Benedikt attrapa la tasse d'une main et un sachet de thé dans la boite de l'autre pour le plonger dans l'eau fumante.
« Ah, d'accord. » déclara-t-il alors, pas très gêné par la remarque du tatoueur qui venait de lui dire qu'il ramènerait ses achats tout seul à travers la Basse-ville et les Ghettos. Il n'avait en fait que très peu d'idées sur le poids que pouvait avoir une machine à laver, ça avait simplement l'air lourd. Mais après tout, c'était Vrass, non ? Excepté hier, il était loin d'avoir la carrure d'un gamin. Sauf que le dit Vrass avouait qu'il était en train de se moquer de lui, maintenant. Le botaniste ne s'en offensa pas un instant, déjà émerveillé en imaginant une de ses grosses machines blanches et brillantes à l’œuvre.
« Ils vont faire tout à ta place, en fait ? C'est super ! »
Le sujet Nathan abordé, un sourire se glissa sur le visage de Benedikt lorsqu'il vit le clin d’œil de Vrass, plutôt soulagé qu'il n'ait pas mal pris sa question. Cela l’inquiétait un peu lui aussi de le laisser voir son fils seul, mais il fallait bien que cela se fasse un jour, n'est-ce-pas ? Et demander au tatoueur d'attendre un autre moment pour aller à l'orphelinat était hors de question, pour de multiples raisons toutes plus valables les unes que les autres. Il n'aurait pas eu le temps de le faire, de toutes manières, car c'est à cet instant qu'il plongea sous la table.
« Ben, heu... si, un peu, quand même ? » hésita Benedikt, avant de regarder Vrass s'éloigner vers le devant de la boutique.
Pour commencer, là, il estimait ne pas avoir une tenue convenable pour se montrer à des inconnus, qui plus est des clients. Mais il y avait aussi que dans l'esprit du botaniste, affaires amoureuses et professionnelles ne faisaient pas bon ménage. Ce n'était pas difficile de comprendre d'où cette idée venait, mais principalement, Benedikt avait ce concept étrange que leur relation avait pris une tournure où l'affection avait en quelque sorte sa place – il fit particulièrement attention à laisser ses pensées tout à vague pour ce domaine -, et que, de fait, elle devait rester plutôt secrète. Embrasser Vrass dans la rue ? Pourquoi pas, ce n'était pas comme s'ils transpiraient l'amour, après tout, cela ne voulait rien dire ! Laisser des clients du tatoueur le voir se promener comme s'il était chez lui pour prendre son petit-déjeuner, ou pire, les revoir plusieurs fois, c'était beaucoup choquant pour lui. Le raisonnement était tordu, mais avoir quelqu'un chez soi, c'était terriblement personnel et... familial. Pour le botaniste, du moins, qui n'était pas connu non plus pour la clarté de son jugement en ce qui concernait les sentiments. Il secoua la tête comme pour faire s'envoler toutes ses pensées, puis finit son thé rapidement pour disparaître à l'étage quelques instants, le temps de s'habiller correctement et de vérifier qu'il avait l'air présentable.
Il redescendit, mit son sac en bandoulière et ressortit de la boutique en compagnie de Vrass, sous le soleil rayonnant. La perspective de devoir finir son classement mortellement ennuyeux n'avait pas encore attaquée sa bonne humeur, et ce fut avec un air radieux qu'il laissa Vrass à l'angle d'une rue après avoir déposé un baiser instantané sur ses lèvres.
Quelques minutes plus tard, Benedikt poussa la porte d'un imposant building grisâtre et se dirigea vers un long comptoir, au-dessus duquel trônait un panneau « Accueil » écrit en capitales. Il sourit à la secrétaire aux cheveux bruns résolument relevés, assise derrière droite comme un i.
« Bonjour ! Vous pouvez prévenir le département des archives que Benedikt Bloom est là ? »