Nous avions reçue une lettre étrange, comme une sorte de convocation. Au début, nous n'avions pas tout de suite compris de quoi il pouvait bien s'agir, ou du moins pour ma part, car je ne pouvais pas affirmer non plus ce que pouvait penser mon double. Malheureusement, si j'aurais jeté ce morceau de papier sans la moindre once d'hésitation, il s'avérait qu'au moment où nous l'avions reçus, c'était Octanis qui était de sortie. Et l'humeur de celui-ci était suffisamment enjouée pour qu'il accepte de participer à ce genre d'entretien. C'est donc ainsi qu'il c'était directement rendu à l'une des boutiques de Sayah, à la nuit tombante. Par chance, Belladona était en train de dormir, elle n'avait pas été capable de tenir éveillée plus longtemps une fois que le soleil avait disparu à l'horizon, et nous avions donc soigneusement fermé à clé afin que personne ne puisse lui nuire durant son sommeil.
L'Orphe saurien nous avait donc envoyé ailleurs, et nous étions donc arrivés sur une sorte de plateau, comme ceux que l'on pouvait voir à la télévision, à la différence près que celui-ci n'accueillait que deux fauteuils, dont un qui était déjà occupé. La personne qui s'y trouvait était un homme d'une quarantaine d'années, et j'avais la vague impression de déjà vu, comme si dans mon passée il avait déjà présenté ce genre de mise en scène. En nous voyant apparaître, il c'était tout simplement levé afin de venir nous serrer la main, et nous avancions alors dans sa direction, un sourire aux lèvres.
« Bonsoir. Monsieur… ? » Il s'adressait à nous avec un mélange de respect et de sympathie. Nous saisissions alors sa main afin de lui accorder une bonne poigne digne de n'importe quel représentant de la gente masculine.
- Vilal. Vilal Vaen. Mais contentez-vous simplement de m'appeler par mon prénom. » La confiance se lisait clairement dans notre voix, et j'étais toujours autant impressionner par le jeu d'acteur de mon alter ego, car j'étais à cet instant parfaitement conscient que tout cela n'était que comédie pour lui.
- Très bien, Vilal. Si vous n'y voyez pas d'inconvénients, pouvons nous commencer tout de suite ? » Nous disait-il en nous désignant le fauteuil qui allait nous servir tout le long de cette entrevue. D'un hochement de tête, nous acquisions simplement pour ensuite nous diriger vers ce qui allait être notre place durant ce cours moment de la soirée.
Une fois que nous étions installés, l'homme regarda quelques instants ses fiches pour ensuite reporter son attention sur nous. Il était parfaitement calme, preuve qu'il devait avoir l'habitude de ce genre de chose. Nous même n'éprouvions aucun ressentiment à nous trouver là, mais il fallait croire que ma moitié avait un don certain pour apaiser mon propre esprit. Le présentateur se penchait alors un peu plus vers nous, pour enfin ouvrir la bouche et reprendre la parole.
« Cette première question risque de vous paraître un peu difficile, mais en quoi pensez-vous être un héros ? » Il semblait nous épier, rechercher la moindre réaction chez nous, et peut-être même lire au travers de nos prunelles dorées. D'un air confiant, nous nous installions confortablement au fond du siège avant de croiser nos jambes.
- Je vais vous répondre sincèrement : je ne pense pas être un héros. » Il semblait être intrigué, mais il nous laissa poursuivre. « Voyez-vous, ce terme est bien trop utopique pour que l'on puisse l'associer à un individu. Autrefois, cela aurait pût passer, mais aujourd'hui, peut-on seulement encore parler de ce genre de chose ? Je ne pense pas non. » Il se réinstalla au fond de son siège, nous écoutant avec attention. « De nos jours, c'est ce que l'on trouve dans les bande-dessinées ou dans les films, rien de plus, rien de moins. On peut dire qu'il s'agit simplement là d'un cliché depuis longtemps dépassé, et de vous à moi, cela n'est bon qu'à faire rêver les enfants. Non, si je devais me désigner comme quelque chose, ce serait plutôt en tant que bienfaiteur. »
J'étais complétement exaspéré ! Lui ? Un bienfaiteur ? Qu'est-ce qu'il avait de ce genre de personne ? Pour moi, il n'était qu'un irresponsable qui passe son temps à cause du tort aux autres, et pourtant, à l'entendre parler ainsi, il semblait croire dur comme fer à ce qu'il disait ! Et le pire, c'était que le journaliste restait parfaitement concentré sur ce que l'on disait, même si au final il était payé pour ça. Il ramena simplement sa main sur son menton, comme si il était intéressé.
