Les yeux ronds, Archélas interrogeait Ceithli du regard alors qu'elle tentait de le rallonger. Comment pouvait-elle lui demander de se calmer ? Comment pouvait-elle, elle-même, conserver son calme ? Et pourquoi devraient-ils rester encore après tout ce qu'ils venaient d'apprendre ? Était-il en plein cauchemar ? Retranché dans ses coussins, il ferma les yeux quelques secondes et tenta de se raisonner. Quelques semaines plus tôt, ils avaient été jetés au fond d'une douve... ce jour là, sa féline la première s'était insurgée du traitement. Le soldat se rappelait encore de son ironie tranchante ce jour là et soupira. Aujourd'hui elle était calme. Trop calme. Désespérément calme où il rêvait de la voir se rebeller avec lui. Certes, Archélas ne connaissait pas le frère tatoueur de leur guérisseur et de fait, n'avait rien de très intéressant à lui dire – à part peut-être d'aller se faire voir – mais il fallait qu'il sorte. Par n'importe quel moyen, il fallait qu'il éloigne sa féline de cet endroit horrible. Aussi ses mains délaissèrent les draps auxquels il s'était raccroché pour repousser sa compagne. Doucement – il ne s'agissait pas de la blesser – mais avec suffisamment de fermeté pour lui faire comprendre qu'il n'était pas disposé à se laisser faire.
« Non je ne suis pas d'accord ! » lâcha-t-il un peu brusquement.
Et puis il en avait assez qu'on lui demande sans arrêt s'il était d'accord pour ne pas attendre sa réponse. «
On va vous droguer, d'accord ? ». «
Vous allez nous laisser torturer votre amie, d'accord ? ». Et bien non, il ne l'était pas ! Il ne voulait plus rester, ni une nuit, ni une heure, ni une minute, ni même une seconde ! Il voulait partir, maintenant, devrait-il se servir du mobilier pour casser une fenêtre !
« Ça s'en ira ailleurs qu'ici ! Je ne veux plus. J'en ai marre. Je suis fatigué de leurs examens, je suis fatigué de leurs questions, et je suis fatigué d'être pris pour un imbécile à longueur de temps ! »Il se redressa sur son lit, l'adrénaline le faisant tenir debout tout seul. Au stade où il en était, il aurait bien été capable d'ouvrir la marche jusqu'au Dôme pour Ceithli en écartant à mains nues n'importe quel obstacle se présentant à lui...! Jhérer, Chaemil, Vrass ou Drakmonniss, il aurait tué n'importe qui ! Alors lorsque leur médecin pénétra la pièce avec son air joyeux de savant fou, il fut reçu par un Archélas au bord du génocide médical.
« Je veux sortir ! Je veux que l'on sorte tous les deux ! Tout de suite !
_ Oh là... vous m'avez l'air un peu nerveux...
_ JE VEUX SORTIR !!! »Finkle s'était arrêté, sursautant face à ce subit accès de fureur de la part d'un patient qui aurait du dormir. Les poings sur les hanches, il s'avança d'un air menaçant.
« Dites, je vais finir par vous faire admettre en psychiatrie si vous ne vous calmez pas ! »Ce à quoi Archélas répondit qu'au prochain qui lui demandait de se calmer, il finirait par y avoir un mort... Finkle tenta bien de désamorcer le conflit en grondant de sa voix la plus autoritaire, mais l'homme qu'il avait face à lui semblait être sortit de ses gonds bien au-delà de ses crises habituelles. Il repéra du coin de l'œil la perfusion qui n'était pas encore branchée, et le lit pas encore défait. Manifestement, son patient revenait tout juste des imageries, ce qui n'était pas pour l'arranger. Personne ne s'était occupé de lui. Personne ne l'avait rebranché à sa poche... et à en juger par son état, mieux valait éviter de tenter la moindre entourloupe. En fait, mieux valait l'éviter tout court, même si pour cela il était un peu tard...
Surtout, le médecin s'inquiéta des soudaines certitudes d'Archélas quant à ses intentions vis à vis de la Morphe... et là, il se tourna brièvement vers le lieutenant en réalisant d'où – ou de qui – venait le problème. Profitant de cette seconde d'inattention, le soldat lui envoya son cathéter à travers la figure, énervé au point d'avoir envie de jeter aussi la poche, le monitoring et le lit avec.
« JE VEUX SORTIR !!! Était tout ce que le capitaine était en mesure de vociférer.
_ Je crois qu'il veut sortir... Traduisit Viktor sur le même ton mielleux que Finkle utilisait pour s'adresser à Ceithli.
Je vous signe la décharge ?_ Vous...?!! »Finkle fit volte-face, rougissant plus brusquement qu'Archélas lorsqu'il s'énervait – ce qui était fait depuis longtemps déjà. Le médecin avait fini par deviner, au travers des reproches du soldat, que ce fichu représentant des forces de l'ordre avait monté ses patients contre lui. Alors il entra à son tour dans une colère noire, ce qui fit sourire Viktor qui commençait à trouver la situation très à son goût. C'était un peu comme une scène de divorce, mais en mieux. Bien mal en prit au médecin de se rabattre sur l'agressivité hélas. D'abord parce que Viktor n'était pas réputé pour se laisser parler sur ce ton sans réagir... et aussi parce qu'Archélas n'était plus d'humeur depuis un bon quart d'heure à présent. Et ainsi une rixe verbale débuta entre les trois hommes, le soldat se mêlant à la partie sans réfléchir à la portée de ses propos, promettant de massacrer le premier qui les empêcherait de sortir tandis que Viktor se contentait de rabattre le caquet de ce foutu médecin grâce à quelques réflexions bien senties. Curieusement, personne ne vint à leur secours...
Au final ce fut au lieutenant d'attraper Finkle par la peau du cou pour le jeter hors de la chambre en assénant quelque chose comme : «
on ne crie pas devant la dame enceinte ». La porte claque derrière eux et le soldat comme sa féline n'entendirent plus que la voix inquiétante de Viktor qui s'élevait sans effort. Il fut question de protocoles, de descente de collègues, de coup de pied au cul aussi. Archélas était épuisé. La voix brisée et les muscles tremblant de partout, les dents grinçant sous la pression de ses mâchoires serrées, il cherchait à reprendre son souffle entre deux «
pardon » suppliants à l'attention de Ceithli. Un jour tout de même, il faudra qu'il apprenne à se maîtriser... même s'il ne comprenait pas pourquoi il était si souvent sujet à de telles colères là où il s'était toujours montré très calme jusqu'à présent.
« Je suis désolé, je... je n'arrive pas à me calmer... »Un grand bruit se fit entendre depuis l'autre côté de la porte, puis un silence. Les secondes s'écoulèrent pendant lesquelles Archélas fixait la porte avec appréhension, puis les minutes... mais il n'y avait plus rien. Jetant un regard coupable en direction de sa féline, il lui prit la main comme elle-même l'avait fait un peu plus tôt et la serra dans les siennes, en guise d'excuses peut-être, de prière plus sûrement. Ses yeux se fermèrent à cette idée. Si Alrik avait du l'écouter ne serait-ce qu'une seule fois, ce devait être maintenant...
… et la porte s'ouvrit, le faisant tressaillir. Si c'était Viktor, il avait peut-être encore une chance de rester calme. Si c'était Finkle, il ne répondait plus de rien. À présent qu'il avait cette idée de tortures à l'esprit, sortir n'était plus qu'une obsession. Vitale, nécessaire... indiscutable.