Siobhán jeta un regard ahuri à Élise. Sa proposition l’aurait presque fait pleurer de bonheur, et soudain, il devenait très difficile d’imaginer partir. En même temps, ces satanés macaques n’étaient pas loin, et s’ils revenaient ? Il avait déjà supporté cette torture trop longtemps. Mais en baissant les yeux, l’orphe fennec sut qu’il ne résisterait pas, la terre accumulée sous ses ongles et dans les creux de ses mains lui donnait envie de frissonner. A ce train-là, il n’allait pas arriver à Ohime Quinah parce qu’il aurait déjà été attaqué par la lèpre et le choléra. Il releva les yeux sur leur hôte, un regard presque accusateur sur elle, comme elle l’avait trahi en l’attirant dans un guet-apens avec des bonbons.
« Je suppose qu’on pourrait rester, dans ce cas. » déclara-t-il d’un ton encore un peu hésitant, avant de rajouter, à la grande surprise de tout le monde :
« Merci, c’est gentil. »Elise lui tendit un grand sourire et lui tapota l’épaule, si bien que Siobhán se coula hors de portée de sa main sur le banc, quitte à se glisser tout près d’Ellesme. Mais tant pis, parce qu’il avait ainsi l’occasion de lui murmurer, pendant qu’Élise étaient partie dehors hurler quelque chose à ses gamins, qu’ils avaient intérêt à filer vite demain, d’abord.
Apparemment, elle était allée demander à ses enfants de rapporter de l’eau du puits. Ça allait prendre un certain temps de la chauffer, et pendant ce temps-là, elle leur donna une pile de draps pour qu’ils s’installent dans une des chambres à l’étage.
« Mes deux premiers gamins étaient dans cette chambre, mais maintenant, ils sont mariés, et je n’ai pas eu encore le courage de la changer en autre chose. C’est rare que les gens aient trop de place, mais cette maison est immense même avec mes six gamins ! Mon mari a hérité ça de son père et c’est la plus grande maison du village, mais j’ai peine à la nettoyer, au final et blabla bla blablabla... »Siobhán n’écoutait déjà plus quand ils se mirent à monter l’escalier étroit et se retrouvèrent dans une petite pièce éclairé par le coucher de soleil qui perçait à travers une fenêtre. Il se contenta d’un hochement de tête lorsqu’elle se tut, parce qu’il n’avait aucune idée de ce qu’elle avait pu dire à la fin.
Dès qu’elle disparut pour aller allumer un feu dans sa cuisine, il se jeta sur un des deux petits lits et grogna avec satisfaction, le visage enfoui dans l’oreiller. Ça sentait un peu la poussière, mais au moins, ce n’était pas un coin d'herbe. Tiens, hé ben flûte, s’il commençait à se contenter de ce qu’il avait, au lieu de s’apercevoir quel maison de bouseux c’était !
Il se retourna pour jeter un coup d’œil à Ellesme pendant qu’elle était en train de s’activer productivement à faire son lit, contrairement à lui. Mine de rien, c’était frustrant de ne plus lui parler, parce que c’était aussi la seule personne qui venait de l’état Atlante et savait ce qu’il lui arrivait. Mais de l’autre côté, c’était une traitresse empotée et complètement niaise. Il n’allait pas essayer de lui pardonner comme ça, tiens ! De toutes manières, elle ne l’appréciait pas, alors il n’allait surtout pas se trainer à ses pieds pour faire le type qui veut s’excuser. Siobhán ne s’excusait jamais, ça n’allait pas commencer avec elle !
Perdu dans ses pensées, il ne remarqua qu’un moment après qu’il fixait la jeune femme de l’escadron avec un air extrêmement boudeur, si bien qu’il se retourna sur son lit en respirant bruyamment. Il fallait plutôt penser au bain qu’il l’attendait. Ça, c’était une nouvelle magnifique !
Il resta là, son tas de draps au bout du lit, à fantasmer sur la propreté proche, jusqu’à ce qu’Élise les appelle pour les amener dans la salle de bain. Enfin, la salle de bain. Une pièce avec trois grands seaux en zinc et cruches assorties, juste au-dessus des étables. La maitresse de maison avait chargé deux de ces enfants de ramener les deux gros récipients qu’elle avait chauffé dans sa cheminée, et laissa ces invités rapidement après avoir entendu un fracas inquiétant au rez-de-chaussée. Le temps qu’elle referme la porte, Siobhán était déjà en train de se déshabiller, les yeux fixé sur sa baignoire de fortune comme si c’était un gâteau au chocolat. Inutile de faire des manières, il s’en fichait d’habitude, mais là il avait encore moins de raison de s’en foutre, parce que le corbeau voyant de la jeune femme était resté à l’extérieur.
