Retrouvailles et scènes de ménage

[Ceithli]

Comment réussir à se défaire de cette culpabilité? C'était tellement difficile, la jeune femme aurait aimé pourtant oublier, écouter ce que son époux pouvait dire en se disant que tout était de la faute d'Amroth. Mais c'était tellement difficile de tout mettre sur le dos des Dieux? Ou au contraire, c'était peut être trop simple? N'était-ce pas, à ses yeux, une façon qu'ont les hommes de se défaire de leur responsabilité? «C'est comme ça, c'est ce que les Dieux ont voulu». Combien de fois a t'elle entendu cela? Combien d'hommes et de femmes pleurant leur conjoint emporté par la maladie ou un accident se sont vu consolés par leurs amis qui leur disait simplement que c'étaient les Dieux qui les avaient rappelés?

Des foutaises, les Dieux n'existaient pas. Pourtant, Ceithli savait que oui, elle avait entendu la voix d'Alrik lorsqu'il avait téléporté Euthalie depuis Ephtéria, ou encore la voix d'Amroth qui la défiait de sacrifier son enfant alors qu'elle lui demandait de sacrifier le sien. Et si elle le faisait? Et si elle sacrifiait son enfant, est-ce que ça mettrait fin au Fléau et à toutes ces pertes humaines?

Fixant un point devant elle, c'est à peine si elle écoutait les paroles d'Archélas qui faisait tellement d'efforts pour la soulager, mais finalement, ce fut lorsqu'il vint derrière elle qu'elle put se sentir mieux, soupirant d'aise à être ainsi entourée de ses bras et recula donc la tête en arrière pour s'appuyer sur lui et soupirer. Elle s'en voulait encore, tous ces pauvres gens qui devaient avoir leur maison détruite. Elle se promettait de partir en chasse dès demain pour apporter à manger à tout le monde, et gratuitement. Elle accrocherait une charrette assez légère à Anarion pour qu'il l'aide un peu, même s'il n'aimait pas lorsqu'elle était en guépard. Caressant les bras de son époux, elle l'entendit parler de cette élite et eut un léger frisson de colère, ce n'était peut être pas le moment d'attiser sa jalousie, même s'il lui avait signalé qu'elle lui faisait un peu peur.
«Bien courageuse cette élite... aller attaquer directement le Fléau...» une sensation de nausée en bouche, elle détourna les yeux pour regarder un point au loin dans la salle de bain. Une femme et son unité qui luttent contre le Fléau, une vraie héroïne n'est-ce pas? Probablement plus courageuse qu'une femme au foyer n'est-ce pas? «elle doit vraiment être très forte, n'est-ce pas? Tu voudrais lui demander quoi? De rejoindre son unité pour lutter toi aussi contre le Fléau et récupérer l'âme d'Euthalie?»

Bien sur que c'était ce qu'il voulait, c'est pourquoi il a vite changé de sujet en disant vouloir rester auprès d'elle. Ses mains se crispèrent sur les bras d'Archélas, au point qu'il devait sentir ses ongles s'enfoncer dans sa peau
«Est-ce que tu sais combien c'est difficile d'attendre? En sachant que peut être tu ne reviendras jamais?» une larme commença à couler le long de sa joue, sa gorge se nouait peu à peu et elle commençait à avoir du mal à respirer «je sais que... je savais que ce serait comme ça mais... je me disais qu'on s'est toujours sorti de situations dans lesquelles on aurait du mourir des dizaines de fois alors... que tu t'en sortirais encore et que tu me reviendrais... mais là... lutter contre le Fléau... je sais qu'on a survécu une fois à Drakmoniss mais...»

Mais ils avaient eu de la chance et elle le savait. Passer son temps à courir après le Fléau pour le combattre, ce n'était pas la même chose que survivre à l'une de ses attaques! Elle baissa la tête pour se mettre à pleurer, essayant de se faire silencieuse alors qu'elle imaginait ce que devait ressentir Démétrien à cet instant. Voir sa femme, vide, sans âme... est-ce qu'elle supporterait de voir Archélas dans un tel état?

