Détendu comme un imbécile heureux, Archélas avait croisé ses mains sous sa nuque et continuait d'observer le ciel, sans se rendre compte qu'il s'y brûlait les yeux. Ceithli s'était transformée et avait à présent disparu derrière les hautes herbes tandis que lui paressait tranquillement. Il lui avait bien semblé que l'humeur de sa féline tirait sur l'agacement, mais malgré les efforts du soldat pour la faire sourire, il n'avait rien pu y faire. Évidemment il était loin de se douter que c'était précisément ses sollicitations constantes qui lui portaient sur les nerfs... Il soupira après avoir pris une profonde inspiration. Il faisait frais et le sol était confortable. Il n'avait plus mal au dos. Il se couvrit toutefois de sa pèlerine. Le bonbon pouvait faire disparaître son mal-être, il n'en restait pas moins qu'il avait de la fièvre et qu'il avait froid. Puis, les paupières lourdes d'une migraine carabinée, il ferma les yeux un instant... et s'endormit presque aussitôt. Il ne daigna ouvrir un œil qu'une heure plus tard, lorsqu'il entendit des bruits de pas près de lui.
Sursautant comme s'il avait rêvé qu'il ratait une marche, il écarquilla les yeux pour voir le guépard à quelques mètres, étendu de tout son long, ce qui lui arracha un nouveau sourire. Mais lorsqu'il voulu se lever pour la rejoindre, il grimaça en sentant son cœur battre ses tempes et grommela, une main dans ses cheveux comme s'il espérait empêcher sa tête de résonner comme un tambour. L'effet du bonbon s'était déjà dissipé et il avait mal, il avait froid, et il se sentait stupide comme jamais.
Après coup, il se remémorait les dernières heures et en rougissait de honte. Il se rendait compte tout à coup à quel point il avait pu être... irritant ? S'il avait du subir ça, il aurait fait un massacre ! Il se demanda même comment sa féline avait pu résister à l'envie de l'égorger sur place. Ses yeux glissèrent sur la fourrure tachetée, accrochant une tâche en forme de chat sur la hanche. Aussitôt il reporta son regard sur les pattes, mais dans la position dans laquelle elle se tenait il ne pouvait pas voir si l'ortie était visible. Il étira sa nuque, cherchant une manière de se faire pardonner ces dernières heures... intérieurement, il jura de ne plus jamais reprendre de ces bonbons, à moins que la jeune femme n'en prenne avec lui. Quitte à être stupide, autant l'être à deux. Pour le moment, il se contenta de se taire, estimant qu'il en avait assez dit pour la journée. À la place de Ceithli, il serait épuisé...
… en fait il l'était, mais ça n'avait rien à voir avec son comportement. Il fallait croire qu'on ne se fatiguait jamais d'être pénible... Un nouveau soupir quitta ses lèvres, puis il se décida enfin à bouger.
« Je vais cuire la viande, repose-toi... Souffla-t-il avant de fouiller le sac à la recherche d'un peu de matériel.
Et... pardon... »Il n'était pas certain qu'elle comprendrait cette excuse à sa juste valeur. Après tout, il pouvait tout aussi bien s'excuser d'avoir besoin du sac alors qu'elle dormait à côté, mais quelque part il se sentait agacé de s'être montré sous un jour aussi stupide. Cette fois c'était sûr, Sayah était une créature d'Amroth ! Le diable en personne... sauf que les bonbons étaient fabriqués par Belladona... Archélas grogna en s'éloignant, pas vraiment ravi d'être assailli de raisonnements sans queue ni tête à longueur de temps. Ce devait être au moins aussi irritant que lorsqu'il débitait des âneries à Ceithli sur la route. Comment ne s'était-il pas rendu compte avant qu'il était idiot ? C'était comme se réveiller en ayant rêvé qu'il avait été un autre... sauf qu'il n'avait pas rêvé. Maudits bonbons !
Le soldat alluma un feu assez rapidement – peut-être un avantage de la main leste – puis débarrassa le lapin de sa peau. Ce faisant, il se rappela qu'ils avaient toujours la peau du phacochère au fond du sac. À force, ils pourraient s'en confectionner tout un manteau. Il jeta un coup d'œil vers Ceithli. Le chamois en revanche avait été trop massacré pour en tirer quoi que ce soit, et là encore, ça avait été sa faute... Vexé de se découvrir toujours plus minable, il décida que son gibier cuirait plus vite en morceaux et le découpa rageusement à l'aide de sa rapière. En fait, la pauvre bête n'avait pas grand chose à manger sur le râble, mais tant pis. Il se leva pour faire le guet, laissant sa féline tranquille. Le vent s'était levé de nouveau et il tressaillit en apercevant du mouvement à l'est. Le regard fixe, il ne daigna respirer que lorsqu'il reconnut une autre meute de Teignes, et chercha machinalement des yeux l'endroit où il avait jeté les restes du chamois. C'était bien la seule chose intelligente qu'il avait fait sous l'effet du bonbon !