« Tu peux te mettre à poil aussi, je m’en fiche, c’est que ça, je regarderais pas, t’inquiète donc pas. »Tu parles, le jeune homme aurait pu avoir une strip-teaseuse dans la pièce qu’il lui aurait mis une main devant la figure pour qu’elle le laisse tranquille patauger dans son bonheur ; mais en plus, soyons sérieux, c’était Ellesme, c’était une ennemi, pas de risque qu’il aille la reluquer.
« Si t’as besoin d’aide, t’appelles Élise mais moi je t’aide pas, hein. Je suis pas aide-soignant. »Il se frotta avec entrain, longtemps, assez longtemps pour ne plus avoir une once d’eau chaude depuis un petit moment, sans pour autant qu’il n’arrête de se savonner. Et lorsque l’orphe se passa une serviette autour de la taille, il daigna enfin accorder à nouveau un peu d’attention à Ellesme, juste à temps pour voir arriver Élise qui se mit aussitôt à le pousser dehors avec indignation.
« Dis donc, je ne vous ai pas laissé tous seuls pour que tu ailles te laver en même temps qu’elle ! T’as pas honte, une pauvre fille aveugle ! »
« Oh, non mais c’est bon, j’ai rien fait, qu’est-ce que vous insinuez, là ?! »
« Psst, file ! »Siobhán aurait bien répliqué, mais il s’aperçut qu’il n’avait pas envie de détruire sa nouvelle bonne humeur comme ça, et il se contenta de retourner dans leur chambre pour aller faire son lit et s’y étaler en frissonnant. Qu’il était bon de pouvoir avoir un matelas entre lui et le sol. Le jeune homme avait presque envie de remercier Ellesme d’avoir voulu faire un détour.
Seulement Elise refit une apparition et brisa sa tranquillité en lui fouettant les fesses avec sa serviette.
« Allez hop, toi, debout feignant ! »
« Est-ce que vous avez un problème pour ponctuer vos phrases en filant des claques aux fesses des gens ? »
« Est-ce que tu as un problème pour être aussi empoté ? Je me demande bien comment elle peut te supporter, tiens. T’devrais être moins immature à ton âge ! Tu as de la chance qu’elle soit aussi conciliante. Va donc l’aider à aller vider vos bacs et sécher le sol, tu as tout laissé là-bas comme si j’allais nettoyer derrière toi. »Siobhán grogna en réponse, tout vexé et dérangé qu’il était :
« Ah ouais, ben c’est sa faute si elle doit m’accompagner à Ohime Quinah, alors arrêtez de la plaindre, hein. »A son grand malheur, Elise s’assit sur le lit et lui tapota l’épaule – pour une fois que c’était pas le popotin, autant s’estimer heureux -.
« Allons, c’est parce que t’es loin de chez toi que t’es autant de mauvais poil ? »
« Nan, chui comme ça tout le temps. » grogna à nouveau Siobhán qui s’inquiétait de la voir prendre un ton de maman compatissante.
« Hé, tu pourrais voir ça comme une aventure, non ? Je pense bien que des gens te manquent, mais déjà, ils te manqueraient moins si tu essayais d’être un peu plus agréable avec la seule personne avec qui tu voyage, non ? »
« Personne me manque. »
« Bien sûr… » répondit-elle avec un léger sourire en coin.
« En tout cas, ne lui en veut pas, ce n’est pas faute et elle ne fait que son devoir. »Siobhán se contenta de grogner encore une fois pour qu’elle le laisse tranquille. Les paroles d’Elise l’avait blessé sans qu’elle puisse le deviner. Mais n’empêche, c’est vrai, à qui il allait manquer, à la Basse-ville ? Ces parents étaient des fourbes qui l'avait mis dans la merde, la dernière fois qu’il avait quitté sa sœur, c’était lors d’une dispute, et des amis, il n’en avait pas tant. En fait, il n’y en avait qu’un seul qu’il avait appelé et qui s’était inquiété. Peut-être qu’il aurait dû ne pas être aussi bref au téléphone ? Le jeune orphe sortit son portable de son sac dans un geste sentimentaliste qui ne le lui ressemblait pas, malgré le fait qu’il savait parfaitement qu’il ne risquait pas de trouver du réseau dans cet endroit.