À la question de Vrass concernant qui voulait manger qui, Kallistrat opposa un sobre « C'est lui qui a commencé... ». Les oreilles en arrière, il resta muet le reste du trajet, les dents serrées sur sa douleur. Vrass de mauvais poil à côté de lui semblait jouer sur sa propre mauvaise humeur. D'autant plus lorsqu'il fit appel à Phaëror, vexant aussitôt notre grand lion gris. C'était lui le garde du corps supposé protéger la petite troupe. Il n'était d'ailleurs venu que pour cela. Jonah l'avait souligné lors de leur entrevue avec leur Roi pas très gentil : Kallistrat était grand et fort. Il était là pour veiller sur les plus petits... et comme ils étaient tous plus petits que lui... Il secoua la crinière, soupirant bruyamment pour exprimer son mécontentement. Demander à un volatile de veiller sur eux...! Quelle insulte ! Ce n'était pas lui qui s'était frotté au caïman ! À vrai dire chaton se souvenait même plutôt que ce satané oiseau lui avait arraché la moitié du dos quand il était intervenu pour protéger Vrass.
C'est donc un Kallistrat boiteux et furieux qui accompagnait le minuscule botaniste et le grand tatoueur. Pomporo marchait devant et se retournait à intervalles réguliers comme un canard vérifie qu'il n'a pas perdu un caneton en cours de route. Les jours suivants ne furent pas meilleurs pour l'humeur du chaton qui failli décapiter Baie-Nez-Dicte d'un coup de patte au moment où se dernier tentait de le soigner. Il s'en fallu de peu, même s'il n'eut finalement droit qu'à un grognement agacé. Têk avait fini de ruiner la patience du grand lion, et même les insecte voletant autour du botaniste ne suffisaient plus à distraire un Kallistrat qui devenait progressivement plus lion qu'humain... Parlant peu, chassant pour lui, il alla même jusqu'à se battre contre Pomporo qui semblait beaucoup moins tolérer sa présence à mesure que les jours s'écoulaient.
Un soir, alors que les deux humains plus ou moins humains faisait cuire leur poisson au bout d'une branche, Kallistrat s'affala sur le ventre. Sa tête massive posée sur ses mains, il fit couler ses pupilles fendues jusqu'au mangeur de graines qui se plaignait déjà de la route parcourue.
« C'est très loin... Gronda-t-il de sa voix profonde. Sûrement un jour encore pour croiser le Lazuli, et après encore quatre jours pour trouver les ruines. »
Ce à quoi Pomporo opposa un feulement furieux, n'aimant pas particulièrement le ton du chaton qui se retourna, l'ignorant tout à fait. Seule sa queue fouettant l'herbe jusqu'à l'arracher témoignait de son humeur. Les jours suivants s'écoulèrent sur le même rythme. Kallistrat chassait pendant que la maneki veillait sur Vrass et Baie-Nez-Dicte, refusant obstinément de les laisser seuls en compagnie de l'orphe lion. Ils durent faire un détour pour traverser le Lazuli et reprirent leur route dans une forêt de plus en plus dense et humide. Les proies étaient plus difficiles à trouver et Kallistrat s'absentait de plus en plus longtemps pour trouver sa nourriture. Lorsqu'il revenait, il n'était pas de meilleur poil qu'en partant. Il rugissait parfois pour rien, et chassa Têk avec une telle fureur qu'il manqua de peu de la toucher et de la tuer sur le coup. L'oiseau disparu aussitôt et ne se montra plus le reste du voyage. Bientôt ils seraient aux portes des ruines...
« Je vous ai prévenu que ce serait dangereux... c'est plein de Pelel'je, alors il ne faudra pas faire de bruit. Il posa un regard très appuyé sur Benedikt, l'accusant presque d'être plus bavard que Têk lorsqu'elle s'y mettait. On y sera peut-être demain... je ne sais pas très bien où c'est. Je sais juste que c'est tout près de l'eau... »
En guise de réponse, Pomporo poussa un grognement menaçant. Si on ne pouvait plus rien dire...