«Je ne veux pas te perdre, Archélas. Je sais que tu risques ta vie avec ton travail mais...» elle finit par serrer les dents, prenant une profonde inspiration alors qu'elle sentait son cœur battre trop vite, au point qu'il y eut un mouvement au niveau de son ventre, sa propre agitation influençait le bébé qui était redevenu humain et se mettait à s'agiter, elle posa alors sa main sur son ventre pour essayer de se calmer un peu, prenant une profonde inspiration elle finit par hocher la tête de gauche à droite «je suis désolée, n'écoute pas ce que je dis... tu dois faire ce que tu as à faire... pardon.»

Elle préférait se taire à présent, c'était mieux. De toute manière, pouvait-elle vraiment empêcher son époux de faire ce qu'il jugeait bon? Elle s'était promis de lui laisser une certaine liberté, de ne pas être ce genre de femme qui l'empêcherait de vivre, aussi elle allait devoir prendre sur elle... encore.

[Archélas Ages]

Les bras enroulés autour du ventre de sa féline, Archélas se laissait envelopper de la tiédeur du moment. La vapeur d'eau, les caresses de Ceithli, et ce contact rapproché lui faisaient du bien, au point qu'il commençait à se sentir mieux. Son mal de tête se dissipait doucement et il parvenait à mieux respirer. Son répit fut de courte durée pourtant, puisqu'il intercepta les pointes de jalousie dans les propos de sa compagne. Rouvrant les yeux brusquement, il avala sa salive avec difficulté avant de se redresser et d'aller s'adosser au fond de la baignoire, les coudes reposant sur les côtés, rompant le contact avec son épouse. Le cœur serré à l'idée d'une éventuelle dispute , il prit une profonde inspiration. N'avaient-ils pas déjà eu cette conversation ? Si... quelques heures plus tôt à peine. Mais cette fois, le soldat en ressentait un agacement assez dérangeant sans en comprendre la raison. Sans parvenir à déterminer contre qui il s'agaçait.

« Je ne sais pas Ceithli. Répondit-il un peu sèchement malgré lui. Elle m'a seulement dit qu'elle combattait les Squames de Fléau avec son équipe, et on revenait de je ne sais où après avoir goûté au poison d'un Protéus, alors je n'ai pas pensé à lui poser de questions sur le sujet. »

Il poussa un long soupir avant de poser ses mains sur les épaules de Ceithli en guise d'excuse.

« Arrête de t'excuser, tu n'y es pour rien. La situation est injuste pour tout le monde. Pour mon père qui a dû choisir entre sa famille et ma mère, et qui aujourd'hui se retrouve seul comme jamais. Pour moi, parce que je veux pouvoir faire quelque chose, mais pas si je dois te perdre. Et pour toi, parce que je ne suis jamais à tes côtés... et que je te menace de l'être encore moins... »

Il marqua une pause. Tout à coup, il avait envie de passer ses nerfs sur quelque chose. N'importe quoi tant que sa colère s'en trouvait rassasiée. Non, ce n'était pas juste. Qu'avaient-il fait pour mériter cela ?

« je n'ai pas envie que tu passe tes journées à t'inquiéter... et je n'ai pas envie de rester là à ne rien faire pour maman. Ceithli, ne me demande pas de choisir. Ne me dis pas que tu ne veux pas que je parte, et la minute d'après de faire ce que je dois faire. Je ne sais pas, ce que je dois faire... »

[Ceithli]

L'agacement dans la voix d'Archélas était clairement perceptible et Ceithli se recroquevilla légèrement sur elle-même, comme si elle craignait de l'entendre réellement se mettre en colère après elle. La jeune femme était plus émotive que jamais avec sa grossesse,et probablement avait-elle tout de même des réactions qu'elle n'aurait pas en temps normal.

