William reporta son attention sur Vince comme s'il venait de se souvenir ce pourquoi ils étaient là. Oui, le p'tit à Dédé, tout à fait ça. Il hocha la tête, conscient qu'il ne l'avait plus tellement sur les épaules. Il était temps de monter, ou bien il ne répondait plus de rien. Mince ! Il n'était pourtant pas venu pour ça. Alors il se força à écouter leur étrange conversation. « Dédé la couronne » ? C'était plutôt drôle comme surnom, et il se demanda ce qui avait bien pu valoir à ce pauvre Dédé d'hériter d'un tel sobriquet. Il évalua mentalement plusieurs possibilités. Des couronnes dentaires ? Il se prenait pour un roi ? Il vivait dans cette partie des Ghettos qui formaient comme une couronne ? Et en passant en revue ses idées, ses yeux voyagèrent vers la salle comme deux petits aimants bleus attirés par d'autres aimants habillés de porte-jarretelles... Ah ! Il voulu fermer les yeux et suivre Vince à tâtons, mais une main sur son bras le fit presque sursauter. En baissant les yeux il vit la gamine, et avant de comprendre son sort, il se retrouva traîné de force – consentant quand-même – vers le devant de la scène. Il fut étonné par la poigne de la jeune fille. Un vrai camionneur, non pas par l'allure mais par la force et un peu le comportement. Elle n'avait pas froid aux yeux, c'était le moins que l'on pouvait dire. Et personne ne s'alarma de la voir traverser ce lieu qui n'était pourtant pas fait pour les filles de son âge...
Quelques clients se retournèrent sur William, un air presque jaloux épinglé au visage. Ouh là... dans quoi est-ce qu'il mettait les pieds ? La jolie brune descendit de son piano et lança un regard langoureux à notre pauvre psychologue qui – soit dit en passant – n'avait pas l'air trop déboussolé. Un regard clair et souriant, sans vice, sans grossièreté... mais emprunt d'une émotion indéniable. Elle lui sourit et posa ses mains sur ses épaules pour sauter au bas de la scène en souplesse. Derrière elle, une autre femme prenait le relais sur le piano pour pousser la chansonnette. Une blonde, rouge à lèvres provoquant, sous vêtements pailletés, talons hauts... et ma foi, un corps parfait !
« Toi, t'es pas du coin, pas vrai ?
_ Non. Fit William sans la moindre gêne.
_ Mais t'es un habitué des cabarets, hum ?
_ En fait non._ Tiens. C'est drôle, parce que t'as vraiment l'air à l'aise. Tu ne transpire pas ?
_ Je devrais ? »Elle désigna d'autres hommes attablés près de la scène. Les yeux hagards et la bouche à demi ouverte, ils portaient des auréoles sous les aisselles ou dans le dos. Certains s'épongeaient le front avec un mouchoir, l'air embarrassé. Bigre, c'était vrai qu'ils transpiraient. La machine à observation de William ne perdait pas une miette du spectacle. Qu'il s'agisse des danseuses aux déhanchés vertigineux, des spectateurs à bout de souffle ou de Lulu qui s'amusait follement à ses côtés. Mais à aucun moment il n'eut ce regard de vicelard que d'autres ne pouvaient plus cacher.
« Il faut dire qu'il fait un peu chaud._ C'est exprès. Tu ne crois pas qu'on va danser à moitié nues par seize degrés ?
_ C'est vrai. Et j'imagine que les perles de sueurs sont plus sexy que la chair de poule... »Elle lui sourit. Will l'amusait.
«_ Je t'offre à boire ?
_ Seulement si ça ne vous coûte rien. Je ne voudrais pas me faire entretenir._ Oh oh, je vois. On a sa p'tite fierté personnelle ? » lui lança-t-elle avec un clin d'œil.
Elle le traîna jusqu'au bar... ou plutôt la suivit-il sans se faire prier, et tous deux prirent place sur de grands tabourets au coussins veloutés. Tout était prévu pour donner cette sensation de douceur enveloppante. Pour que les clients se sentent à l'aise. Chez eux. Dorlotés... Sur la scène, la chanteuse avait quitté son piano pour une pole-dance troublante. Passer d'un crash en planeur à un plaisir des yeux aussi grand – tout est relatif, mais nous parlons d'un homme – c'était presque surréaliste.
« Deux Kirs.
_ Pas pendant le boulot Lulu. Tu sais bien !_ Ok alors un Kir et une limonade.
_ Pas non-plus de boisson gazeuse..._ Ça va, fais pas ton rabat-joie. Un Kir et une bouteille d'eau...
_ Pas de boisson gazeuse ? S'étonna Will.
_ Non. Le patron veut pas. C'est mauvais pour...
_ Pour la digestion ?_ C'est ça.
_ Votre patron veille au grain. Ça ne doit pas être très bon pour son fond de commerce, les renvois au beau milieu d'une danse langoureuse... »La dénommée Lulu éclata de rire. Un client comme celui-là, c'était bien la première fois qu'on lui en pondait un. Elle essuya une larme après son fou rire, prenant grand soin de ne pas abîmer son maquillage.
« Tiens, la p'tite Vince est revenue. J'ai rempli ma part du contrat, j'ai pris soin de toi. Enfin j'espère.
_ C'était parfait._ D'accord beau blond, alors je te laisse. Moi je retourne bosser. »