Précédemment : Barbares, nous voici !
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Si Archélas s'était d'abord hâté comme il avait pu pour ramasser le plus d'affaires possible, rechignant à laisser les deux barbares se rincer l'œil chaque fois que sa féline se baissait, il fini par changer d'avis en récupérant le sac. S'il mettait tout lui-même à l'intérieur, Ceithli ne pourrait rien y récupérer, et les deux autres ne comprendraient pas qu'ils s'y mettent à deux pour ranger. Il n'y fourra donc que ses propres affaires et laissa à sa féline le soin d'y glisser les siennes. Il grimaça en revanche lorsqu'il dut rouler ses vêtements en boule. Ils ne sècheraient jamais... et voir sa rapière entre les mains de ces imbéciles pas si imbéciles que ça lui fendait presque le cœur. Ils examinaient l'arme légère d'un air circonspect, sans trop comprendre comment on pouvait manier une arme presque moins épaisse qu'une aiguille à tricoter. De leur avis – qu'ils ne se gênèrent pas de formuler à voix haute – ce n'était pas une arme d'homme. Et donc, Archélas ne devait pas en être vraiment un...
Sous le regard agacé du soldat, ils entravèrent Ceithli d'une chaîne autour du cou, et s'il failli exprimer sa façon de penser à coups de poings, il parvint à tout retenir à l'intérieur et à s'asseoir sur sa fichue fierté qui lui dictait de s'énerver de tout. Pas une seule fois il n'avait été humilié de la sorte, et il trouvait plus humiliant encore le sort réservé à sa féline. Mais il s'était promis de son montrer raisonnable, et de ne plus agir sous ses impulsions irréfléchies et dangereuses. Ceithli en avait suffisamment pâti.
Il inspira profondément. Il allait avoir besoin de ses forces pour marcher, suivre, supporter son propre agacement, et peut-être un peu plus si l'occasion se présentait. S'enfuir, se battre... il ne savait pas trop. Les deux Winghox lui laissèrent le temps d'enfiler ses bottes, ricanant de les voir tout deux si peu vêtus. Quelques réflexions déplaisantes entaillèrent encore le moral d'Archélas, à propos de ce qu'il faisait et avec qui... ou avec quoi. L'espace d'une seconde il se crut revenu sur le Hart Nacré, Chaemil lui envoyant ses mesquineries à la figure avec mépris. Et ils se mirent en avant, presque nus, désarmés, délestés de force du sac même, un peu idiots au milieu des plaines. Les barbares derrière eux avaient fini par laisser une petite distance les séparer et marmonnaient entre eux, ce qui ne fut pas pour rassurer le soldat. Ceithli lui offrit un sourire qu'il fut incapable de lui rendre, malgré une réelle intention de la rassurer. Et ainsi marchèrent-ils en silence un long moment.
Ils traversèrent leur ruisseau sur un pont grossier fait de gros troncs jetés d'une rive à l'autre, et continuèrent ainsi, tout droit vers le sud... vers nulle part d'après Archélas. Il n'y avait pas âme qui vive et seul une petite horde de Teigne croisa leur route sans même les regarder.
« Ces saletés sont de plus en plus nombreuses... » grogna celui à la hache.
Et ce furent pratiquement les seules paroles à être prononcées de tout le voyage. Le ventre presque vide depuis des heures, Archélas commençait à s'ennuyer. Il aurait bien aimé faire une pause, boire, prendre Ceithli dans ses bras. Mais les deux autres ne les laissaient pas même ralentir l'allure, et leur grosse voix s'élevait dès qu'ils estimaient nécessaire de motiver leurs prisonniers à avancer avec plus d'entrain. La luminosité commençait à décliner. Bientôt, quelques parcelles clôturées firent leur apparition, perdues au milieu des herbes rases. Les troupeaux de boucs malodorants les regardèrent passer du haut de leur petit air revêche, mais toujours pas de village.