- Je vois… C'est un point de vue intéressant ma foi. La question suivante est un peu du même ordre : que diriez-vous aux auditeurs pour les motiver à voter pour vous plutôt que pour quelqu'un d'autre ? »
Nous roulions des yeux, comme si nous trouvions cette question exaspérante. Le naturel dont faisait preuve Octanis était réellement impressionnant, c'était comme si il avait fait ça toute sa vie… et peut-être était-ce vraiment le cas en fin de compte, je n'en savais rien.
- Chacun est libre d'agir comme il l'entends. Je ne suis pas un tyran au point de persuader un individu quelconque de me choisir plutôt qu'un autre. Après tout, je ne fais pas ça pour la notoriété. » Je n'en croyais pas un seul mot, sinon, pourquoi serions-nous ici ?
- Alors pourquoi avez-vous accepter de venir répondre à mes questions ? » Bien envoyé ! J'espérais simplement qu'il allait se ramasser. Bon, c'était sans aucun doute un peu idiot, vu que c'était aussi mon corps, mais je n'aimais pas qu'il nous commande ainsi sans prendre en compte ce que je désirais.
- Je pourrais me contenter de dire que c'est parce que cela met un peu de baume au cœur chez les gens. Ils se sentent protéger, mais ils ne savent même pas par qui. Si j'en avais eu la possibilité, je serais venu ici avec tous mes collègues, sauf que la plupart d'entre eux refusent les postes à haute responsabilité, il préfère préserver leur petite vie tranquille et sans danger. » Bordel, il était vraiment doué… Dès qu'il ouvrait la bouche, j'avais l'impression qu'il parvenait à convaincre un peu plus le présentateur, mais heureusement, moi, je n'étais pas dupe. « Mais si je suis venu, c'est surtout par passion. Je désirais simplement partager cela avec vous, et les gens aiment bien avoir des réponses. »
Qu'est-ce qu'il ne fallait pas entendre… J'avais vraiment du mal à croire que c'était moi qui parlait, et il était encore plus difficile d'imaginer que notre interlocuteur ne pouvait pas voir le stratagème. Je ne savais pas quel passif nous avions eu par le passé, mais c'était réellement affligeant de voir que nous pouvions si facilement se jouer d'un individu…
Le présentateur se redressant donc légèrement, l'air de plus en plus intéressé. Chaque réponse que nous lui donnions semblait l'inciter à vouloir nous poser d'autres questions. Dans le fond, tout cela devait être prévu, il devait avoir une série à nous poser, cela dans le but de nous piéger, mais j'avais comme l'impression qu'il y rajoutait aussi sa propre touche personnelle afin d'accroitre les chances de nous coincer. Au moins, il fallait le reconnaitre, Octanis était doué, peut-être même beaucoup trop…
« Qu'avez-vous accomplis au cours de votre vie ? Et quel type d'être avez-vous été contraint d'affronter ? »
Nous semblions cette fois-ci désabusé, mais je savais que cela faisait partie de la mise en scène de mon double. Initialement, nous ne devrions être qu'un pantin sur ce plateau, mais il était clairement là pour s'amuser et ridiculiser ce pauvre homme.
- Sans vouloir vous offenser, croyez-vous seulement que j'irais me vanter de ce genre de chose ? Comme je vous l'ai dis à l'instant, je ne fais pas ça pour être reconnu comme un héros protégeant la veuve et l'orphelin. Oui j'ai accomplis des choses. Oui j'ai affronté des créatures effroyables. Mais tout cela faisait simplement parti de mon devoir, quel autre intérêt pourrais-je avoir à le faire ? Le plaisir ? Que pourrait-on tirer d'un massacre ? J'ai simplement été contraint d'agir ainsi pour en éviter un plus important qui attenterait à l'intégrité du peuple. » Le présentateur haussa un sourcil, comme si il ne c'était pas attendu à une réponse aussi franche. Comme je me connaissais, cela ne me surprenait même pas, mais pour quelqu'un qui le rencontrait pour la première fois, c'est vrai qu'il ne mâchait pas ses mots. Bien que là, je le trouvais extrêmement posé. « Et je peux déjà voir venir votre prochaine question : vous allez me demander si je suis plutôt un homme d'action ou de réflexion, c'est bien ça ? Et bien pour vous répondre franchement, si j'étais soit l'un, soit l'autre, je ne serais probablement pas là pour vous parler ce soir. Ceux qui n'applique que le premier cas ne feront pas long feu sur le terrain, c'est un endroit sans pitié ou la moindre erreur ne pardonne pas. Tandis que pour les autres, ce sont simplement des lâches qui préféreront envoyer des subordonnés se charger des basse-besognes à leur place. Personnellement, je pense qu'il est nettement plus efficace de se salir soit même les mains, mais il faut simplement les nettoyer par la suite pour pouvoir reprendre du service. »
Pour une fois, je n'étais pas totalement en désaccord avec ce qu'il disait. Le seul problème que j'y voyais été les ennuis qu'il allait nous attirer à attaquer publiquement les grondes pontes de l'armée, et il n'était même pas impossible qu'un comité de censure essaie de réduire nos propos… En revanche, le présentateur semblait quand à lui être particulièrement intéressé par ce que nous étions en train de dire, si bien que nous devions le contraindre à réfléchir un peu plus pour espérer nous avoir, mais je doutais fortement qu'il en soit capable, car mine de rien, Octanis était particulièrement malin et intelligent, même si je trouvais qu'il n'utilisait que trop rarement ces atouts.
