La différence, Ceithli la pointa du doigt en rappelant au soldat qu'un mercenaire ou un assassin choisissait ses clients. Une évidence qu'avait failli oublier Archélas.
« Ce n'est pas toujours le cas... Objecta-t-il avec douceur. Livian a ses propres assassins et ses propres mercenaires, tous ne sont pas indépendants... mais... tu as raison. »
Il baissa les yeux, un peu honteux d'avoir à admettre ses torts. C'est que ça faisait mal, mine de rien. Mais s'il y avait bien une chose qu'Archélas ne supportait définitivement pas, et qui lui faisait plus mal encore qu'un égo écorché, c'était de voir Ceithli pleurer. À plus forte raison lorsque c'était de sa faute ! Alors aussitôt qu'il leva le nez de son assiette pour se retrouver nez à nez avec le visage blessé de son épouse, il se leva d'un bond, manquant de renverser la table dans son mouvement. En deux enjambées, il se retrouva à ses côtés et l'enlaça de ses bras, sans se soucier du spectacle un peu étrange qu'il devait donner. Et à qui ? Mis à part leur petite serveuse, l'auberge était déserte.
« Ceithli... excuse-moi... » S'excusa-t-il en la serrant contre lui.
Au final, les derniers mots de son épouse venait de faire s'envoler ses pires craintes. Non, elle condamnait pas ceux qui exécutaient les ordres. Ils ne s'étaient simplement pas compris sur la notion de choix. Comme toujours. Archélas grimaça, à la fois furieux de son comportement et tiraillé par la douleur que lui infligeait ses muscles. Mais sans écouter le rappel à l'ordre de ces derniers, il serra un peu plus Ceithli contre lui, s'autorisant même à lui embrasser la tempe sans relâcher son étreinte.
« Excuse-moi, j'ai été égoïste. J'ai pensé... j'ai pensé à moi... Je te demande pardon, c'était déplacé. Doucement, il l'obligea à laisser retomber ses bras et s'appliqua à essuyer ses larmes du bout des pouces. Tu as raison, je doute que cet homme ait été envoyé par Livian... et il n'était pas très compétent en plus, ce qui lui fait un point commun avec ceux qui le cherchent. » Reprit-il avec douceur, essayant tant bien que mal de rassurer Ceithli autant que de détendre un peu l'atmosphère.
L'auberge ne s'y prêtait pas tellement malgré tout. À cause du silence qui y régnait, de l'absence de client, et de l'enfant qui attendait timidement pour retourner les voir. Archélas se redressa, relâchant prudemment son étreinte avant de retourner s'asseoir. Sans quitter Ceithli des yeux, sans trop savoir quoi faire ou quoi dire pour se faire pardonner. Attrapant son verre pour s'occuper les mains, il faillit sursauter lorsque la voix de leur serveuse se fit entendre à quelques pas. La jeune fille, à peine plus haute qu'eux alors qu'ils étaient assis, les épiait comme si elle avait peur pour sa vie... à moins que... Le soldat l'observa d'un air suspicieux alors qu'elle jetait des œillades désolées en direction de son épouse, sans oser la regarder toutefois.
« P-pardon de vous déranger... Je peux prendre vos assiettes ?
_ Oui bien sûr. »
La jeune fille s'exécuta aussitôt, les mains tremblantes, obligeant Archélas à reposer son verre.
« Eh... Il ne faut pas avoir peur comme ça, je ne vais pas la manger tu sais.
_ Oui p-pardon... »
Elle leva les yeux vers Ceithli comme pour s'excuser, puis se dépêcha d'empiler les deux assiettes vides et de filer dans la cuisine. Quelques minutes plus tard, elle revint avec le plat principal. Le ventre d'Archélas gargouillait déjà. Pourtant quelque chose le dérangeait dans l'attitude de la serveuse. S'il était venu vêtu de son uniforme, il aurait pu comprendre sans problème la crainte qu'elle nourrissait à son égard, mais ce n'était pas le cas, et ses réactions lui paraissaient un peu trop exagérées pour être normales.
« Il y a un problème ?
_ N-non monsieur.
_ Attends. Reste ici. La jeune fille se figea et baissa la tête. Qu'est-ce qui se passe ? Elle va bien, tu vois.
_ Oui. Elle leva timidement les yeux pour regarder de nouveau Ceithli. Vous allez pas la frapper, hein ?
_ Bien sûr que non ! Pourquoi est-ce que je ferais ça ?
_ Ma maman veut pas que j'en parle...
_ Et bien... je ne suis pas ta maman. Hasarda le soldat.
_ Bin l'autre jour il y avait des hommes très grands avec une fille, et puis ils arrêtaient pas de lui faire mal. Ils avaient des cornes sur la tête. Maman a dit que je devais rien dire, sinon ils me feraient mal aussi. »
Le visage du jeune homme se décomposa, et de l'inquiétude pour Ceithli, passa à une colère sourde.
« Est-ce qu'elle va bien ? La petite secoua la tête négativement.
_ Il paraît qu'elle habite en dessous du quai maintenant.
_ En dessous du quai ?
_ Oui, à la gare. Elle se cache dessous parce que ça lui fait comme une maison. Maman dit que c'est parce que ses parents ne veulent plus d'elle. »
Les poings si serrés qu'il en tremblait, Archélas se força à respirer lentement. Les yeux fermés alors qu'il passait en revue toutes les façons d'en finir avec ces satanés winghox. Une fille dont les parents ne voulaient plus après qu'elle ait été brutalisée, il n'y avait pas cent scénarios possibles... Il suffisait de repenser à l'idée qu'avait eu leur chef et ce porc de Balaïne en posant les yeux sur Ceithli. Interceptant sa colère, la jeune fille recula. Le cœur du soldat se serra à l'idée même que la pauvre ait pu assister à tout ça sans pouvoir intervenir... et sa fureur redoubla. Il devait se calmer pourtant. Rassurer leur innocente serveuse. Réfléchir aussi. Il soupira.
« Sous les quais, d'accord. Nous irons la voir tout à l'heure.
_ Vous allez la chasser ?
_ Non. On va essayer de l'aider... Si elle veut bien. »
L'enfant se fendit d'un immense sourire.
« Bon appétit alors ! Je vais aider à faire le dessert ! »
Archélas ferma de nouveau les yeux. Lorsqu'il les rouvrit, ce fut pour planter un regard furieux sur son assiette.
« Je ne sais pas ce qui me retient de boire ma poudre de minkar et d'aller les égorger dans leur sommeil...! »