Les messages suivants s'adressent à un public averti (scènes de violence, érotisme). Âmes sensibles, s'abstenir.
Et puis la porte refermée, il y avait eu un silence un peu gêné. Zlata était retournée à sa place et Kjeld avait finit par revenir à ses questions incessantes, en parfait curieux. Il n'était pas tellement inquisiteur ni agressif mais témoignait d'un intérêt enfantin un peu usant. Puis, lorsque les réponses de Zlata avaient tardé à se faire entendre et qu'elles avaient été plus brèves et moins cohérentes, le jeune homme avait finit par comprendre qu'elle s'endormait et s'était résigné à la laisser en paix. Il avait généreusement réalimenté le feu et avait ensuite étalé les couvertures au sol, comme un domestique docile qui faisait les lits pour ses maîtres. Puis il s'était allongé sur l'une d'entre elles, les mains croisées derrière sa nuque. Son torse nu avait séché et la chaleur fournie par le foyer et les chevaux avait suffit à faire cesser ses tremblements. Seules ses jambes, qu'il avait repliées et qu'il s'évertuait à rapprocher de l'âtre, étaient restées humides et froides. Mais il avait renoncé à retirer ce vêtement, jugeant que Zlata n'apprécieraient pas forcément la vue... Ce qui se passa ensuite, il serait bien incapable de vous en parler, car le sommeil s'était abattu sur lui soudain, jusqu'à ce qu'il finisse par s'endormir.
Il n'avait fait aucun rêve cette fois, et c'est reposé qu'il s'était réveillé, le foyer éteint, la pièce froide. La nuit venait de tomber, la pluie, de cesser. Et à cours de questions à poser, tous deux avaient décidé de repartir. Mauvais cavalier, Kjeld avait bien évidemment ralentit leur progression, se plaignant tantôt d'avoir mal aux fesses, tantôt d'avoir le dos en bouillie... et lorsque Zlata avait voulu galoper dans un moment d'excitation passagère, le jeune homme fit l'exploit de tenir trois foulées avant d'aller goûter aux racines des chiendents...
Il se voyait et il n'était pas lui. Il se sentait remuer et il ne bougeait pas. Il se sentait haïr alors qu'il avait peur. Devant lui, comme un autre lui-même, un jumeau dément, l'autre secouait Alastar en l'agrippant à la gorge, le regard fou. « Arrête ! » pensait Kjeld de toutes ses forces, mais l'autre ne l'écoutait pas et ne s'acharnait que d'avantage, extirpant des yeux du vieil ivrogne une lueur terrifiée. « Arrête ! » répétait Kjeld. « Arrête ! Arrête ! », et il n'arrêtait pas. La nuit tombait. L'autre se sentait fatigué et lui... aussi. L'autre voulait dormir et Kjeld s'endormait. Lorsqu'il rouvrait les yeux, il gisait au fond de la carriole, le corps douloureux, dans une mare de sang. Lorsqu'il se redressa, Alastar fixait le ciel de son regard vitreux. Lorsqu'il voulu lui porter secours, ses larmes roulèrent sur ses joues, creusant deux sillons curieux dans le sang qui y avait séché. Le vieux était mort, et lui était incapable de se souvenir de quoi que ce soit, et lui tentait de se persuader que les coups portés à sa tête avait effacé un morceau de sa vie. Ça n'aurait pas été la première fois...
Et puis le galop des chevaux se fit entendre et Kjeld se retourna, inquièt. Deux soldats accouraient dans sa direction, l'air furieux. Il voulu s'écarter, mais il était trop tard et les deux hommes l'avaient saisit, chacun par un bras, sans ralentir leur allure. Il vit le sol défiler sous ses pieds et se rendit compte qu'il ne portait plus les mêmes vêtements et qu'il ne saignait plus. Il avait... grandit ? Les soldats l'avaient relâché et il tomba lourdement face contre terre. Il lui sembla que les chevaux le piétinaient tant la douleur était atroce. Il rouvrit les yeux et tenta de se redresser et de nouveau, il le vit, le sentit, le désapprouva.
L'autre tenait une arbalète dont un trait parti en sifflant et alla se planter dans la gorge de l'un des soldats. « Arrête ! » réitérait Kjeld en suppliant. Il vit l'homme tomber et se faire traîner sur plusieurs mètres par sa monture. Il se sentit courir malgré lui et grimper sur le dos de l'animal et il vit, là-bas, une jeune femme. Blonde... des cornes... Des cornes ? Il vit le second soldat tomber suite au cabrer paniqué de son cheval et il se sentit ballotté, malmené, secoué drôlement, jusqu'à réaliser que lui aussi, chevauchait. Et il vit, devant lui, Zlata qui le regardait l'air vaguement affolé. « Arrête ! » ordonnait Kjeld. Mais l'autre n'arrêtait pas. « Arrête ! »
Les yeux écarquillés et son cœur battant à tout rompre, il jeta un regard perdu sur ce qui l'entourait : des arbres. Où était-il ? Allongé pour une halte, son cheval sombre aux reflets des cerises estivales mâchonnant quelques feuilles à ses côtés. Il se redressa sur un coude, se souvenant tout à coup de la jeune femme qui partageait sa route et la chercha brièvement des yeux, l'esprit confus. Il secoua la tête, cherchant à y remettre un semblant d'ordre, puis s'assit. Des arbres ? Oui. Ils avaient atteint la forêt des Ombres et cherchaient un bac pour traverser le Lapis avec leurs chevaux. Le vent s'était apaisé, parce que la forêt lui faisait barrage, mais la brume persistait, froide et poisseuse. Un sale temps, véritablement.
Où était Zlata ?