeux surtout, l'intriguaient, mais elle n'osait pas demander.
« Alors, dites-moi tout. Où est-ce que vous vous êtes connus tous les deux ? »Archélas alla s'asseoir sur une autre marquise, suffisamment près de Ceithli pour pouvoir lui prendre la main en tendant le bras, mais pas sur le même meuble pour éviter d'agacer son paternel qui surveillait son comportement d'un mauvais œil. D'un sourire envers sa compagne, le soldat l'encouragea à se lancer comme si le pire était passé. Et dire qu'il fallait encore leur annoncer le mariage... Finalement, il n'était plus très sûr qu'ils survivraient au repas.