Précédemment : Loin des yeux
S'il n'avait pas été au moins aussi furieux que son épouse, Archélas se serait inquiété du regard qu'il croisa en se tournant vers elle. Ceithli ne semblait pas simplement en colère... elle reflétait un état proche de la rage. Une rage froide. La plus dangereuse qui soit. Disparue, la jolie jeune fille innocente. C'était la mère blessée qu'il avait face à lui. La prédatrice prête à défendre ses petits au péril de sa vie. Prête à un combat sans merci. Et Archélas n'allait certainement pas chercher à la raisonner ! Lui-même commençait déjà à réfléchir à un plan d'attaque, mais pour cela il lui fallait revêtir son uniforme. Aussi hocha-t-il la tête lorsque son épouse exigea de rentrer prendre quelques affaires.
À peine arrivés, Archélas se précipita à la salle d'eau et enfila sa tenue de soldat. Silencieux tant il serrait les dents et les poings sur la vengeance qui le consumait, il alla également récupérer son épée qu'il accrocha à sa ceinture, et quelques objets restés dans les fontes de sa selle. La poudre de Minkar notamment, même s'il l'avait prévue pour un tout autre dessein. Cette maudite serveuse voulait son attention ? Elle l'avait ! Et elle allait amèrement le regretter... Lorsqu'il fut enfin, il partit à la recherche de Ceithli qu'il n'avait pas entendu rentrer. En fait, il ne s'était pas rendu compte qu'elle s'était arrêtée pour parler avec son père... il n'avait d'ailleurs même pas remarqué le retour de Rheänor. Malgré tout, le temps d'enfiler ses bottes et de lacer sa brigandine, il fut prêt en même temps que son épouse qui avait enfilé bien moins de vêtements que lui. Il entra dans la chambre au moment même où la lame du couteau qu'elle fourrait dans son sac scintilla avant de disparaître.
« Je suis prêt. Confirma-t-il gravement. Mais Ceithli, tu es déjà recherchée pour le meurtre de Chaemil... Laisse-moi m'occuper d'elle... »
Il se doutait qu'elle refuserait le compromis et pourtant, Archélas n'était définitivement pas prêt à perdre sa femme. Tout comme il ne l'était pas à perdre ses enfants. Finalement, il s'approcha d'un pas et lui pris la main.
« Tu sais où elle va ? À sa détermination, le soldat jugea que oui. Rheänor avait dû revenir, il l'avait manqué. Ça ira ? Tu vas pouvoir te concentrer suffisamment pour visualiser un endroit qu'on a déjà visité ? »
Apparemment, oui. Un battement de cils plus tard, Archélas se retrouva à quelques centimètres de tomber à l'eau ! Surpris, il fit un bond en arrière, entraînant Ceithli avec lui. Il écarquilla les yeux, affolé de se retrouver tout à coup face à l'océan. Des cordages jonchaient le sol, et l'odeur caractéristique du poisson et de l'iode lui envahit les poumons. Balaïne ! Cette frustrée de serveuse avait-elle prévu de vendre ses enfants sur le marché aux esclaves ?
« Pars devant, j'ai une ou deux choses à régler. Elle n'a pas choisi la bonne ville pour se cacher ! Il s'interrompit tout à coup, hésitant. Tu vas trouver la gare toute seule ? Je fais vite, tu peux m'attendre si tu veux. »
Et pour ne pas mentir, il se retourna pour se diriger tout droit vers la rue principale, traversant la foule en jouant des coudes sans douceur. Rapidement, la tension devint palpable et les marins se mirent à grogner. On ne bousculait pas un matelot sans en subir les conséquences... mais Archélas marchait vite jusqu'à trouver ce qu'il cherchait. Un empilement de caisses près d'un étal de poissons était le piédestal idéal ! Grimpant sur les deux caisses, il se mit à siffler afin d'attirer l'attention de la foule. Nemesis et Matsya allaient rappliquer mais tant pis...
« Messieurs, mesdames, votre attention s'il vous plaît.
_ Vas au diable, chien de Livian !!! Mais Archélas n'avait pas le temps de s'offusquer.
_ Une femme vient de prendre le train pour Balaïne. Cette femme a volé deux enfants à Aspasie. Le brouhaha ambiant se tut légèrement. Bien. Il avait piqué la curiosité de quelques habitants. J'offre une forte récompense à celui ou celle qui me ramènera ces enfants !
_ Forte comment, la récompense ?
_ Ils ont quel âge ces mômes ?
_ Les enfants n'ont que quelques jours à peine. Ils sont morphes félins, vous ne pourrez pas les confondre. »
Il y eut un presque silence. Les matelots qu'Archélas avait bousculé quelques temps plus tôt se concertaient. L'appât du gain allait être son allié. Ici, les pirates ne crachaient jamais sur les Ores. De sa position, le soldat aperçu soudain le nuage de fumée caractéristique de la locomotive et se laissa tomber précipitamment. Ils devaient atteindre la gare au plus vite ! Ce qu'il n'avait pas prévu, c'était que la garde de Manôlis ne verrait pas d'un très bon œil cette petite chasse à l'homme. Et alors qu'il se dirigeait vers les remparts pour sortir de Balaïnes et atteindre la gare, Archélas se retrouva nez à nez avec deux lames croisées devant lui.
« Halte là ! Grimm PUSKOF demande à vous voir !
_ Je n'ai pas le temps...
_ Vous l'aurez pour moi. » Le coupa une voix derrière lui.
Archélas se figea. Par Alrik, il ne manquait plus que Puskof...