La petite sonnette de l'entrée avait tinté dans son « bureau », et une ampoule avait clignoté juste au-dessus de la porte. Signaux auditif et visuel sans équivoque : quelqu'un venait de pénétrer la salle d'attente. Sa secrétaire avait eu sa journée et lui rassemblait dans un carton ses dossiers confidentiels et presse-papier porte-bonheur offerts par ses plus jeunes patients. Patients qui n'étaient pas censés se présenter aujourd'hui. William se redressa, un peu surpris. À moins que...? Cette irruption dans son future ex-cabinet ne pouvait signifier qu'une seule chose : de la main d'œuvre venait de se présenter ! Ravi et gorgé d'espoir, il eut à peine le temps de refermer un tiroir pour contourner le grand bureau de bois, que l'âme charitable venue à son secours frappait déjà.
« Entrez ! »De jolies boucles brunes occupées à bondir sur une paire d'épaules entrèrent aussitôt, accompagnées d'un regard un peu inquiet qui intercepta le sien. Comme une série de diapositives, William y lut l'interrogation, l'espoir, l'inquiétude peut-être. Celui-là ferait un bon client pensa-t-il avec un sourire. Mais l'autre confirmait qu'il n'était là que pour l'offre d'emploi, aussi le psychologue se contenta-t-il de lui tendre une main amicale et chaleureuse.
« Bonjour ! William. Se présenta-t-il.
Je vous remercie d'être venu. J'ai fini de rassembler mes affaires, si vous voulez bien m'aider à porter mes cartons jusqu'à mon nouvel appartement. »Sur ce, il lui désigna le meuble ancien sur lequel l'ordinateur dernier cri faisait un peu tache. Pas moins de quatre cartons remplis à ras bord de dossiers et d'objets en tous genre leur tendait les bras, et pour montrer l'exemple, William en empila deux l'un sur l'autre qu'il souleva à bras le corps avant de se diriger vers la sortie. Il n'ouvrit les portes sur son passage qu'à coups de pieds, appuyant sur les poignées d'un coude hésitant, poussant parfois avec une hanche ou les fesses. En bas de l'immeuble, le gardien leur ouvrit en se précipitant au-devant d'eux.
« Vous allez nous manquer monsieur Hayner. Fit-il avec une pointe de regret dans la voix.
_ Vous pourrez me rendre visite André, ce sera avec plaisir. » Lui répondit William à la cantonade.
Une fois à l'extérieur, les deux hommes marchèrent une bonne dizaine de minutes avant d'entrer dans un nouvel immeuble. Pas de gardien cette fois, mais une femme de ménage qui les regarda entrer d'un air suspicieux. Deux étrangers dans son immeuble ? Et quoi encore ? Mais William ne se formalisa pas de cet air revêche et lui servit un sourire franc, se présenta, et lui demanda poliment de lui montrer le chemin car il était un peu perdu. C'était évidemment faux, mais faire en sorte que la vieille femme se sente indispensable lui assurait sa sympathie. Aussi, une fois dans son appartement que la femme de ménage eut la gentillesse d'ouvrir pour lui – trop encombré de ses cartons – il posa son fardeau à même le sol et s'étira en grimaçant. Sans mauvais jeu de mots, toutes ces confidences faites par ses patients pesaient lourd !
« Je vous sers quelque chose ? Je n'ai pas encore de réfrigérateur et je n'ai que du soda caféiné, mais c'est mieux que rien. »Et sans attendre de réponse, il fila vers la cuisine pour en revenir avec deux verres remplis de bulles paresseuses qu'il posa sur la tablette de la cheminée moderne, puis disparut de nouveau vers une autre pièce. Lorsqu'il revint, un seau et une serpillère en main, la porte s'ouvrit à la volée sur un deuxième homme qui le fit sursauter. Déjà un voisin mécontent ? Mais ils n'avaient pas encore commencé ! L'air incrédule de William se changea pourtant en un sourire lorsqu'il compris que l'intrus venait également pour l'annonce. Maintenant qu'il y pensait, il ne seraient pas trop de trois pour tout récurer étant donné l'état de l'appartement. À croire que les précédents locataires ne connaissaient pas le sens du mot « hygiène ». Mais alors que le psychologue s'apprêtait à se présenter à ce nouveau volontaire, une phrase le fait éclater de rire.
« Ah ah ah ! Pardon... s'excusa-t-il, peinant à retrouver son sérieux.
C'est que votre phrase était un poil tendancieuse tout de même ! Enchanté, William. Se présenta-t-il pour la seconde fois.
Je vais nous chercher de quoi lessiver sol et plafond. »S'essuyant les yeux après son fou-rire (« moi je mouille, lui il essuie », il fallait oser), il disparut de nouveau dans la salle d'eau à la recherche d'un balai brosse et d'un bidon de dégraissant surpuissant. Dans ce qui devait devenir sa future salle d'attente, le sol était recouvert de crasse. Jusqu'au plafond, des tâches d'on ne savait quelle sauce, des petits tas de miettes dans les coins et les marques claires des tapis sous lesquels le carrelage avait été miraculeusement épargné. La lumière du jour filtrait à peine à travers les carreaux rendus opaques par la saleté et obstrués de grands stores poisseux et poussiéreux. Sans parler des poignées de porte gluantes et des traces d'éclaboussure sur les murs. Oui, il y avait de quoi faire !