« À gauche ! »
Archélas tourna vers la gauche, sans trop savoir où il allait, jusqu'à ce qu'un chemin apparaisse enfin, l'un de ceux que le passage répété des hommes façonne, et qui se perd sous la végétation têtue aussitôt qu'il n'est plus emprunté. Les jambes fatiguées mais les reins bien au chaud, il avançait, jetant parfois un regard inquiet vers la jeune femme entre deux « on a connu pire » à peine murmurés. Puis le vent se fit plus présent, plus mordant et l'immensité de l'océan se présenta de nouveau devant eux. Le chemin boueux s'était élargit, et le soldat n'en revint pas lorsqu'il le vit plonger à pic derrière la crête des falaises dont ils se rapprochaient. Allaient-ils être jetés à la mer, comme Hyacinthe le Docte jetait les belligérants par-dessus bord ? D'instinct, il ralentit, ce qui ne sembla pas alarmer leur escorte, et pour cause. À quelques mètres seulement du bord, il aperçu enfin un escalier aux pierres coupantes, taillé à même la roche qui se dressait face à l'océan.
Son cœur se mit à battre. Le vertige ne lui était pas particulièrement familier mais il devait bien admettre que le vide en dessous et autour, et le vent qui les giflait avec violence avaient de quoi le déstabiliser. En fin de compte, il réalisait qu'ils n'auraient jamais pu observer le village de loin comme il l'avait prévu, à moins de l'observer depuis les flots. Et là encore, ils auraient eut tôt fait d'être repérés, le village Winghox offrant un panorama dégagé sur des kilomètres à la ronde. Une chance, finalement, qu'ils soient "invités" à y entrer.
Wingdrakk se déclinait en étages, défiant la mer depuis ses hauteurs, et une multitude d'escaliers desservait les différentes places. C'était à la fois un labyrinthe et un fort dont il nota chaque détail avec un mélange d'intérêt et d'effroi. Les lieux semblaient impossible à prendre. Y envoyer les troupes reviendrait à organiser un suicide collectif, d'autant que les habitants n'avaient rien d'enfants de chœur.
« À droite ! »
Archélas bifurqua.
« À gauche. Celui du milieu. Le deuxième à droite. » récitait chaque fois celui à l'arbalète.
Et Archélas tournait, montait les marches pour descendre plus loin, baissait la tête pour passer sous une arche creusant la falaise. Les villageois sur leur passage laissaient éclater leur rire guttural, les gratifiant d'obscénités. Beaucoup les prenaient pour des Tenaag'i, trop loin pour apprécier l'étendue sans fond du regard de la Morphe. Aux étages inférieurs, ils levaient le nez en direction de Ceithli en souriant au spectacle. Au étages supérieurs, ils crachaient avec dégoût sur ceux qu'ils considéraient comme des prisonniers de guerre. Des barbares, en somme.
« La porte à droite. »
Archélas s'arrêta devant la trouée de pierre. Une petite arche, haute comme un homme, mais pas de sol. Seulement un trou dont on ne voyait pas le fond à moins de s'y pencher. Et comme il hésitait, celui à la hache l'aida un peu en le poussant du pied, réservant le même sort à Ceithli.
Panique.
Le soldat s'écorcha cruellement les mains en tentant de se raccrocher à tout et n'importe quoi, autrement dit à la roche coupante à laquelle il s'arracha les ongles, jusqu'à ce qu'une sensation glaciale le fige totalement. Les yeux écarquillés de stupeur – et autant l'admettre, de terreur – il ne réalisa qu'à retardement qu'il était sous l'eau. Ses jambes rencontrèrent le fond pierreux suffisamment brutalement pour lui faire mal. Ceithli précipitée à sa suite s'écrasa sur son dos, mais à cet instant il ne priait que pour une seule chose : qu'elle n'ait rien ! Il se redressa vivement, l'adrénaline revenu à l'assaut de ses veines, et aspira l'air à grandes gorgées en émergeant. L'eau leur arrivait à mi-poitrine... et elle était véritablement glacée !
« Ceithli ? Ça va ? La chercha-t-il en pivotant sur lui-même, agitant les bras comme un noyé qui a pieds.
_ Baluchon timide couplé à un sac sans fond, tente-hérisson... résonna une voix rauque que l'écho rendait encore plus lugubre. Et vous espérez nous faire croire que vous venez pour l'Antiquaire ? En bateau ? Avec tout un équipage et des armes ? »
Un crachat s'échoua sur la joue d'Archélas.
