Les trois hommes, ou à ce stade, deux et demi, n'étaient pas très attentifs aux formes obscures qui s'approchaient d'eux à bonne vitesse. Deux trop occupés à se hurler dessus, le troisième en train de se vider de son sang. Un des chevaux finit par arracher sa longue et s'enfuit à tout galop dans le bordel complet, mais il n'allait pas aller loin, à foncer droit sur trois félins de mauvaise humeur.
Ce fut ces hennissement-là qui attirèrent l'attention des hommes sur ce qui se cachait derrière le déluge. Un éclair déchira le ciel, et soudain, ce n'était plus caché du tout ; les deux hommes encore debout ne cherchèrent même pas à attraper un cheval dans l'état de panique dans lesquels ils étaient, et tentèrent directement de s'enfuir à toutes jambes, laissant leur compagnon-là sans remords.
Ils allaient devoir courir bien vite pour échapper à deux manekis et un orphe lion encore plus imposant.
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Le petit botaniste, lui, se fit réveiller quelques heures plus tard, alors que le soleil n'avait même pas fini apparaître à l'horizon, par une grande langue râpeuse qui lui léchait la figure. Benedikt couina et se tortilla pour échapper à l'humidité baveuse et finit par ouvrir un œil, regagnant peu à peu ses esprits. Et ouvrit des yeux immenses lorsqu'il aperçut qu'il y avait bien une bestiole avec le museau trop près de lui.
Jusque-là, tant pis si sa seule intention était de lui lécher la figure, sauf que c'était un grand candélabre dont le gros museau ne lui cachait pas les bois immenses qui s’étendaient de chaque côtés de sa tête. Le botaniste resta figée là quelques instants, observant le cervidé en train de faire exactement la même chose en retour, comme si c'était Benedikt qui avait un troisième œil au milieu du front. Jusqu'à ce que ce dernier éternue brusquement ; en un instant, le candélabre avait bondi et disparu comme si ce n'était qu'une rêve.
Benedikt se redressa avec hésitation, pas vraiment sûr de l'endroit où il était, ni de ce qu'il devait faire. Il avait faim, ça c'était sûr, mais ça allait être probablement bien difficile de trouver de quoi manger ici alors qu'il faisait encore tellement froid. Bon, au moins, il avait une dague qui pouvait être utile. Le petit botaniste regarda autour de lui et décida de marcher dans la direction d'où la lumière semblait parvenir jusqu'ici.
Il ne lui fallut pas si longtemps pour rejoindre la lisière de la forêt, mais il s'arrêta un peu avant, effrayé de se montrer d'une manière aussi visible alors que la bande à laquelle il avait échappé il y avait seulement quelques heures était peut-être encore en train de le chercher.
Surtout quand il en avait peut-être tué un. Benedikt fronça le nez et les sourcils et joua avec la bague gravée qu'il avait remis à son doigt.
Maintenant serait un bon moment pour essayer d'envoyer quelque chose à Vrass avec, d'abord rien que pour voir s'il obtenait une réponse ; mais le petit botaniste fut incapable de s'y décider, trop peu courageux. Il restait là une bonne demi-heure sans savoir quoi faire, guettant les plaines jusqu'à ce que le soleil soit tout juste levé. Est-ce qu'il devait rebrousser chemin ? Ou risquer d'aller à Wingdrakk ? Le petit botaniste sentait mal l'idée de traverser les montagnes dans l'état et la situation où il se trouvait, mais retourner à la Basse-ville était tout aussi stupide. Ce qui voulait, c'était retrouver Vrass, et Kallistrat, et aussi Pomporo, les trois sains et saufs et souriant, tiens, avec ça. Il baissa les yeux sur la bague lové dans sa paume.
Cette fois, c'était le moment d'avoir le verdict concernant le tatoueur. Benedikt n'avait jamais été très religieux mais semblait plus prier Alrik que se concentrer sur son message à cet instant.