Un briquoi ? Renonçant à comprendre, le soldat se contenta d'acquiescer brièvement.
« Il y a du bois et de la mousssssse sssèche dans les fontes de ma ssselle, sssi Nemesisss vous laisssssse les fouiller. J'ai ramassssssé de quoi faire un feu à notre dernière essscale... »De la pointe de son canif, il désigna Nemesis qui les épiait à bonne distance, méfiante vis à vis des reptiles comme des deux voyageurs. À dire vrai, elle semblait un peu perdue sans son cavalier pour la rassurer. Plus qu'une monture, elle était devenue un véritable familier à force de vivre constamment à ses côtés... enfin, sauf à cet instant où elle se méfiait de lui. En attendant, Shell sembla préférer un buisson à un rapport de force avec la jument récalcitrante et revint quelques minutes plus tard avec un petit tas de bois qu'elle alluma à l'aide d'un drôle d'objet. Suspendant son travail de dépeçage, le soldat la regarda faire avec un certain intérêt, prenant à tort le briquet de la jeune femme pour l'un des artéfacts magiques de Sayah. Ses yeux ne quittèrent d'ailleurs l'objet que pour dévisager l'Élite qui s'intéressait à son canif.
« Ççça ? Ccc'est un article de Sssayah. Expliqua-t-il en le mettant en évidence.
La lame découpe tout, sssauf la peau humaine. Je peux tailler le bois, la pierre, le cuir de Teigne et même le métal – il s'amusa à couper des morceaux dans la partie la plus épaisse de la peau du crocodile –
mais pas mes doigts. »Enfin, sauf que cette partie là, il ne l'avait encore jamais essayée. Un peu sceptique, il passa le fil prudemment sur ses doigts et s'étonna le premier de ne pas se couper. C'était vraiment curieux en fait...
« Vous voulez essssssayer ? Je vais faire cuire la chair en attendant, et je récupèrerai ssses dents pour les pointes de mes flèches. D'habitude je vends les peaux, mais vous l'avez trop abîmée pour essspérer en tirer quoi que ccce sssoit. »Bien sûr il n'y avait aucune accusation ni animosité dans sa voix... mais avec la prononciation et le ton de Sayah, il eut lui-même l'impression de se montrer ironique et incisif. Bon sang, qu'il lui tardait d'être le lendemain ! Le soleil déclinant lui remonta d'ailleurs le moral, et c'est avec un certain entrain qu'il s'amusa à piquer des petits morceaux de viande sur de longues baguettes pour en faire des brochettes. Il jugea que le tout cuirait plus vite ainsi, et puis c'était plus pratique à mettre au-dessus du feu de cette manière. En revanche, il eut un mal fou à approcher Nemesis suffisamment près – et longtemps – pour récupérer sa bourse du Gourmet, et c'est contrarié qu'il revint auprès du feu pour assaisonner la viande, plongeant chaque fois sa main dans la petite bourse pour en tirer ce à quoi il pensait. Quelques pincées de sel et de poivre, des herbes, des épices, si bien que leurs brochettes commençaient à sentir drôlement bon et remontaient lentement le moral du soldat répudié par sa jument...
L'air un peu absent, il récupéra son kit de suture qui ne quittait jamais sa poche et lia ses branches de cornouiller très serrées qu'il plaça ensuite tout près du feu.
« Normalement, il faut laisssssser sssécher les fûts à l'abris de l'humidité pendant quelques mois. Les fûts, ccc'est le bois qui fera la flèche... Précisa-t-il aussitôt.
Mais on peut les faire sssécher avant au feu de bois sssi on est pressssssés. Ccce n'est pas très grave sssi elles ne sssont pas très sssolides ou précccises, j'en achèterai d'autres de toute façççon. Il faut bien les ssserrer ensssembles pour qu'elle ressstent droites. Ensssuite je les ferai sssécher dans les fontes de Nemesisss quelques jours, et je vous montrerai la sssuite. Pour la pointe, on peut utiliser des os, des dents ou des éclats de pierre qu'on trouvera sssur notre route, et pour l'empennage, n'importe quelles plumes sssuffiront. On collera avec de la sssève, et je mettrai du fil de sssuture pour tenir le tout en placcce. »Il marqua une pause, fatigué de devoir tant siffler à chaque « s » prononcé. Il aurait volontiers tout montrer d'un seul coup, mais la fabrication d'une flèche ne se faisait pas en cinq minutes... et il n'avait pas envie de gaspiller un fût en montant une flèche factice. Ôtant une brochette du feu, il goûta du bout de ses horribles dents pour vérifier la cuisson, puis la reposa en estimant que c'était trop saignant. Il commençait à avoir faim, et les bruits environnants ne lui plaisaient pas depuis qu'il avait vu les crocodiles surgir de nulle part tout à l'heure... Méfiant donc, il se retourna brutalement lorsqu'il entendit un battement d'ailes un peu trop proche à son goût. Quoi encore ? Sa malchance ne pouvait pas l'oublier cinq minutes ?
Autant dire que s'il n'avait pas été assis, Archélas en serait tombé par terre de voir un Vulnae se poser juste devant lui. La bonne nouvelle, c'est que ce n'était pas un Hieras comme il l'avait un peu bêtement pensé... la mauvaise c'est qu'il ne pouvait pas espérer en faire un repas pour le lendemain... ni lui emprunter des plumes sous peine d'y perdre une main. Surtout, dans le bec de l'animal, une lettre un peu défraîchie attendait patiemment d'être recueillie. Manifestement, l'oiseau avait volé sous l'orage.
« Ccc'est pour moi... » S'étonna-t-il en déchiffrant son nom malgré l'encre diluée par la pluie.
Récupérant l'enveloppe, il l'ouvrit avec mille précautions avant de grommeler. Ce qu'il lut ne l'étonna pas vraiment, même s'il ne pouvait pas nier que ça le contrariait.
« Pfff... je m'en doutais ! Ccc'est encore un coup de Vrassssss Rannveig ! Cccet imbécccile me nargue en plusss... » Il leva vers Shell un regard qui aurait pu sembler coupable – et il l'était – s'il n'avait pas eu la tête affreuse de l'Orphe reptile.
Ce qu'il ne disait pas, c'est que la petite provocation écrite s'accompagnait d'une photo du tatoueur dans sa version juvénile... et s'il ne s'était pas retenu – ou extasié devant une merveille de technologie telle qu'une photographie – Archélas aurait éclaté de rire. Que Vrass prétende qu'il avait passé une bonne journée l'amusait. Il n'en restait pas moins que selon lui, le commerçant n'aurait pas pris cette peine si ça avait réellement été le cas. Un sourire sardonique étira ses lèvres minces alors qu'il fourrait son message dans sa poche, réfléchissant déjà à une possible vengeance. Est-ce que ce petit jeu s'arrêterait un jour ? Le jour où l'un comme l'autre deviendrait adulte, sans-doute.
« Ccce doit être prêt maintenant... Je ne sssais pas sssi ccce sssera bon, je n'ai jamais mangé de reptile de ma vie... »Alors de là à savoir les cuisiner...