- Gougnate !
Le juron fusa. Elle ne manquait pas de ce genre de vocabulaire lorsqu'il s'agissait d'exprimer son ressenti face à une situation pareille. Celui-ci était couramment utilisé pour marquer l'admiration. Ici il était particulièrement bien placé puisque la jeune mécanicienne se trouvait devant une sorte de poste de service du chemin de fer qui reliait les villes les moins évoluées du monde de Nideyle.
L'endroit où elle se trouvait était une grand aire plate, terreuse et poussiéreuse. Tout autour ce n'était qu'herbe. Une sorte de bâtiment précaire se trouvait là, en bordure de la voie ferrée. Des tôles, des barres de fer et de bois trainaient.
Un sifflement se fit entendre. Vince tourna la tête. Le convoi arrivait, c'était une série de wagons rouillés, à l'équilibre incertain, chargés de tout type de marchandise. La locomotive crachait sa vapeur avec des bruits de voiture asthmatique. Elle s'arrêta avec peine devant le bâtiment, faisant crisser ses roues.
Vince s'avança d'un pas alerte, trainant ses deux énormes sacs derrière elle.
Le conducteur descendit. C'était un gros barbu. Il salua Vince d'un large sourire avant de demander, d'une voix bourrue :
- Alors, c'est vous la mécano qu'on a appelée ici ?
Appelée ? Aussi loin qu'elle se souvienne, c'est elle qui était venue ici. Ses parents voulaient la dépayser un peu et lui avaient demandé de chercher du travail plus loin. Lorsqu'on lui avait parlé du chemin de fer, Vince avait fait ses paquets et pris illico la direction de la première ville desservie.
- Je suis venue de mon plein gré, répondit-elle en lui rendant le sourire. Pouvez-vous me renseigner sur la ligne ?
- Elle relie Banba, Guttenvald, Ephtéria, Aspasie et Balaïne. Pour l'instant on l'a installée à la va-vite, pour le transport de la marchandise. Elle a besoin de beaucoup de boulot pour s'améliorer. Y a des endroits ou on a failli y laisser une roue. On compte sur vous. J'arrêterai mon convoi ici tous les deux jours pour vous apporter le matériel dont vous aurez besoin, suffit de me faire une liste, d'accord ?
- Très bien, merci. Heu, pour l'instant, je vais améliorer un peu cette baraque pour pouvoir me loger, faire l'inventaire et trier tout ce fatras de vieilleries. Je verrai ce dont j'ai besoin à votre prochain passage, merci beaucoup !
Le conducteur salua Vince, retourna s'installer dans sa locomotive, et appela quelqu'un. Un jeune homme en salopette, suant et couvert de suie, apparut sur le tas de charbon. Ce devait être celui qui alimentait la chaudière. Il lança à Vince un gros sac (encore un !), salua et repartit au travail.
Lentement, péniblement, le train redémarra, et au bout d'une quinzaine de minutes, avait disparu à l'horizon.
La rouquine, ouvrit le sac lancé par le jeune homme : Il contenait de la viande séchée, une miche de pain, des fruits secs, une carte de la région et une caisse à outils, "qui ne sera pas inutile", pensa-elle bien qu'elle ait amené avec elle son matériel.
Elle attrapa donc ses trois énormes sacs qu'elle traina jusque dans la maison. Elle n'eut pas le temps de rentrer à l'intérieur, car un bruit dans l'herbe à quelques mètres lui fit changer de direction.
- Qu'est ce que c'est ? se demanda-t-elle.