Alors que la discussion avait repris doucement, l'un des membres de l'équipage les quitta en s'excusant pour retourner dehors. Antiphane remarqua que celui-ci avait levé la tête, comme s'il avait entendu quelque chose. A son tour, il regarda en direction du plafond, s'attendant à entendre des pas. Mais rien ne se passa. Il ne percevait même pas les mouvements du bateau, un peu comme s'ils étaient bien sur la terre ferme. Pourquoi le capitaine Meriel était-il parti ?
Le cortésian ne put rester tranquille le temps de son absence. Il gesticulait maladroitement sur ses genoux, commençant à ne plus sentir ses jambes qui s'engourdissaient. Aussi, il n'écoutait que d'une oreille distraite ce qui se disait autour de lui. A l'intérieur de sa tête, il ne cessait de se demander quelles pouvaient être les raisons de son départ. Soudain, la porte s'ouvrit, laissant entrer la lumière du soleil, puis chacun put découvrir l'arrivée d'un nouvel arrivant. Les deux autres qui étaient restés avec Antiphane et Kalavati ne cachèrent pas leur joie en l'accueillant et la saluant chaleureusement.
Quant à lui, il la regarda du coin de l'oeil. Au fond de lui, il considérait que cela faisait beaucoup de nouveaux visages en si peu de temps. Car cela signifiait qu'il devrait être encore plus prudent. D'abord, que faisait-elle ici ? Personne ne semblait la connaître. Peut-être était-elle comme eux, une simple voyageuse à qui Meriel avait proposé de faire un bout de route ensemble. Cependant, Antiphane remarqua qu'elle était seule, or qui prendrait le risque de s'isoler si loin des villes ? Cette femme à tête d'animal ne lui inspira pas du tout confiance. Néanmoins, il lui adressa un hochement de tête en guise de salutation.
« Vous vous rendez aussi à Guttenvald ? » Il ne chercha même pas à masquer sa surprise surjouée. « Nous aussi, c'est une drôle de coïncidence tout de même. » Qui plus est, il n'appréciait pas de voyager avec une personne qui se rendait à Guttenvald, cette ville ayant une réputation assez mauvaise. Et ce, même si lui aussi s'y rendait.
« Ce qui signifie que tout le monde nous abandonne une fois là-bas ? » Demanda Locia avec une moue boudeuse, qui lui donnait des airs enfantins. Son frère Meriel lui répondit qu'il resterait à nouveau entre-eux, comme auparavant. Elle soupira d'abord, puis afficha un jolie sourire. Rien ne paraissait surpasser leur bonne humeur. En se relevant, elle fit craquer ses genoux. Puis alla récupérer une tasse pour la nouvelle arrivante. Elle la posa juste devant elle et aussitôt après Lounou lui versa un thé chaud.
Puis Meriel qui observait la scène rajouta juste après : « Je n'y pensais plus vraiment, mais nous devons aussi nous arrêter quelques temps à Guttenvald. Un vieil homme s'y trouve actuellement, et nous devons lui vendre un objet. » Il s'interrompit quelques instants et Antiphane s'attendit à ce qu'on leur montre l'objet dont il était question, mais il reprit soudainement.
« Pentagruel, cet homme court partout !
- Partout où il y a des richesses ! » Surenchérit Lounou se mettant à rire.
A cet instant, Antiphane sentit que le bateau reprenait les flots et adoptait un rythme lent et même apaisant. Il glissa sa main jusqu'à sa tasse et la maintient, de peur qu'elle ne tombe. Ce geste préventif était totalement inutile étant donné que le bateau semblait avoir décollé tant les balancements étaient doux.
« Qui est Pentagruel ? » Voulut se renseigner Antiphane.
« Ce vieil homme est une sorte de marchand... En réalité, il n'est pas marchand, mais il vagabonde un peu partout pour s'enrichir. Son seul but est de posséder le plus d'objets de valeur. » Puis il rajouta, se souvenant soudainement. « Il était banquier avant ça ! »
Ces informations soulagèrent Antiphane qui se dit qu'il n'y avait rien à craindre d'un vieil homme tel que lui.