« On verra ce qu'en dit le chef ! »
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Si Archélas s'était d'abord hâté comme il avait pu pour ramasser le plus d'affaires possible, rechignant à laisser les deux barbares se rincer l'œil chaque fois que sa féline se baissait, il fini par changer d'avis en récupérant le sac. S'il mettait tout lui-même à l'intérieur, Ceithli ne pourrait rien y récupérer, et les deux autres ne comprendraient pas qu'ils s'y mettent à deux pour ranger. Il n'y fourra donc que ses propres affaires et laissa à sa féline le soin d'y glisser les siennes. Il grimaça en revanche lorsqu'il dut rouler ses vêtements en boule. Ils ne sècheraient jamais... et voir sa rapière entre les mains de ces imbéciles pas si imbéciles que ça lui fendait presque le cœur. Ils examinaient l'arme légère d'un air circonspect, sans trop comprendre comment on pouvait manier une arme presque moins épaisse qu'une aiguille à tricoter. De leur avis – qu'ils ne se gênèrent pas de formuler à voix haute – ce n'était pas une arme d'homme. Et donc, Archélas ne devait pas en être vraiment un...
Sous le regard agacé du soldat, ils entravèrent Ceithli d'une chaîne autour du cou, et s'il failli exprimer sa façon de penser à coups de poings, il parvint à tout retenir à l'intérieur et à s'asseoir sur sa fichue fierté qui lui dictait de s'énerver de tout. Pas une seule fois il n'avait été humilié de la sorte, et il trouvait plus humiliant encore le sort réservé à sa féline. Mais il s'était promis de son montrer raisonnable, et de ne plus agir sous ses impulsions irréfléchies et dangereuses. Ceithli en avait suffisamment pâti.
Il inspira profondément. Il allait avoir besoin de ses forces pour marcher, suivre, supporter son propre agacement, et peut-être un peu plus si l'occasion se présentait. S'enfuir, se battre... il ne savait pas trop. Les deux Winghox lui laissèrent le temps d'enfiler ses bottes, ricanant de les voir tout deux si peu vêtus. Quelques réflexions déplaisantes entaillèrent encore le moral d'Archélas, à propos de ce qu'il faisait et avec qui... ou avec quoi. L'espace d'une seconde il se crut revenu sur le Hart Nacré, Chaemil lui envoyant ses mesquineries à la figure avec mépris. Et ils se mirent en avant, presque nus, désarmés, délestés de force du sac même, un peu idiots au milieu des plaines. Les barbares derrière eux avaient fini par laisser une petite distance les séparer et marmonnaient entre eux, ce qui ne fut pas pour rassurer le soldat. Ceithli lui offrit un sourire qu'il fut incapable de lui rendre, malgré une réelle intention de la rassurer. Et ainsi marchèrent-ils en silence un long moment.
Ils traversèrent leur ruisseau sur un pont grossier fait de gros troncs jetés d'une rive à l'autre, et continuèrent ainsi, tout droit vers le sud... vers nulle part d'après Archélas. Il n'y avait pas âme qui vive et seul une petite horde de Teigne croisa leur route sans même les regarder.
« Ces saletés sont de plus en plus nombreuses... » grogna celui à la hache.
Et ce furent pratiquement les seules paroles à être prononcées de tout le voyage. Le ventre presque vide depuis des heures, Archélas commençait à s'ennuyer. Il aurait bien aimé faire une pause, boire, prendre Ceithli dans ses bras. Mais les deux autres ne les laissaient pas même ralentir l'allure, et leur grosse voix s'élevait dès qu'ils estimaient nécessaire de motiver leurs prisonniers à avancer avec plus d'entrain. La luminosité commençait à décliner. Bientôt, quelques parcelles clôturées firent leur apparition, perdues au milieu des herbes rases. Les troupeaux de boucs malodorants les regardèrent passer du haut de leur petit air revêche, mais toujours pas de village.
