Précédemment, pour Selena de Lusigan :
Abbaye St IllidànUne seule nuit s'était écoulée depuis son admission au sein de l'abbaye. Malgré les protestations du médecin qui n'avait toujours pas compris la guérison miraculeuse de Selena, elle s'entêta à vouloir sortir de l'abbaye. Le frère supérieur lui donna son autorisation et mit le compte de sa convalescence très rapide sur une intervention de leur Infinitude. La jambe de la jeune femme la faisait souffrir lors de crises extrêmement douloureuses même si elle étaient peu fréquentes. Elle préféra s'aventurer dans les rues de la ville munie d'un bâton de marche afin de s'y appuyer en cas de besoin. Elle avait abandonné son uniforme de capitaine à contre coeur pour une tenue civile. Vêtue d'une simple tunique rouge , ceinte au niveau de la taille par une ceinture de cuir à laquelle pendait un fourreau, de bottes qui remontaient jusqu'aux genoux et drapée dans une épaisse cape de laine, Selena progressait lentement et titubait quelques fois sur quelques mètres avant de reprendre son équilibre. Sa longue chevelure d'ébène cachée dans la capuche de sa cape, dissimulait une grande partie de son visage autrefois si pur, à présent porteuse d'un poids dans l'âme et d'une cicatrice dans le coeur. Elle haletait à chaque pas puis après avoir marché pendant de quelques minutes, qui furent pour elle une éternité, elle s'assit sur un banc en pierre et fit face à une place où était érigée une imposante fontaine. Un bazar y était installé.
De nombreux vendeurs hurlaient et vantaient leurs denrées et leurs produits aux passants qui semblaient être importunés. L'un d'entre eux vendait des étoffes, un autre de la nourriture et des poissons, un autre des bijoux et puis un autre encore présentait de magnifique gemmes qui attiraient l'oeil des civils. Quatre soldats bardés d'une lourde cotte de mailles et vêtu du tabard royal montaient la garde en tenant fermement de leur main gauche la longue hallebarde à la lame brillante et tranchante, et de leur main droite le pommeau de leur glaive qui reposait dans un fourreau. Un des gardes aperçut Selena du coin de l'oeil et se dirigea vers elle d'un pas lourd. Chaque pas était accompagné d'un cliquetis bruyant des mailles qui tintaient néanmoins comme des cloches... en plus petit. Il se campa devant elle et lança :
"Le port des armes n'est pas autorisé pour les civils, mademoiselle." La jeune femme demeura interdite, son visage toujours enfoui dans sa chevelure noire. Une poignée de secondes passa avant qu'elle ne daigne répondre :
"Il paraît qu'un navire s'est échoué et qu'on a retrouvé qu'un seul survivant."
"Oui, c'est vrai. Mais n'essayez pas de détourner le sujet de notre petite conversation, donnez moi ce sabre ou je serai dans l'obligation de vous arrêter au nom du Roy!" dit le soldat d'un ton légèrement hostile.
"Vraiment?" Le garde semblait être partagé entre l'hésitation et la stupeur par la dernière remarque et tenta de répliquer lorsque Selena défit le fourreau et le lui tendit sans le regarder.
"Prenez en soin, je viendrai la récupérer un jour." L'homme se renfrogna et arracha la lame des mains de la frêle jeune femme qui manqua de basculer par terre. Il s'éloigna vers ses camarades en les interpellant grossièrement. Selena détourna son regard vers le bazar où de plus en plus de monde s'ameutait pour contempler les produits exotiques et importés de différentes villes du Royaume. Elle n'avait pas le courage de se mêler à la foule et préféra revenir lorsque celle-ci serait moins dense. Elle se releva en laissant échapper un petit gémissement et s'engouffra dans les rues étroites d'Aspasie. Des marchands vêtus de vêtements luxueux avec de nombreuses broderies d'or sur des tissus de valeur arpentaient ces même rues sur le dos de leur monture. La plupart d'entre eux étaient suivis par une farandole de serviteurs qui portaient les marchandises ou menait des charrettes qui les contenaient. Ils ne daignèrent pas accorder la moindre attention aux autres civils qui devaient se coller aux murs sombres des habitations très serrées au risque de recevoir des seaux d'urine et de fiente sur leur tête.
Bientôt, Selena arriva à un croisement et aperçut de nombreuses échoppes dans l'une des rues. Elle décida de s'y engouffrer et tomba en admiration devant un magasin de bibelots et de vêtements. L'une des tenue attira son attention, car étrangement ressemblante à son uniforme de capitaine. Des larmes vinrent à couler sur ses joues alors qu'elle contemplait l'habit. Elle n'avait rien oublié de ce qu'il s'était passé et la blessure de la perte de son navire et de son équipage n'avait pas encore cicatrisée. Elle portait encore deux marques qui témoignaient de ce tragique événement : une orbite vide et une cicatrice au niveau de la jambe qui, par chance, ne fut pas l'objet d'une gangrène. Elle savait que l'amiral de la flotte allait lui retirer le droit de naviguer en tant que capitaine et cette pensée ne fit qu'accentuer le chagrin qui se déversait sous forme de larmes sur son visage pur.
Soudain, un vieillard l'interpela d'une voix presque brisée par la vieillesse...