Pourtant, il semblait vouloir la rassurer, mais elle sentait malgré tout qu'il s'énervait peu à peu et ferma les yeux avant de finalement ramener ses mains sur son visage. Pas pour cacher ses larmes cette fois, juste pour essayer de retrouver son calme, réfléchissant à tout ce que son époux pouvait dire à propos de son père et d'eux-mêmes. Puis finalement elle se retourna doucement suite à sa dernière réflexion, le regard profondément triste mais sans larme cette fois-ci, outre celles qui avaient coulé peu avant, laissant un léger sillon sur ses joues pâles
«Je ne te rends pas la tâche facile, n'est-ce pas?» - ce n'était pas évident de se mettre de côté en temps normal dans une baignoire comme celle-ci, mais avec un ventre comme le sien c'était encore plus difficile, et pourtant elle réussit à se tordre un peu tout de même pour pouvoir le regarder du mieux qu'elle pouvait, allant chercher l'une de ses mains qui pendait de l'autre côté de la baignoire pour la poser sur sa joue
«Est-ce que... je ne peux pas simplement venir avec toi? À la Basse Ville? Pour Euthalie?» elle savait qu'il refuserait, si les médecins la voyaient enceinte, ils voudraient l'étudier à nouveau comme lorsqu'ils s'y étaient retrouvés, aussi elle se dépêcha de préciser «on pourrait peut être aller trouver cet homme, cet homme de loi qui nous avait aidés la dernière fois pour qu'il me protège?»

Elle ne connaissait pas le terme policier aussi elle ne pouvait pas savoir comment l'appeler, elle détourna le regard avant de se retourner totalement, cette position lui faisait mal après tout et elle préférait se reposer sur le torse de son époux. Fixant un point devant elle, sa voix semblait désormais plus calme
«Comment vas-tu t'y rendre? Je suppose que... que tu ne dormiras pas ici cette nuit, n'est-ce pas?»

Elle partait déjà du principe qu'il refuserait qu'elle vienne, et déjà aussi, elle s'attendait à ce qu'il reparte à toute vitesse. Probablement irait-il aussi à l'herboristerie demander à Belladona de l'envoyer à la Basse-Ville, elle était si gentille qu'elle ne refuserait probablement pas. Ramenant ses bras devant elle, la jeune femme se perdit dans ses pensées, rêvant à une simple nuit en compagnie de son époux, et sans savoir finalement quand elle pourrait en avoir une, ni même si elle en aurait à nouveau une un jour.

[Archélas Ages]

Les traits du soldats, à la fois durcis par la contrariété et creusés par la tristesse, se détendirent légèrement en voyant son épouse se tourner vers lui. La voir gigoter malgré l'étroitesse de la baignoire était bon signe, et s'il en avait eu la force, sans doute aurait-il sourit pour la rassurer. Mais il se contenta d'un silence, buvant ses paroles par petites gorgées et les ressassant jusqu'à en saisir la portée. Ce qui lui fit penser qu'il n'avait pas touché à sa Cimaille. Laissant Ceithli s'installer, il alla cueillir sa tasse posée sur la chaise et la but d'une traite, s'encourageant mentalement à se détendre plus vite.

« Oui. Je veux que tu vienne. »

Les mots étaient sortis d'eux-mêmes sans qu'Archélas ait à y réfléchir. La solution lui paraissait évidente.

« Si tu viens, nous serons toujours ensembles. Et puis tu as des idées que je n'ai pas, tu pourras m'aider, j'en suis sûre. En plus maintenant que tu peux te transformer à nouveau, je n'ai plus à craindre pour toi... enfin, plus autant... Ça m'est égale si tu mords le derrière de l'un de ces médecins. On retrouvera cet homme s'il le faut. Il nous aidera peut-être. Je ne sais pas si Shell pourrait nous aider pour ça, avec son appareil qui indique où sont les balises, et si elles bougent... Ah... et mon père a moins bon caractère que moi, il ne se laissera pas faire... Énuméra-t-il à mesure qu'il y réfléchissait. ... et tu verras toi même pourquoi elle n'est pas du tout attirante, cette Élite... » Conclu-t-il avec un faible sourire.

Reposant sa tasse, il s'agita un peu pour se lever et sortir de la baignoire, tendant une serviette propre à son épouse tandis que lui même prenait celle qu'il avait déjà utilisée. Nourrit de nouveaux espoirs, il aida sa féline à sortir à son tour, prenant garde à ce qu'elle ne glisse pas comme elle en avait la fâcheuse habitude, et l'enroulant dans le linge chaud autant que dans ses bras.