« Mais n'avez-vous pas peur de vous mettre en danger ? »
Nous haussions simplement les épaules, avant de finalement croiser nos jambes de l'autre côté.
- Ce n'est pas une éventualité que je peux envisager. Combien de personne peut-il y avoir derrière moi ? Si je dois périr d'une manière ou d'une autre, qui sait combien tomberont par la suite ? Certes, c'est une responsabilité de haut rang, mais j'ai les épaules suffisamment larges pour pouvoir l'assumer. »
Cette fois, je crois bien que nous venions de mettre ce présentateur dans notre poche. Bien sûr, il n'avait pas énormément de réaction, mais il suffisait de voir cette petite lueur qu'il avait dans le regard, la même que celle que pourrait avoir un enfant en observant un véritable héros. J'avais comme l'impression que cet entretien touchait bientôt à son terme.
Pensez-vous plutôt faire le bien ou le mal ? »
Cette fois, je crois que Octanis était réellement exaspéré, et il ne se gênait pas pour le monter. Son comportement je-m'en-foutiste semblait toutefois plaire. Il était sincère, il disait les choses comme elles étaient sans se soucier des conséquences, toujours près à affronter l'adversité, quoi qu'il arrive. Nous poussions un léger soupir, avant de finalement répondre :
« Est-ce seulement à moi de répondre à cette question ? Si je devais briser les rotules d'un soit-disant héros car il ne se rend pas compte qu'il est complétement avide de pouvoir et de richesse, je le ferais sans hésiter. Cela plairait à certains, comme ça ne plairait pas à d'autres. Chacun à son propre point de vue. Personnellement, je pense que quelqu'un qui fait justice soit même est bien plus efficace que quelqu'un qui agit sous la contrainte. Je suis tout simplement libre, sans aucune attache, et je n'ai pas besoin de me donner en spectacle comme certains ont tendance à le faire pour redorer leur joli costume de pseudo-héros. »
Notre sens du danger se mettait alors en alerte, et nous pouvions entendre des sirènes au loin, en dehors du bâtiment. Il était temps pour nous de filer, et nous nous relevions rapidement. Soit notre discours n'avait pas plus, soit l'avis de recherche qui se trouvait sur notre tête faisait maintenant parler de lui, mais nous étions certains que c'était pour nous qu'ils étaient là.
- Je crois que notre entrevue s'achève ici, j'ai comme l'impression que j'ai autre chose à faire que de continuer à bavasser : dehors, des gens semblent avoir besoin d'aide. » Non, là, il se foutait clairement de la gueule du monde, et pourtant je sentais bien que tout ça l'amusait au plus au point. Il se faisait passer pour un défenseur, alors que nous étions plutôt l'attaquant. Mais le présentateur se relevait, comme si il voulait encore nous interroger, comme fasciné.
- Monsieur Vilal, une dernière question ! Quel est votre plus grande qualité ? Et qu'est-ce que vous recherchez ?
Nous poussions un autre soupir, visiblement lassé, mais ce n'était que notre mise en scène personnelle.
- Ça fait deux questions, mais j'y répondrais : n'avoir aucune qualité, et donc ne pas me reposer sur une seule mais sur toutes. Et je ne recherche rien, je n'agis pas pour moi, ni même pour personne… et pourtant tout le monde à la fois.
Puis, nous nous empressions de nous diriger vers une porte de sortie, là où Sayah nous attendait pour nous renvoyer de là où nous venions. De mon point de vue, j'avais clairement plus l'impression que mon double était un anti-héros, mais pourtant il avait un certain style. Il n'agissait pas comme les autres, il se démarquait justement, et c'était peut-être ça qui jouerait en sa faveur. Mais au final, il s'en fichait complétement, tout ce qui lui plaisait était l'idée de se foutre de la gueule des gens, à commencer par ce journaliste, et tout ceux qui allaient suivre derrière.
Le saurien nous ramenait alors chez nous, nous pouvions ainsi prendre la fuite, tout en ayant le plaisir de retrouver notre belle plante. Elle était restée seule suffisamment longtemps, même si elle n'avait pas dû s'en rendre compte…