Siobhán resta à regarder Ellesme avec un visage interdit. Il ne s’attendait jamais à ce que ce soit les autres gens qui aient l’air encore plus dingue que lui, si bien que la réaction de la jeune femme l’avait proprement scotché. Ou peut-être que c’était parce qu’elle avait été plus qu’honnête et que la plupart des gens ne l’était devant un insupportable gamin qui les avait poussé à bout, soucieux de ne pas montrer à ce dernier qu’il les avait blessés. Pour le coup, il se sentait presque coupable vu la tronche qu’elle faisait.
« Okayyyyy… J’ai rien dit, oublie, pas la peine de t’énerver… » répondit le jeune homme, et il reprit sa chemin sans rien ajouter de plus, comme un gamin qui venait de casser un vase et filait mine de rien en sifflotant. Il n'allait surtout pas relever les chefs d'accusation qu'on venait de poser contre lui, parce que cela pourrait donner l'impression qu'il avait quelque chose à faire de ce que pensait Ellesme de lui, ou pire, qu'il pensait qu'il devait s'excuser auprès d'elle, ou
encore pire, qu'elle avait raison !
Si bien qu'il ne reprit pas la parole de la journée, jetant seulement des coups d’œil ahuris dans la direction d’Ellesme de temps en temps, comme s’il s’attendait à la voir éclater en sanglots brusquement ou reprendre son discours pour l'obliger à répondre à ce qu'elle venait de dire.
Habituellement, Siobhán aurait été particulièrement vexé qu’elle puisse même lui faire remarquer que son attitude pouvait avoir besoin d’amélioration, mais vu le ton des paroles de la jeune femme qui semblait plus meurtrie qu’elle n’aurait dû, il avait l’impression désagréable que tout ce qui avait été dit n’était clairement pas en seule relation avec sa petite personne. Et loin de vouloir lui poser des questions à propos de ça – hé, il n’était pas psy, merci -, il n’était pas sûr de vouloir l’énerver jusqu’à ce qu’elle pète un fusible pour de bout. Qu’elle se mette à chouiner ou à lui taper dessus, l’idée ne lui plaisait pas du tout et il n’était pas sûr de savoir comment gérer les éclats émotionnels de ce genre quand c’était lui sensé se tenir à carreau sous ses ordres.
A la fin de la journée, pourtant quand ils s’arrêtèrent pour manger et dormir, Siobhán sembla bizarrement se mettre à faire la conversation. Le soleil avait déjà pratiquement disparu à l’horizon, qui montrait enfin la silhouette lointaine des dunes de sables du désert. Peut-être que c’était la joie d’avoir enfin la preuve qu’ils avançaient dans leur voyage et qu’ils allaient arriver un jour, mais le jeune homme lui tendit même le paquet de gâteau qu’il était en train de grignoter pendant qu’elle s’occupait de préparer à manger, un peu comme une offrande de paix.
« Hé, écoute, en fait c’est chiant de marcher toute la journée en ayant rien à faire. On peut pas dire qu’on fait comme si de rien n’était et discuter un peu ? » demanda-t-il. Ce n’était pas des excuses correctes, et il semblait penser que ce n’était pas uniquement sa faute s’ils avaient arrêté de se comporter l’un envers l’autres comme des êtres humains polis et agréables, mais c’était probablement tout ce qu’on pouvait avoir le plus proche d’excuses de la part de Siobhán.
Ce dernier avait l’air un peu gêné, pour le coup. Probablement parce qu’il avait l’habitude d’envoyer balader les gens mais pas d’essayer de les récupérer. Mais bien sûr, d’habitude, s’il avait décidé ne pas aimer quelqu’un, il n’était pas obligé de passer une semaine dans la nature avec. Il semblait pourtant avoir changé d’avis sur la menace et la trahison que représentait Ellesme après ses paroles d’un peu plus tôt, considérant la jeune femme comme étant trop insupportablement de bonne volonté d’habitude pour mentir. Si elle avait fait un cirque pareil, c’est bien qu’elle le pensait, non ?
Mais comme elle le regardait toujours sans répondre, peut-être en attendant la suite, Siobhán se mit à bouder.
« Me regardes pas comme ça, j’essayerais d’être un peu sympa, ça te va comme ça ? » rajouta-t-il en finissant par poser le paquet de biscuits devant elle. Il se remit à lisser les poils beiges de sa queue qu’il avait enroulé sur ses hanches. Il commençait à faire froid et elle n’était pas le plus grand rempart contre le froid qu’on pouvait trouver, mais c’était déjà ça.