« On va dormir un peu avant. Je ne veux pas atterrir là-bas dans cet état, je n'aime déjà pas cette ville alors... »

Autant éviter de s'y rendre de méchante humeur, la Basse-Ville se chargerait de cette partie là assez bien toute seule...

[Ceithli]

Avait-elle bien entendu? Il voulait qu'elle vienne avec lui? Se tournant à nouveau sur le coup, elle devait reconnaître qu'elle n'en revenait pas, mais son sourire eut de quoi montrer à son époux le soulagement qui l'envahissait. Et le voir sortir des arguments dont elle n'avait pas besoin pour venir eut de quoi la rendre d'autant plus heureuse et elle se plaqua donc davantage contre lui, profondément reconnaissante envers lui.
Puis elle se leva, se montrant prudente - ce n'était pas le moment de glisser et de se casser quelque chose - avant de se blottir dans les bras d'Archélas, fermant les yeux pour savourer son odeur qui lui avait tant manqué, même mélangée au savon.

Puis elle leva les yeux pour l'embrasser, il voulait dormir un peu et probablement qu'ils partiraient tôt le lendemain. Elle ne savait pas encore par quel moyen, peut être prendraient-ils le train, puis ensuite ils chevaucheraient jusqu'à la Basse-Ville? Elle ne pouvait pas vraiment monter Anarion sur de si longues distances - ni Némésis, mais elle pourrait très bien se transformer pour courir à ses côtés, sous sa forme animale, l'enfant se transformait aussi et se montrait bien assez léger pour qu'elle court pendant longtemps.
«Veux-tu... que je te fasse une tarte aux pommes? Pour le dîner, j'ai quelques restes que je peux réchauffer en un ragoût...»

Les larmes lui avaient donné faim. Mais elle ne se sentait pas le cœur à cuisiner un vrai repas. Une tarte en revanche, ça lui plaisait, pétrir la pâte la calmerait un peu, même si la cimaille et la conversation qu'ils venaient d'avoir avait eu de quoi l'apaiser déjà. Elle l'embrassa doucement avant de se tourner vers la robe qu'il avait prise pour elle, un léger sourire sur ses lèvres, la jeune femme l'attrapa pour l'enfiler rapidement, puis dans un nouveau baiser elle s'éclipsa vers la cuisine, forte d'une nouvelle bonne humeur à l'idée qu'ensembles, il y avait peut être un espoir.
Elle descendit à la cave chercher les restes de viande et d'un plat cuisiné qu'elle avait préparé la veille, puis elle remonta à la cuisine pour mettre de l'eau à bouillir dans une marmite afin d'y jeter tous les légumes et la viande. Remuant régulièrement d'abord, elle laissa ensuite le tout mijoter et épaissir alors qu'elle préparait la pâte à tarte.

De la farine pleins les mains et même sur le visage, elle mettait du cœur à l'ouvrage, voulant suivre à la lettre la recette d'Euthalie pour qu'Archélas retrouve un peu de sa mère dans ce dessert. Découpant soigneusement les pommes, elle refusait que son époux l'aide à quoi que ce soit, et même, elle ne voulait pas qu'il reste dans la cuisine
«Tu n'as qu'à aller allumer le feu de la cheminée!» dit-elle avec un large sourire. Cela leur ferait du bien et elle servirait même le repas là bas. Elle aimait bien le soir manger un bol de soupe assise par terre devant le feu, aussi elle se disait que son époux apprécierait peut être aussi. Lorsqu'elle eut terminé, elle mit la tarte au four et ferma les yeux quelques secondes, essayant d'estimer le temps dont elle aurait besoin, puis elle retira le couvercle de la marmite pour voir que c'était prêt. Prenant des assiettes creuses, elle les remplit de ce mélange entre potage et ragoût avant d'y mettre une grosse cuillère pour pouvoir manger et amener les assiettes dans le salon.

«J'espère que ça te plaira... ce n'est pas grand chose» il est vrai qu'elle se sera donné beaucoup plus de mal avec la tarte qu'avec le plat principal!

