Vous parlez d'une journée de congé vous. Même pas qu'il avait le temps de se reposer le Viktor, qu'il se retrouvait embarqué malgré lui dans le boulot. Qu'est-ce qu'il foutait au poste déjà ? Ah oui, à cause d'une gamine qui puait le chien mouillé et qui – à tous les coups – lui avait flingué son canapé. Allez vous débarrasser de l'odeur tiens. La semaine s'annonçait pourrie, mais le lieutenant n'y pouvait rien si un Bisounours géant se planquait derrière ses airs de méchant flic. Joyce lui rappelait un peu Gaëlle... et Gaëlle, il l'avait un peu perdue de vue à force d'ouvrir sa grande gueule. Enfin bref, c'était pas comme s'il était d'attaque pour adopter tous les gosses malheureux de Nideyle non-plus... et encore moins s'ils se changeaient en chacal. Un truc à vous faire dépenser un fric fou dans un psy cette histoire.
Et donc, où qu'il en était le flic pourrit ? Aux questions. Joyce y répondait, docile – normal pour un chien – digressant sur des sujets plus épineux et pas forcément en rapport avec l'affaire en cours. Pendant un instant, l'esprit du lieutenant bifurqua même sur le sentier des questions existentielles du style : «
quelle galère ce serait si les clébards s'y mettaient pour venir porter plainte contre la maltraitance de leur maître ». Ça donnerait quoi au juste ? Des rapports remplis de «
il arrête pas de me tirer la queue ». Faudrait penser à y coller une étiquette pour prévenir qu'on risquait le fou-rire à tout moment. Un soupir quitta ses lèvres. Bon mais et là, il en était où de la déposition ?
« Ok on reprend. Réponds juste à mes questions ok ? Ce qui s'est passé hier, pas y'a dix ans. Je sais, c'est chiant et pas agréable, mais c'est important. »Au final il commençait à avoir l'impression de s'adresser à une attardée mentale. Dans un sens c'était pas si mal, il se sentait moins con à côté... mais sous un autre angle, ça le gonflait un peu. Pas la patience pour ça. Ça se saurait s'il était patient non ? Une heure plus tard ou plus – allez savoir - la tête de N'Guyen réapparût par l'entrebâillement de la porte. Il jeta un rapide coup d'œil vers Joyce et parut satisfait de la voir en un seul morceau et en pleine possession de ses moyens. Kobalt, de son avis, avait l'air de se décomposer d'ennui en revanche.
« Stern te fait dire que les gars en ont marre de poireauter à l'identification. Et il veut te voir. T'as jeté un œil au rapport balistique ?
_ On arrive, je sais et non. » Répondit Viktor pour répondre à chaque point énoncé.
Et puis il s'était levé pour accompagner Joyce à l'identification, lui expliquant qu'elle pouvait voir à travers la vitre mais eux non – ce qui n'eut pas l'air de la convaincre des masses – notant sur un papier les numéros de ceux qu'elle désignait comme ses agresseurs. Pas dur en même temps, ils portaient les marques des poings du lieutenant sur la gueule. Le troisième faisait l'objet d'un avis de recherche. La palissade avait été remontée plus vite qu'un champignon pousse sur un arbre. Rien à voir, mais détail marrant des Ghettos, comme si rien ne pouvait les perturber là-bas. Et puis Viktor avait habilement évité le bureau de Stern et s'était éclipsé. Direction chez lui ou il ne savait pas trop où... en fait il commençait à trouver la petite un peu collante. Et pourtant...
… pourtant c'était bien dans son appart' qu'ils s'étaient retrouvés dix minutes plus tard. Pas de voiture de fonction pour les ramener, seulement leurs pattes. Viktor en avait profiter pour acheter des hot-dog à un coin de rue. C'te blague, pensait-il en tendant sa part à Joyce, un hot-dog à un chacal. Non, cherchez pas l'ironie, elle est pas drôle.
Et bref...
Affalé dans son canapé pour mastiquer son repas, Viktor en était encore à se demander ce qu'il allait bien pouvoir faire de la gosse. La filer aux services sociaux ? La relâcher dans la nature ? Ben quoi, c'était pas le secours populaire chez lui quand-même ! Ses doigts s'enfoncèrent dans le pain mou, choqué par la vision d'un bout de fesse au moment où Joyce partait il ne savait où. Prendre sa douche ? Ben qu'elle fasse comme chez elle surtout.
« EH !!! C'est pas un bordel ici, on se fout pas à poil comme ça ! Transforme-toi en clébard si ça te fait chier les fringues ! »C'était marrant parce que sa femme avait passé des années à l'engueuler de laisser le foutoir derrière lui, et puis là c'était à son tour de râler contre le désordre. Fallait dire aussi, le bordel des autres n'était jamais aussi agréable que le sien. Et puis c'était déjà la galère à ranger ses frusques à lui, s'il fallait en plus qu'il range celui des autres, l'appartement allait vite se transformer en décharge publique ! Avalant son dernier morceau de casse dalle, il se leva pour ramasser la chemise qu'il alla accrocher vite fait à la poignée de la salle de bain. Les gosses j'vous jure. En fin de compte ça pouvait encore passer quand c'étaient les siens, mais ceux des autres, non merci. Pas moyen de les supporter, enfance malheureuse ou pas. Et quand on savait se transformer en chacal, on avait des excuses en moins, de son avis.
Haussant les épaules, il se dirigea vers la cuisine où il se servit une bière au frigo. C'était pas le tout mais il allait lui falloir du courage pour la foutre dehors. Pas envie de se coltiner l'IGS demain.