par Vince Gaïdjen » 16 Fév 2011, 12:27
Vince posa sa troisième chope. D'un revers de la main, elle enleva la mousse qui perlait encore au coins de ses lèvres. Elle n'eut pas besoin d'ouvrir la bouche pour que le patron sache ce qu'elle voulait ensuite. Elle passa direct au pastis.
Pendant que l'eau, coulant lentement le long du verre, faisait passer le liquide d'un jaune vif à un jaune crème, Vince répondit à son interlocuteur, visiblement étonné qu'elle connaisse du monde. Elle redressa fièrement son buste avant d'annoncer :
- Je suis mécanicienne ! La seule du quartier, alors... forcément, je vois passer beaucoup de têtes. Et comme il y a rarement des étrangers, ici... Je suis née là, et c'est presque une tradition que tout le monde se connaisse. C'est comme...
Elle écarta ses bras pour mimer un cercle, et prit une inspiration. L'odeur de l'anis monta dans ses narines. Son verre à la main, elle fit mine de trinquer avant de finir sa phrase :
- Une trèèèès grande famille. Avec ses rivalités, et ses amitiés !
Elle descendit le verre cul-sec, le posa sur la table et s'apprêtait à recommander lorsqu'une clameur surgit au dehors. La rouquine bondit de son tabouret, se retrouva à la porte qu'elle ouvrit avec fracas, s'arrêtant de justesse sur le seuil. Puis elle se retourna, et, un immense sourire aux lèvres, radieuse et déjà surexcitée, elle cria :
- Hé les mecs !!! Y a baston !!
- Qui contre qui ? Pourquoi ? Comment ? Les clients du bar s'étaient agglutinés à la porte.
- On s'en fout, on y va !!
Ils sortirent et se mêlèrent à la cohue. Vince se retourna vers Vrass, lui demanda si il souhaitait participer et, avant d'avoir obtenu une réponse elle se fit percuter par un grand brun, cheveux en bataille, t-shirt déjà abîmé, qui s'excusa. Tout essoufflé, il lui tendit un objet long et massif d'une quarantaine de centimètres. Sa clé anglaise, son fétiche, son grigri, qu'elle avait laissé ce jour là chez elle. Et l'homme, c'était son cousin.
- Tu vas en avoir besoin, p'tite prince !
- Merci Ewen !!
Ils retournèrent dehors en courant et se jetèrent à corps perdu dans la mêlée. Vince évitait beaucoup de coups avec une agilité qui laissait supposer un entraînement intensif dans l'art de la bagarre. À un moment, un ami voulut l'immobiliser. Ils roulèrent jusque devant la porte du pub, toujours ouverte. Lui était allongé sur le dos, haletant et rigolant à la fois. Vince était assise sur lui, une jambe de chaque côté, et lui serrait les poignets. Le sérieux et le jeu se mélangeaient. Parfois, ils tentaient de se libérer et restèrent là à rire.
- Haaaa, vieille crevure, j'aurais ta peau un jAAArrêteuuh ! tu me chatouilles !
- Et toi tu m'empêches de bouger ! Je te jure que je te revaudrai ça, Flammèche !!
- Hé, m'appelles pas Flammèche !!
Jusqu'à ce que des cris d'enthousiasme surgissent du tas de bras, de jambes, de massues de bois et de barres de fer. Un objet en cuir, de la forme d'un œuf, apparut au sommet de cette étrange tas. Vince et son ami se levèrent instantanément, et allèrent se placer. Personne n'eut besoin de discuter. On savait où se placer. Il y avait à présent quinze personnes de chaque côté. Ils se mirent à courir, faisant passer l'œuf de main en main vers l'arrière, et ceux d'en face les ceinturaient pour les faire tomber. Ils jouèrent ainsi à ce jeu dont personne ne connaissait l'origine. Lorsque l'œuf disparut, expédié d'un coup de pied au dessus d'un fil à linge qui s'étendait d'un côté à l'autre, tout le monde se dispersa, en se saluant à grands coups de "à la prochaine".
Vince serra la main à son pote et à son cousin qui partirent aussi.
Elle vint se planter devant Vrass, le nez légèrement ensanglanté, le visage coupé et les genoux écorchés.
Elle s'apprêtait à lui demander ce qu'il comptait faire, lorsqu'une jeune femme de l'âge de Vince passa et lui lança un crachat qui retomba devant ses pieds. Furieuse, Vince bondit, attrapa cette dernière par le coup, l'obligeant à lever la tête pour la regarder.
- On peut savoir ce qui me vaut l'honneur, Misty ? (elle avait prononcé ce nom d'un air de dégoût)
- Parce que t'es qu'une sale fille Gargouille, t'es pas une femme, t'es un Rhinocéros !
- Mouaaaais... et si tu veux pas que le Rhinocéros de vienne féroce, t'as intérêt à déguerpir vite fait, Krozbak de Mühne. Si tu veux savoir ce que c'est la honte, la vraie, je peux facilement t'apprendre...
La fille ne s'aperçut pas que d'un geste délicat, et le plus discret possible, Vince d'un coup de morceau de verre tranchant lui avait fait péter les coutures de sa jupe. Et c'est plus tard, en marchant au beau milieu de la rue, que la jeune femme se retrouverait en culotte devant tout le monde. Vince savait donner des leçons. Presque aussi bien qu'elle savait les assimiler.
La jeune femme partie, Vince posa enfin sa question :
- Et maintenant, que comptez vous faire ?