[Archélas Ages]

Archélas avait à peine eut le temps d'ouvrir la bouche - encore moins de s'habiller - que Ceithli se remettait déjà en mouvement. À peine séchée, elle attrapa sa robe et l'enfila à la va vite - rappelant au bon souvenir du soldat qu'il était rare qu'elle porte autre chose. Puis, après un baiser rapide, il la vit disparaître en direction de la cuisine sans avoir le temps de lui répondre. Abandonnant toute idée de la suivre, il resta donc là un peu bêtement à se sécher et se vêtir seul pendant que son épouse dépensait une énergie qu'il n'avait plus pour eux deux. Il en profita pour vider la baignoire et la rincer à l'aide d'un grand seau d'eau, rangea les savons et entrouvrit la lucarne pour aérer.

Rejoignant Ceithli à la cuisine avec un air un peu penaud, il se vit rapidement inviter à aller s'occuper du feu au salon. Hochant simplement la tête, il alla donc chercher quelques bûches à l'extérieur qu'il alla placer près de la cheminée afin de leur laisser le temps de sécher pendant que les autres brûleraient. Davantage à l'aise avec un feu qu'avec la pâtisserie même la plus simple, il s'agenouilla pour remuer les cendres et faire remonter les plus gros tisons, placer du petit bois, des écorces et enfin quelques bûches bien sèches qu'il espaça de manière à ce que les flammes viennent se faufiler dans les espaces. Rapidement pourtant, il fut contraint de s'asseoir sous les tiraillements de ses jambes, et resta bêtement assis, les jambes écartées, à observer les premières flammèches de son feu d'un air absent.

La pluie n'avait pas cessée, et l'humidité rendait difficile le tirage.
Ses larmes à lui avaient cessées, mais sa peine rendait difficile le simple fait de respirer...

« Ça ira très bien... » Affirma-t-il après avoir sursauté à l'approche de Ceithli.

Il se releva un peu laborieusement afin de l'aider à porter les assiettes, ne sachant plus quoi en faire lorsqu'il lui sembla constater qu'elle n'avait pas l'intention de s'installer à table.

« Euh... tu... tu veux qu'on mange dans la cuisine ? »

Évidemment, il n'avait pas envisagé qu'on pouvait camper par terre dans son propre salon...

[Ceithli]

Devant l'air un peu déboussolé d'Archélas, la féline eut de quoi afficher un léger sourire amusé, hochant la tête légèrement tout en haussant des épaules, elle se baissa pour s'asseoir par terre à ses côtés, ramenant ses jambes sur le côté tout en récupérant son assiette des mains de son époux perplexe
«On pourrait, oui. Mais ce serait dommage de gâcher un si bon feu de cheminée...» elle prit la cuillère et commença à manger comme ça, en le regardant d'un petit air malicieux.

Avoir préparé à manger pour lui, lui avait fait du bien. Le moral n'était pas encore au beau fixe évidemment, et probablement qu'il ne le serait pas avant un bon moment désormais. Elle devait faire son deuil, tout comme son époux même si elle savait que ce serait encore plus dur pour lui. Quoi que, il pourrait toujours se lancer corps et âme dans son travail alors qu'elle serait seule ici pour ne penser qu'à sa solitude et son chagrin. Enfin, pour le moment, elle allait partir avec lui, ils ne savaient pas encore comment, mais la jeune femme venait de penser à quelque chose et posa quelques secondes son bol sur ses cuisses, il n'était pas trop chaud pour le moment
«Tu sais... j'ai vu une perle l'autre jour à la bijouterie... elle permet de se rendre à un endroit où on a déjà été... elle coûte un peu cher, mais avec mon travail à la boucherie, j'ai réussi à mettre des sous de côté. Nous sommes déjà allés à la Basse Ville... donc je pourrais...»

Elle savait bien qu'Archélas n'aimait pas quand elle achetait des choses coûteuses, mais cette perle pourrait peut être lui sauver la vie par moment. Si par exemple les soldats du Roi viennent à lui tomber dessus, hop! Elle disparaît pour se rendre à Banba par exemple ou à Ephtéria.. quoi qu'aujourd'hui, Ephtéria ne sera plus vraiment un refuge pour elle, la jeune femme doutait fort que Démétrien l'accepte sous son toit maintenant qu'Euthalie n'était plus là. Peut être pour voir son ou ses petits-enfants éventuellement, et encore... enfin déjà, elle leva les yeux pour voir ce que son époux en pensait déjà, tout en continuant de manger son ragoût.

