*°*°*°*°*°*°*°*°*
Archélas reporta son regard sur Ceithli, un peu surpris par son ton contrarié. Il fallait bien avouer que le voyage avait été éprouvant, aussi comprenait-il son humeur. Lui-même était fatigué au point qu'il aurait été capable de s'affaler dans l'herbe et de s'y endormir aussitôt... ce qu'il évita tout de même de mettre en pratique. Il sauta au bas de son cheval tandis que la jeune femme s'habillait et dessangla de quelques crans avant de prendre sa pèlerine et la capeline de Ceithli dont il la couvrit presque aussitôt. Les journées n'étaient déjà pas bien chaudes, alors autant dire que les nuits étaient pires. Il frictionna les épaules de la jeune femme et la prit par la main pour avaler la distance qui les séparaient encore de la ville. Une brume épaisse rampait sur les plaines à présent, si bien que les lueurs des maisons se distinguaient à peine dans l'obscurité, mais dans l'obscurité totale, la lumière diffuse de la ville restait un repère à suivre. Ils allèrent d'un bon pas, Nemesis reprenant son souffle derrière eux, jusqu'à franchir enfin la vieille enceinte d'Aspasie. Le soldat resserra sa pèlerine sur lui. Pourquoi y avait-il autant de brume chaque fois qu'il mettait les pieds dans cette ville ?
Sans un mot, ils passèrent devant l'Abbaye de Saint Illidàn à laquelle Archélas jeta un coup d'œil curieux. Il y avait déposé cette femme, Selena, rescapée d'un bateau échoué sur les plages près de la ville... Ce qui ne l'encourageait pas tellement à prendre la mer à son tour d'ailleurs... Était-elle toujours en vie ou bien les prêtres avaient-ils fini par l'étouffer pour ne plus entendre ses cris ? Tant d'évènements s'étaient produits depuis... et tout semblait différent. Il coupa par la place du marché, pressé de se vautrer dans un lit quel qu'il soit, ou dans la paille s'il n'y avait plus aucune chambre de libre. Peu lui importait tant qu'il dormait... Il serra la main de Ceithli dans la sienne. Malheureusement, il ne pourrait pas lui témoigner son affection ce soir... et pour le peu qu'il leur restait pour se reposer avant le lendemain, mieux valait éviter toute digression au sommeil... La place, déserte à cette heure tardive – ou matinale selon les points de vue – fut traversée en quelques minutes, puis ils s'engagèrent dans la rue principale d'un pas déterminé. Seul l'écho des sabots de Nemesis battant le pavé troublait le silence nocturne. Archélas aurait pu se repérer à Aspasie dans l'obscurité la plus totale... en fait, c'était justement le cas ! Et lorsque l'auberge fut en vue, il lâcha la main de sa compagne et s'engouffra à l'intérieur avant de se diriger vers le comptoir où il actionna une petite cloche. Un homme ensommeillé se traîna jusqu'à lui.
« Une chambre, une place pour ma monture, un repas léger et le petit déjeuner. »
Le patron cligna plusieurs fois des paupières avant d'assimiler les informations et de leur tendre une clé.
« C'est complet à cause du tournoi, mais il reste une petite chambre de bonne sous les toits. Je demande au commis de vous monter quelque chose. Ce sera froid.
_ Ça m'est égal. Le train est là depuis longtemps ?
_ Depuis quelques heures, il était bloqué à Guttenvald.
_ Vous savez si un voyage vers Balaïne est prévu ?
_ Demain dans la matinée. Il part pour Ephtéria cette nuit, les livraisons ont pris du retard. Il revient ensuite ici, recharge, et repart pour Balaïne. Vous voulez qu'on vous réveille ?
_ S'il vous plaît. »
Le patron hocha la tête rêveusement et bâilla à s'en décrocher la mâchoire (je sais, c'est contagieux). Puis il disparu derrière une porte. Quelques secondes plus tard, le garçon d'écurie en sortait pour aller s'occuper de Nemesis. Archélas se retourna vers Ceithli et lui tendit la main pour l'inviter à monter en sa compagnie... ce qui fut assez sportif ! Car si les deux premiers étages profitaient d'un escalier très commode, les chambres de bonnes quant à elles n'étaient accessibles que par l'intermédiaire d'une échelle de menuisier bien plus bancale. Vérifiant le numéro sur sa clé, le capitaine identifia leur chambre et y entra... et une fois à l'intérieur, il se rendit compte qu'il prenait tout l'espace à lui seul ! Un petit vasistas donnait sur le ciel étoilé et un lit d'une étroitesse surprenante occupait toute la longueur de la pièce. Il eut tout juste la place de se glisser entre ce meuble unique et le mur afin de laisser la jeune femme entrer à son tour, ce qui lui arracha un éclat de rire nerveux. Mais décidément trop épuisé pour chercher ailleurs ou penser à se plaindre, il se déchaussa simplement, se défit de sa pèlerine et s'assit dans un angle du lit, laissant le reste à Ceithli.
Quelques secondes plus tard, le commis leur remontait des restes de poule froide avec quelques pommes de terres figée dans une sauce tout aussi froide. Archélas le remercia et posa le plat au milieu du lit. On aurait dit qu'ils s'apprêtaient à pique-niquer sur leur lopin de couche...