Il ne savait pas comment le nourrir, s'en occuper, où l'héberger... Il ne savait rien de lui. Il l'avait trouvé au bord de la route, abandonné, petite chose perdue dans la vaste campagne de Banba n'ayant personne pour l'accompagner en voyage. Il avait semblé heureux quand il l'avait aperçu ; une lueur d'espoir était apparue dans ses yeux et il avait couru vers l'homme-cerf.
Et ce dernier le regardait maintenant en face, assis sur un rocher, en réfléchissant à tout cela. L'Orphe affichait une mine dubitative. Il finit par rompre le lourd silence qui s'était installé entre eux deux.
« Pauvre bête, je ne peux décidément pas t'adopter. »
Yvan n'avait jamais voulu d'un âne. C'est bête, ça bouffe rapidement le peu de nourriture qu'il reste, puis ça ne sert qu'à brayer et à transporter des bagages. Bagages qu'il n'avait pas.
Et de toute façon, il avait toujours eu l'habitude d'être seul. Pourquoi changer ça ?
Yvan se posait de sérieuses questions par rapport à l'apparition soudaine de cet âne.
Son maître l'avait-il abandonné ? Ou peut-être était-il mort, attaqué par des brigands qui auraient relâchés la bête ?
Il chassa ces idées morbides de son esprit. Il regarda encore une fois attentivement le gros museau qui le reniflait et qui, à son goût, était trop prêt de son visage.
Il le repoussa puis se leva en se dépoussiérant le derrière.
Après tout, son maître l'avait sûrement perdu. L'homme-cerf pouvait le garder en attendant qu'il revienne le chercher. Ca pourrait peut-être lui faire gagner quelques ores, et ça, il en avait besoin !
Et si son maître ne revenait pas ?
Il n'aurait qu'à revendre l'âne. Le résultat serait le même.
C'était triste à dire, certes, mais l'éventualité d'une somme rondelette réjouissait Yvan.
Il ne mangeait pas tous les jours à sa faim. Et c'était un problème qu'il devait vite résoudre.
Il sourit donc à l'âne et lui demanda d'avancer gentiment.
Choses inutiles, c'est vrai, mais l'Orphe avait toujours été plus poli avec les animaux qu'avec les humains. Même si les braves bêtes ne le comprenaient pas.
Il prit donc en mains les rênes de l'âne et partit en direction du marché annuel.
Si son maître était quelque part (et il ne devait pas être bien loin), c'était sûrement là-bas.
« Combien de jours devrai-je le garder ? » pensa Yvan.
Il réfléchit à ce petit détail.
Pas trop longtemps aurait été parfait. Mais il ne fallait pas qu'il ne le garde qu'un jour ou deux, histoire de laisser le temps à son maître de récolter les informations nécessaires qui le mèneront jusqu'à lui.
Après tout, c'est difficile de trouver un âne, même dans une petite ville comme Banba.
Une semaine, c'était parfait. A négocier si l'équidé se montrait trop entêté.
En parlant d'entêtement, Yvan en fit les frais à mi-chemin de l'arrivée. L'âne s'arrêta pour aller brouter de l'herbe qui semblait plus verte qu'ailleurs.
Yvan le laissa manger tranquillement. Il n'allait pas l'en empêcher ; il n'était pas un monstre après tout !
Mais le problème, c'est qu'après 10 minutes de « broutement intensif », la bête resta collée à ce qui semblait être le paradis pour elle. Malgré qu'Yvan tira fortement sur les rênes et l'empressa de finir son repas, l'âne s'obstina à manger.
L'Orphe poussa un grognement de mécontentement. Se faire retarder par un âne ! C'était bien la dernière chose qu'il aurait voulu. Le marché annuel de Banba était quelque chose à ne pas rater !
Or, il commençait à se faire tard. Il fallait qu'ils arrivent avant la nuit ; le marché risquait de fermer. Bien sûr, il serait là encore demain ; mais Yvan aurait voulu en profiter un maximum.
Il passa une main dans ses cheveux puis soupira, soulevant une mèche.
Il attendit d'un air blasé que la bête soit rassasiée pour repartir.
Lorsque cette dernière eût fini, elle poussa un long cri.
« J'espère que tu ne fais pas ça chaque fois que tu finis de manger. » murmura Yvan en levant les yeux au ciel. « Bon, en route maintenant ».
Et il entreprit de parcourir rapidement le long chemin qui le séparait encore du marché annuel.
---> Pour Galatea