[Archélas Ages]

Archélas accusa un temps d'hésitation en voyant son épouse s'asseoir directement par terre. Un peu surpris, il abandonna pourtant toute idée de s'en offenser et décida de faire de même. De toute façon, il était trop fatigué pour se battre contre le moindre principe. Posant à son tour son assiette sur ses cuisses, il porta donc une cuillère à sa bouche avec cette prudence un peu exagérée des premières bouchées dont on ignore la température.

« Hummm... Tenta-t-il de répondre alors qu'il avait de la sauce plein la bouche, avalant rapidement avant de reprendre. La Perle de Sayah ? Elle coûte même très cher ! »

Délaissant son assiette un bref instant, il dévisagea son épouse. Il hésitait entre la dissuader de se ruiner dans un objet aussi cher, se sentir vexé d'apprendre qu'elle gagnait davantage que lui, ou réfléchir objectivement à cet achat... Et après une lutte à peine entamée contre son égo de mâle dominant, il préféra renoncer aux deux premières alternatives, trop contraignantes pour ce soir. Ses épaules s'affaissèrent alors tandis qu'il semblait interroger son potage du regard. Jouant avec une carotte du bout de sa cuillère, il hocha la tête mollement.

« C'est ton argent... je ne veux pas que tu le dépense à cause de moi... mais c'est vrai que je me sentirai plus rassuré si tu l'avais. Ne serait-ce que pour te mettre à l'abri si un homme de Livian venait te demander des comptes... Se remettant à manger, il mâchonna un morceau de viande tendre d'un air absent. Je peux t'aider à la payer si tu veux. Après tout, c'est de ma faute si tu es recherchée... »

À vrai dire c'était surtout celle de Hyacinthe le Docte qui n'avait pas su tenir sa langue... même si Archélas aurait pu lui préciser d'oublier sa compagne et de ne jamais la mentionner. D'ailleurs, il aurait tout aussi bien pu éviter de l'emmener avec lui en mission... et le problème ne se serait pas posé. Son regard se posa sur la cheminée dont le feu commençait enfin à prendre. Sur la tablette, le verre qu'avait posé son père un peu plus tôt attendait toujours. Dehors, par la fenêtre donnant sur l'enclos, la pluie martelait toujours les carreaux, lourde et intense comme si elle ne comptait plus s'arrêter de tomber. Hypnotisé, le soldat en délaissa son ragoût une longue minute avant de revenir à lui. Il se pencha juste assez pour attraper un tisonnier et remuer les braises, faisant aussitôt jaillir de grosses flammes et ronfler le foyer.

« Tu devrais demander un tapis moelleux à mon père... ça fait un peu mal aux fesses, le bois... »

[Ceithli]

Bizarrement, Ceithli pensait que son époux aurait bien plus cherché à l'empêcher de faire cet achat que ça, mais il avait pensé un peu comme elle sur le fait que cette perle pourrait lui être utile dans d'autres circonstances. Elle hocha alors la tête de gauche à droite alors qu'il voulait partager un peu les frais
«Tu sais, je n'ai pas grand chose à payer ici. Je prends l'eau de notre puits, je chasse pour la viande, le potager me donne les légumes et je troque beaucoup. C'est l'avantage d'être une bonne chasseuse justement.»

Et donc finalement, elle ne dépensait pas ses ores. Contrairement à lui qui y était bien obligé pour son équipement et simplement se nourrir ou se loger en mission. Le regard de la féline se fit doux alors qu'elle se remettait à manger, affichant un léger sourire un peu triste «j'irai l'acheter demain, et nous nous en servirons pour aller à la Basse Ville. Nous n'avons pas de temps à perdre si nous voulons aider Euthalie.»
Cette fois, son sourire fut un peu plus gai, car elle souhaitait sincèrement aider sa belle-mère à s'en sortir.

