Cependant, une ville échappe quelque peu à la règle, Guttenvald, la sombre, la maudite, les hommes qui y vivent se sont habitués à l'ambiance sordide qui y règne et craignent un peu moins ces légendes de bonnes femmes, malgré tout, très peu osent s'aventurer trop loin, restant dans les limites de la ville afin de chasser lorsqu'ils ont besoin de se dégourdir les jambes. Certains individus, plus solitaires, peu recommandables en général, viennent bâtir leurs maisons en ces lieux, les protégeant souvent de sorts, d'herbes ou autres maléfices pour s'assurer qu'aucun intrus ne viendra les cueillir dans leur lit. Morphes, orphes, ou simples ermites, ils sont souvent rejetés de la société et se cachent donc dans cette forêt où ils ont peu de chance d'être dérangés. Aussi, pour les quelques téméraires qui s'aventurent dans ces bois, il n'est pas rare de croiser une petite bicoque que l'on n'a, pourtant, aucune envie d'approcher...
Ce jour là, au Sud de Guttenvald, là où les montagnes bordent la forêt, une louve trottinait sur un pare terre de feuilles mortes, reniflant avidement tout en gardant tout de même ses distances de la ville. La dernière fois qu'elle s'en était approchée, un bruit violent s'était fait entendre, et elle avait préféré fuir plutôt que de se risquer à savoir d'où cela pouvait provenir. Reniflant l'odeur d'un lapin, la truffe enfoncée dans la poussière, la terre et autres substances décomposées, elle pouvait sentir le parfum du sang et de cadavres en décomposition qui jonchaient probablement le sol par endroits en ces lieux. Elle se mit en piste, analysant les odeurs qui se mêlaient dans l'air, ses yeux d'un noir plus profond que les ténèbres scrutant les environs jusqu'à ce qu'elle se mette à courir, puis elle se figea et repartit encore en flèche jusqu'à ce qu'un cri déchire l'air.
Les feuilles mortes se mirent à voler, la terre se soulevait pendant qu'elle s'agitait, couinant, grognant, se retournant dans tous les sens pour se dégager. Un cercle de fer avait pris sa patte arrière en tenaille, et ses yeux s'écarquillèrent en remarquant enfin la source de sa douleur. Serrant les dents, elle cessa rapidement de hurler, sachant bien que le bourreau qui avait placé ce piège n'attendait qu'une seule chose, entendre sa proie l'appeler. Ses yeux et son nez se mirent à couler pendant qu'elle cherchait à contenir la douleur, et plus que tout, une solution. Son instinct et son esprit se battaient en duel, l'un lui disant de se transformer pour dégager d'elle-même les mâchoires saillantes de son tortionnaire à l'aide de ses mains, mais l'autre lui rappelait qu'en agissant ainsi, sa patte allait se déformer, s'agrandir pour devenir une jambe humaine et la force du piège risquait alors de lui découper la jambe.
Des gémissements plaintifs jaillirent de sa gorge, elle ne savait pas quoi faire, et la douleur l'empêchait un peu de se concentrer. Fermant les yeux, elle attrapa une branche en bois dans sa gueule, sachant très bien qu'elle ne résisterait pas à la pression du piège et se briserait si elle cherchait à dégager les mâchoires avec, mais au moins pouvait-elle essayer de l'y glisser pour atténuer la douleur? Sa mère ou l'un de ses congénères finirait bien par passer dans le coin et prévenir alors un autre morphe qui viendra la délivrer?
Oui, mais là... elle s'était vraiment aventurée très loin du lieu où sa meute chassait... ne parvenant pas à glisser la branche entre les mâchoires du piège, elle se coucha en pleurant, serrant alors ce bout de bois entre ses crocs pour ne pas hurler, ses griffes s'enfonçant dans la terre meuble en attendant que du secours vienne. Même un loup d'une autre meute conviendrait, elle pourrait surement lui faire comprendre qu'il devait aller chercher du secours... mais tout de même, l'un des siens serait le mieux, surtout que celui qui a posé ce piège pourrait arriver à tout moment. Son cœur battait à toute vitesse dans ses flancs pendant que la peur et même le désespoir l'envahissaient peu à peu.