Les minutes s'écoulèrent jusqu'à devenir une bonne heure. Archélas s'occupa à laisser refroidir le repas qu'il réservait pour le soir avant d'aller rejoindre la jeune femme. Il posa une main prudente sur son épaule, accroupit et prêt à bondir en cas de réveil trop brutal. Les chats avaient parfois des réactions étranges.
« Ceithli ? Des Teignes viennent par ici, on file. »Sans attendre de réponse, il récupéra le sac et y rangea la viande, puis jeta le tout sur ses épaules et se couvrit de sa pèlerine. Un œil inquiet posé sur la harde d'une dizaine de créatures qui s'avançaient vers eux sans frémir, il attendit que le guépard ait fini de s'étirer pour se remettre en route. Le feu était éteint, les cendres dispersées. Mais si la première fois les Teignes avaient pu se contenter de trois corps humains entiers, Archélas doutait que quelques morceaux de chamois avarié leur suffisent cette fois. Aussi accéléra-t-il le pas vers l'ouest. Leur progression dans les plaines fut rapide, si bien qu'ils gagnèrent rapidement la forêt de pins toute proche dont les essences les enivrèrent rapidement. Rassuré de se retrouver sous le couvert des arbres, le soldat souffla un peu, sans lâcher le moindre mot cependant. D'une part parce qu'il s'en voulait encore pour cet étalage de bonne humeur très agaçante, d'autre part parce qu'il sentait la maladie le consumer littéralement et l'épuiser. Chercher à infiltrer ce village était risqué dans son état. C'était même risqué tout court et davantage encore au vu de sa faiblesse, mais il en avait assez. Il voulait se débarrasser de cette mission qui n'avait été qu'une succession de catastrophes. Il voulait revoir Nemesis, retrouver le confort d'une auberge, pouvoir parler sans avoir l'impression que sa tête était sur le point d'exploser. Et puis il voulait offrir autre chose à Ceithli qu'une mission désastreuse. Du repos. Du réconfort aussi, qu'il n'était pas en mesure de lui procurer autrement qu'en lui faisant avaler l'une de ces friandises infernales...
Donnant un coup de pied dans une pierre qui lui avait fait l'affront de se mettre en travers de son chemin, il grogna aussitôt sous le coup de la douleur. Fichues bottes ! Ses orteils gémissaient dans le cuir et lui étouffa un juron. Non, ce n'était pas juste de demander à la jeune femme de le suivre dans de telles expéditions. Elle méritait mieux qu'un prétendu capitaine incapable de se défendre sans son secours, ne sachant pas nager, tombant malade à la première occasion. Qu'avait-il pour lui ? Rien. Il n'avait pas chassé une seule fois : c'était Ceithli qui le nourrissait. Il n'avait acheté que des objets de petit intérêt : la tente, l'outre, c'est Ceithli qui y avait pensé. Il s'était fait enfermé sur le Hart Nacré là où la jeune femme s'était parfaitement intégrée. Il lui avait fait subir Chaemil et ses hommes. Il l'avait jetée dans les pattes de Drakmonniss. Il n'avait pas eu la présence d'esprit de lui signaler les torches. Il n'avait pas ouvert la bouche une seule fois à Wingdrakk pour leur libération. Pour résumer, il n'était qu'une source d'ennuis intarissable dont elle le sauvait constamment. Non, elle ne méritait pas un tel traitement.
… et lui ne la méritait pas non plus. Il n'en était pas digne.
D'un geste agacé, il repoussa un escadron de moustiques qui devaient le trouver particulièrement appétissant tant ils s'agitaient autour de lui. Une branche lui gifla le visage, un buisson de ronces s'entortilla autour de ses cuisses. Chaque fois il grognait, se contentant de cet unique son là où il rêvait d'injurier Nideyle entière. Lorsque le soleil fut trop bas pour continuer, il s'affala au pied d'un troène soupira de lassitude comme d'agacement. Dire qu'il ne savait même pas où se situait ce fichu village ! S'il le fallait, il était tout aussi introuvable que Wingdrakk... Que Livian aille au diable ! Le cœur battant trop vite, Archélas se laissa aller contre le tronc inconfortable. L'estomac vide et une fièvre brûlant ses réserve constamment venaient d'avoir raison de lui pour la journée. Pâle, silencieux, furieux contre tout et n'importe quoi, il ferma les yeux. Il aurait bien exprimé sa fatigue à voix haute, mais sa fierté de mâle dominant lui intima de se taire.
« Je monterais la garde cette nuit. Laisse-moi juste une minute. »*°*°*°*°*°*°*°*°*
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Forêt amazonienne