Puis alors qu'elle continuait de manger, Archélas signala qu'il fallait un tapis sur le sol, il est vrai que les pierres étaient plutôt fraîches malgré leur proximité avec le feu et la jeune femme se mit à rire doucement
«Meilleur moyen de mettre le feu à la maison, te dirait mon père...»
Elle ramena une mèche de cheveux derrière son oreille alors qu'elle riait de nouveau, même si l'on sentait bien qu'elle se retenait puisque le cœur n'y était pas totalement. Elle se redressa pour se mettre à genoux avant de se lever souplement malgré le poids de son ventre, tout était une question d'équilibre et de points de repère finalement. Elle alla en cuisine et sortit la tarte du four, l'odeur était bonne, elle espérait l'avoir réussie.

Découpant deux parts, elle les mis dans deux assiettes avec une petite cuillère dans chaque avant de revenir près de son époux, le teint légèrement rouge à l'idée qu'elle ne soit pas aussi bonne que celle de sa belle-mère - et ce serait forcément le cas, personne ne pouvait l'égaler.
«Et... voici donc le dessert. Attention, c'est chaud» elle posa l'assiette devant lui avant de s'agenouiller à nouveau. Pour lui ce n'était peut être pas confortable, mais elle aimait bien cela se retrouver ainsi à même le sol. Peut être son côté félin qui y jouait puisque lorsqu'elle était sous sa forme animale évidemment, elle ne dormais pas dans un lit.

Elle se pencha alors, vu qu'il fallait attendre quelques secondes pour manger puisque c'était trop chaud, et posa sa main sur la joue de son époux avant de s'avancer un peu plus et l'embrasser. Doucement d'abord, puis elle pressa totalement ses lèvres contre les siennes, réalisant alors combien il avait pu lui manquer.

[Archélas Ages]

Avalant le reste de son repas en silence, Archélas se rendit compte qu'il n'avait pas du tout faim, et qu'il mangeait par réflexe davantage que par envie. Pour tout dire, entendre Ceithli rappeler qu'ils ne devaient pas perdre de temps pour Euthalie venait de lui couper l'appétit. Que faisaient-ils encore là, à traîner devant un feu de cheminée comme deux amoureux transis alors que Démétrien devait être totalement perdu et désespéré dans une ville qu'il ne connaissait pas. Son père lui avait confié pour mission de s'occuper de sa féline. Ce qu'il avait fait au mieux de ses capacités actuelles. Allait-elle mieux ? Oui... mais pas lui !

Jetant à peine un regard à son assiette que sa compagne venait de débarrasser, Archélas resta un moment immobile, sans savoir quoi faire. Passer la soirée à attendre que les choses s'arrangent d'elles-mêmes ne lui réussissait pas, et la seule perspective d'aller se coucher et de perdre huit heures à dormir bêtement alors que le temps était compté pour Euthalie le rendait malade. Non... il ne pouvait pas rester là, à se gaver pendant que sa mère mourait peut-être !

Aussi, repoussant doucement Ceithli qui s'était collée à ses lèvres sans qu'il se souvienne à quel moment, Archélas secoua la tête.

« je ne peux pas faire ça... Je ne peux pas rester là... manger bêtement comme si tout allait bien alors que ma mère... Se levant brusquement, il jeta un regard vaguement coupable vers la tarte aux pommes alors que tout ce qui lui venait était une subite envie de vomir. Ce n'est pas possible Ceithli. Je suis désolé mais maman a besoin de moi maintenant. Pas demain. Pas après le dessert. Maintenant. »

Et comme s'il s'apprêtait à partir en guerre pour des mois, il se mit à courir d'une pièce à l'autre afin de récupérer l'ensemble de ses affaires. S'ils se rendaient à la Basse-Ville, il y avait de fortes chances pour qu'Archélas reparte rapidement en mission aux côtés de Shell, alors autant être préparé. Et puis... on ne savait jamais. Fourrant tout son matériel dans les fontes de sa selle et jetant cette dernière sur son épaule, il retourna au salon et remarqua seulement que la jeune femme n'avait pas fait le moindre mélange suspect avec sa nourriture. Puis il secoua la tête pour chasser ce détail idiot qui ne lui ramènerait pas Euthalie.

La suite : Une perle pour une larme