par Akh Ôr Naphret » 08 Oct 2009, 10:43
Dans les interminables couloirs qui remplissent le palais, les servantes trottent de tous côtés. Aux mille tâches du palais, elles veillent, actives et légères. Le blé rôti aux épices pour la chambre de l'Intendant. Le vin du seigneur Meren, qu'il attend depuis bientôt une minute – sa patience sera bientôt épuisée! Les draps de soie pour la chambre d'une demi-déesse à tête de panthère, sans oublier le parfum et l'encens qui doivent être dispersés tout le long du Palais. Mais aujourd'hui, l'activité reste calme. Rien d'important au palais : la Reyne n'a pas ordonné de nouveau conseil ni de cérémonie, et nulle grande occasion à venir dans les prochains jours.
D'ailleurs, où est-elle, la Reyne? On ne l'a pas vue depuis ce matin.
Quoi de plus normal : les appartements royaux sont vides. La Reyne n'est pas là. Voulez-vous m'accompagner la retrouver? Suivez-moi à travers les couloirs, slalomant à travers les passants qui y fourmillent, jusqu'à une partie plus tranquille. La haute partie du palais, où s'ouvrent des portes chacune surveillée par des gardes. C'est là que Naphret marche, pieds nus sur le dol dallé. Elle est vêtue d'une simple robe de lin blanc, comme en portent les femmes de chambre. A son cou, se balance l'ankh royal, la croix de vie de Quinah. Elle marche, à travers le Palais, et derrière ses yeux verts, les pensées tourbillonnent.
Ce ne sont pas la prochaine expédition de découverte qui occupe son esprit, ni le sinistre présage rencontré par Anthmosis. Non. Elle ne voit ni présage, ni menace, ni guerre. Ces visions-là, pour aujourd'hui, sont éclipsées par quelque chose d'autre. En fermant les yeux, elle voit des visages. Elle a toujours su que les Ohimes ne pouvaient être les seuls êtres vivants qui habitaient ce monde. Quelque part derrière l'horizon de l'Erg, ils devaient exister, ces gens à la couleur de peau différente, ces gens qui hantaient ses rêves. La Déesse le lui avait dit, à demi-mot, lors de leur brève rencontre. Ils devaient les rencontrer un jour, avant la fin du règne de Naphret. Les Autres...
La Reyne le redoute, cet instant où les Ohimes devront faire face à un monde plus large. Son peuple saura-t-il s'adapter, lui élevé par le désert comme par un père inflexible? Il leur faudra suivre la voie que souhaitait Quinah – savoir être prudents comme les fennecs, méfiants envers l'Etranger, tout en gardant à l'esprit que chaque voyageur perdu sur l'Erg est un frère. Lourde tâche que celle de guider un pays entier, quand l'univers lui-même semble changer. Mais si la Reyne craint ce moment, la jeune fille nomme Naphret ne put s'empêcher de ressentir une curiosité brûlante. Les Autres – les autres hommes qu'elle a vu en rêve, par-delà les mers – que sont-ils? Pensent-ils comme eux? Elle a vu des adultes, des vieillards – des enfants aussi. Ils semblent si semblables, malgré leurs yeux clairs et leurs peaux pâles. Elle aimerait les connaître, leur parler, les toucher. Quels sont leurs rêves? Ont-ils aussi leurs questions, leurs craintes, leurs espoirs?
Et voilà qu'à présent, c'est une messagère venue de beaucoup plus loin encore. Parmi les assistants au Conseil, Naphret a peut-être mieux compris que tout autre ce qu'a tenté d'expliquer Megan. Avec Senenmout, le chef des prêtres, elle est souvent montée au sommet de l'imposant édifice, pour contempler les étoiles. A tort ou à raison, les Ohime pensent que Quinah leur a laissé là des indications. Et bien que le Cobra ne parle que rarement, il lui a parfois expliqué quelques-une des connaissances de leur peuple sur les étoiles. Il lui a dit qu'elles étaient loin, très loin, ces petites perles de lumière. Il lui a parlé de ce qu'ils ignoraient – étaient-elles des trous dans la voûte céleste? Des bougies brûlant éternellement pour les Dieux? Et rêveuse, elle avait écouté le prêtre parler, de sa voix rocailleuse ...
Quand la jeune fille venue d'ailleurs avait parlé en salle de conseil, obscurément, ses mots avaient éveillé en Naphret le souvenir des moments passés sur le toit. Plutôt que de laisser se continuer un Conseil qui ne ferait que les faire s'effrayer mutuellement, elle avait résolu d'aller la voir, seule à seule.
Là voilà à l'entrée de la chambre. D'un geste, elle indique au gade de la laisser passer. Après un coup d'oeil sur la croix d'or qu'elle porte au cou, le garde s'incline et ouvre le battant. A l'intérieur, elle peut apercevoir Megan, qui lui tourne le dos, en train de finir son repas et de donner une caresse à l'un des petits félins qui hantent le palais. La crainte qu'elle avait à la vue de l'étrangère s'efface lentement. Si elle mange leur nourriture, c'est qu'elle s'habitue à eux. Si elle peut jouer avec les chats, c'est qu'ils ne sont pas si différents, n'est-ce pas?
Naphret sourit – et dépouillée de son masque sévère, son visage paraissait beaucoup jeune.
« Puis-je entrer, jeune fille? »