« À gauche ! »
Archélas tourna vers la gauche, sans trop savoir où il allait, jusqu'à ce qu'un chemin apparaisse enfin, l'un de ceux que le passage répété des hommes façonne, et qui se perd sous la végétation têtue aussitôt qu'il n'est plus emprunté. Les jambes fatiguées mais les reins bien au chaud, il avançait, jetant parfois un regard inquiet vers la jeune femme entre deux « on a connu pire » à peine murmurés. Puis le vent se fit plus présent, plus mordant et l'immensité de l'océan se présenta de nouveau devant eux. Le chemin boueux s'était élargit, et le soldat n'en revint pas lorsqu'il le vit plonger à pic derrière la crête des falaises dont ils se rapprochaient. Allaient-ils être jetés à la mer, comme Hyacinthe le Docte jetait les belligérants par-dessus bord ? D'instinct, il ralentit, ce qui ne sembla pas alarmer leur escorte, et pour cause. À quelques mètres seulement du bord, il aperçu enfin un escalier aux pierres coupantes, taillé à même la roche qui se dressait face à l'océan.
Son cœur se mit à battre. Le vertige ne lui était pas particulièrement familier mais il devait bien admettre que le vide en dessous et autour, et le vent qui les giflait avec violence avaient de quoi le déstabiliser. En fin de compte, il réalisait qu'ils n'auraient jamais pu observer le village de loin comme il l'avait prévu, à moins de l'observer depuis les flots. Et là encore, ils auraient eut tôt fait d'être repérés, le village Winghox offrant un panorama dégagé sur des kilomètres à la ronde. Une chance, finalement, qu'ils soient "invités" à y entrer.
Wingdrakk se déclinait en étages, défiant la mer depuis ses hauteurs, et une multitude d'escaliers desservait les différentes places. C'était à la fois un labyrinthe et un fort dont il nota chaque détail avec un mélange d'intérêt et d'effroi. Les lieux semblaient impossible à prendre. Y envoyer les troupes reviendrait à organiser un suicide collectif, d'autant que les habitants n'avaient rien d'enfants de chœur.
« À droite ! »
Archélas bifurqua.
« À gauche. Celui du milieu. Le deuxième à droite. » récitait chaque fois celui à l'arbalète.
Et Archélas tournait, montait les marches pour descendre plus loin, baissait la tête pour passer sous une arche creusant la falaise. Les villageois sur leur passage laissaient éclater leur rire guttural, les gratifiant d'obscénités. Beaucoup les prenaient pour des Tenaag'i, trop loin pour apprécier l'étendue sans fond du regard de la Morphe. Aux étages inférieurs, ils levaient le nez en direction de Ceithli en souriant au spectacle. Au étages supérieurs, ils crachaient avec dégoût sur ceux qu'ils considéraient comme des prisonniers de guerre. Des barbares, en somme.
« La porte à droite. »
Archélas s'arrêta devant la trouée de pierre. Une petite arche, haute comme un homme, mais pas de sol. Seulement un trou dont on ne voyait pas le fond à moins de s'y pencher. Et comme il hésitait, celui à la hache l'aida un peu en le poussant du pied, réservant le même sort à Ceithli.
Panique.
Le soldat s'écorcha cruellement les mains en tentant de se raccrocher à tout et n'importe quoi, autrement dit à la roche coupante à laquelle il s'arracha les ongles, jusqu'à ce qu'une sensation glaciale le fige totalement. Les yeux écarquillés de stupeur – et autant l'admettre, de terreur – il ne réalisa qu'à retardement qu'il était sous l'eau. Ses jambes rencontrèrent le fond pierreux suffisamment brutalement pour lui faire mal. Ceithli précipitée à sa suite s'écrasa sur son dos, mais à cet instant il ne priait que pour une seule chose : qu'elle n'ait rien ! Il se redressa vivement, l'adrénaline revenu à l'assaut de ses veines, et aspira l'air à grandes gorgées en émergeant. L'eau leur arrivait à mi-poitrine... et elle était véritablement glacée !
« Ceithli ? Ça va ? La chercha-t-il en pivotant sur lui-même, agitant les bras comme un noyé qui a pieds.
_ Baluchon timide couplé à un sac sans fond, tente-hérisson... résonna une voix rauque que l'écho rendait encore plus lugubre. Et vous espérez nous faire croire que vous venez pour l'Antiquaire ? En bateau ? Avec tout un équipage et des armes ? »
Un crachat s'échoua sur la joue d'Archélas.
« On verra ce qu'en dit le chef ! »