Siobhán était en train de fouiller dans son sac, comme pour vérifier que l'escadron lui avait bien rendu toutes ses affaires – mais en vérité, il cherchait surtout ses clés -, quand la jeune femme reprit la parole. Ils avaient été déposés à l'entrée des Ghettos et il ne pouvait qu'être soulagé de ne pas avoir à chercher le chemin de la Basse-ville, mais c'était un soulagement assez dérisoire face au futur très proche d'un voyage jusqu'à Ohime Quinah. Le visage entier du jeune homme était crispé dans une expression qui rappelait très fortement un bébé venant de croquer dans un citron. Tout ça était horriblement injuste. Il n'avait rien fait, pour commencer, et voilà qu'il se retrouvait dans cette situation merdique. Et si on s'assurait de l'empêcher pour longtemps de retourner à la Basse-ville ?! Pour le coup, le flegme habituel de Siobhán était mis à rude épreuve. Il y avait de nombreuses questions qui méritaient d'être examinées et il n'avait même pas le temps pour ça. Et l'orphe se voyait mal essayer d'échapper à Ellesme alors que l'escadron risquait de lui taper sur les doigts encore plus fort s'il se faisait attraper à nouveau. Et Alrik savait combien le jeune homme n'avait aucune idée de comment on faisait pour vivre en clandestin.
Jusqu'ici, sa vie avait été plutôt facile grâce à eux, mais à cet instant, Siobhán maudissait ses parents pour les vingt prochaines années. « Qu'il perde ces putains d'élections ! » grogna-t-il entre ses dents, avant de retourner sur terre et de se tourner vers la jeune femme qui venait de lui parler.
« Des affaires à récupérer ? Bien sûr que j'en ai ! Vous croyez quand même pas que je vais faire le voyage avec les vêtements que j'ai sur moi, là ?! J'ai dormi dedans cette nuit ! Je suis dégueulasse, j'ai même pas pris de douche ! »
Le jeune homme n'était déjà pas habituellement vraiment agréable, mais là, il ne fallait pas espérer qu'il fasse autre chose que lui aboyer dessus. À ses yeux, ce n'était qu'une traîtresse qui avait fait semblant d'être polie avant de se révéler finalement faisant partie de l'escadron. Et l'escadron, en ce moment, était numéro un dans la liste des Choses et Personnes les Plus Détestables de l'Univers de Siobhán. Aussi il ne accorda même pas un regard avant de continuer son chemin sans prendre la peine de savoir si la jeune femme aveugle pouvait le suivre facilement. Qu'elle le perde, ce sera sa faute, pas la sienne ! Même si ce n'est pas la peine de jouer sur ça, le reste de l'escadron pouvait trop facilement le retrouver.
Apparemment, pourtant, elle ne s'était pas découragé et posa à nouveau une autre question, qui surprit d'ailleurs Siobhán. Il haussa un sourcil et lui jeta un regard méprisant sans s'arrêter de marcher : « Quoi, il y a personne à Néobabel qui vous donne ce genre d'infos ? Sympa, donc vous exécutez juste les ordres qu'on vous donne comme ça, quoi ? Pour votre information, on m'envoie à Ohime Quinah parce que vos supérieurs sont des putains de racistes incapable d'imaginer que je viens de la Basse-ville ! Et aussi, parce que mes parents sont des lâches qui en ont rien à foutre de me laisser dans la merde, apparemment...! »
Le jeune homme était encore en train de grommeler lorsqu'il arrivèrent devant l'immeuble d'architecte où il habitait. Il tapa le code de la porte d'entrée par réflexe, tout comme le numéro de son étage dans l'ascenseur, et ouvrit la porte de son appartement sur un chat en train de miauler comme s'il s'était à l'article de la mort. Ah ben oui, il avait faim celui-là.
« Fermez la porte derrière vous, je veux pas que mon chat file se promener dans l'immeuble. » demanda Siobhán sans un s'il-vous-plaît en attrapant la bestiole dans ses bras.
Bon, nourrir le chat, prendre une douche, préparer un sac avec des affaires nécessaire pour le voyage, et en profiter pour manger un morceau parce que franchement, là il n'avait pas mangé depuis hier midi et son ventre criait encore plus famine que le chat. Finalement, Siobhán fila directement vers le coin cuisine de la pièce principale et vida une boite de pâté dans une gamelle en métal avant de fouiller dans ses placards pour trouver quelque chose à manger de rapide pour lui.
Il était encore en train d'enfourner des biscuits quand il disparut dans la salle de bain pour prendre une douche, sans même prévenir Ellesme qu'elle allait devoir attendre un peu, ni lui donner quelque chose à boire ou lui proposer de s'asseoir. Qu'elle fasse ce qu'elle veut, par Alrik ! Il n'allait pas non plus faire l'hôte parfait pour celle qui l'envoyait dans le désert pour un aller simple à durée possiblement illimité.
Dans le salon, le chat en profita pour aller se frotter contre Ellesme dans l'espoir d'avoir quelques caresses. Siobhán l'appelait littéralement « Le chat » en guise de nom, et c'était ce qui était gravé sur son collier, mais il était bien traité et n'avait pas l'habitude de manquer d'attention de la part de son maître. Lorsque ce dernier ressortit de la salle de bain pour aller voler encore quelques biscuits dans la cuisine, il n'était qu'en caleçon, mais Siobhán n'avait jamais été réputé pour sa pudeur, alors il ne fallait pas s'attendre à ce qu'il fasse des efforts devant une fille aveugle, franchement, elle s'en rendrait même pas compte.
Il disparut à nouveau dans sa chambre pour s'habiller et sortit un gros sac à dos de l'armoire avec un froncement de sourcil. Cette situation merdique était en train de devenir de plus en plus réelle et Siobhán finit par s'asseoir sur le bord de son lit pour se frotter le visage et calmer sa panique.
Mais qu'est-ce qu'il allait faire au juste ? Il n'y avait rien du tout qui l'attendait à Ohime Quinah. Est-ce qu'il aurait vraiment la possibilité de revenir ici dès que l'escadron aurait le dos tourné ? Le jeune homme n'avait pas l'habitude de flirter avec l'illégalité, il manquait juste cruellement de courtoisie et de douceur. Cette histoire lui faisait mine de rien assez peur. Il resta une minute ou deux sans bouger dans le silence inhabituel de l’appartement où la télé était normalement toujours allumée ; Siobhán pouvait seulement entendre le ronronnement du chat qui faisait frémir ses oreilles en direction de la porte. Il s'appuya contre l'encadrement de celle-ci lorsqu'il se releva, son sac encore vide à la main, pour regarder la jeune femme de l'escadron avec une moue boudeuse :
« Ça dure longtemps... le voyage ? Genre... plusieurs jours, plusieurs... semaines ? On y va comment ? » demanda-t-il à Ellesme avec moins d'autorité que précédemment, son incertitude le laissant moins cinglant.