Lui donner faim ? Néthi ne compris pas l'allusion que lui faisait Ordalie. Après tout, elle n'était pas chien pour avoir la bave aux lèvres devant un oiseau, promesse d'un repas savoureux... Elle se contenta donc de lui sourire, laissant briller l'éclat amusé de ses yeux turquoises au milieu de son visage cuivré. S'il avait si faim que cela, elle lui porterai volontiers ce qu'il voudrait. Traverser le désert du Mahjour, tout de même, ce n'était pas rien. Elle alla s'asseoir en face de lui, rangeant sagement ses mains fines sur ses cuisses que les pans de lin blanc couvraient à peine. Pas de pudeur chez les Ohimes... mais pas d'exhibitionnisme non-plus. Le tissu couvrait l'essentiel et elle n'avait pas à en rougir. Seuls les gardes ou les hommes amenés à affronter le désert se couvraient du Chèche, pour se protéger de la morsure du soleil et des griffures du sable. Mais dans sa maisonnée enterrée aux deux tiers, Néthi n'avait rien à craindre des éléments extérieurs. Son regard où luisait la curiosité mêlée à la compassion observait Ordalie avec attention. Qu'avait bien pu pousser ce jeune homme à traverser le désert et à en braver ses dangers ? Peut-être bien que la réponse résidait quelque part dans ses trop nombreuses cicatrices... et malgré cela, il arrivait encore à sourire.
« Oh, vous aviez un bagage ? Lepti le trouvera pour vous, ne vous en faites pas. Il connaît bien le désert. Et puis le seigneur Kaha m'a demandé de veiller sur vous, et vous m'avez l'air de manquer de repos. » Lui dit-elle en souriant à son tour.
Il était presque étonnant de ne pas la voir ponctuer sa phrase avec un clin d'œil. Donner des ordres et contraindre les gens à faire ce dont ils n'avaient pas envie, ce n'était pas vraiment son credo. Alors seule la douceur lui servait d'arme pour convaincre... un moyen comme un autre de parvenir à ses fins, et tout naturel chez elle. Et puis juste après, elle éclata d'un rire joyeux et cristallin, amusée par la voracité de son hôte. Ce n'était pas très courant de voir un homme avaler autant de miel comme si sa vie en dépendait... d'habitude, ce mets se révélait rapidement écœurant. Pourtant, Ordalie s'en goinfrait comme elle n'avait jamais vu personne le faire. Elle porta une main à sa bouche afin d'étouffer tant bien que mal son hilarité et s'excusa d'un regard navré... elle parvint même à rougir sous la teinte chocolat de ses joues. C'était le moment où jamais de changer de sujet...
« Les Raanaï sont des créatures sacrées, elles protègent le désert et notre Oasis. C'est étonnant que vous n'en ayez pas croisé... Fit-elle rêveusement, comme si elle pensait à voix haute. Ils ressemblent à de grands voiles flottant au gré des courants et des tempêtes de sables. Comme des oiseaux, mais ils n'ont ni serres, ni pattes... ni bec... En fait, ils ne sont que deux grandes ailes minérales. La plupart du temps, ils glissent sous le sable et on les voit pas. Mais lorsqu'une caravane s'approche de trop près, ils surgissent et... »
Elle s'arrêta subitement, réalisant que la suite était trop difficile à raconter pour sa sensibilité exacerbée. Changer de sujet, encore ?
« L'échine métallique est une curiosité. Les écrits de la bibliothèque prétendent qu'elle est apparue il y a une centaine d'années, le jour où le grand chariot de feu s'en est allé irradier l'est. J'ai entendu dire que le métal restait froid malgré son exposition en plein milieu du désert, offert au soleil. Je ne l'ai jamais vu, mais peut-être que Lepti pourrai vous y conduire, un jour... »
Elle se leva enfin, laissant à Ordalie le soin de digérer ses paroles. Et pour occuper ses mains, elle alla lui cueillir son verre d'entre ses mains pour le remplir à nouveau, et le lui tendre gentiment.
« Les Meph Djinn ont découvert le corps mutilé d'un Raana, lorsqu'ils sont allés observer l'échine métallique. Nous ignorons qui a osé commettre un tel crime. Tout le monde ici est inquiet. Jamais encore nous n'avions connu pareil désastre. Même les archives ne mentionnent pas d'offenses faites aux Raanaï. Mais là encore, je ne fais que vous rapporter ce que j'ai entendu... De tout cela, je n'ai rien vu de mes propres yeux. »