Cloué sur sa chaise par la chaleur, Archélas hocha poliment la tête en direction de l'Élite, lui signifiant qu'il avait compris... et qu'il l'autorisait à disposer comme s'il avait été son supérieur. Soulagé que la jeune femme ne lui demande pas de l'accompagner, il se resservit un verre d'eau avant de mordre dans un nouveau fruit. Son petit passage au hammam avait certes été des plus agréable, mais il était depuis en proie à une soif impossible à étancher. Un serveur trottina jusqu'à sa table et échangea aussitôt son pichet vide par un plein avec un sourire enthousiaste. Décidément, rien ici n'avait de point commun avec l'austérité Païlandaise.
« Ça vous a plu le hammam, sayidi ?
_ C'était... original !
_ C'est la première fois que vous allez au hammam ?
_ Oui. Hésita Archélas, déstabilisé par la familiarité amicale du jeune homme.
Là d'où je viens, nous n'avons pas ce type de structure. Nous avons des bains publiques, mais... il n'y a pas ça.
_ C'est très bon le hammam... Assura le serveur dont la taille réduite comme la façon de s'exprimer trahissait un très jeune âge.
Vous transpirez beaucoup pour nettoyer le corps, et vous buvez de l'eau très pure après pour qu'il reste propre. C'est comme de l'eau sale, qu'il faut changer parfois.
_ Je vois...
_ Vous voulez encore des fruits sayidi ?
_ Pas tout de suite, je vais remonter un instant dans ma chambre. Vous pouvez laisser ma table telle quelle ? La femme qui est avec moi m'y attendra, je reviens un peu plus tard.
_ Bien sûr. Je vais mettre les fruits au frais pour tout à l'heure.
_ Merci. Oh... et... excusez-moi mais... qu'est-ce que ça veut dire sayidi ? J'ai remarqué que vous le disiez souvent.
_ Sayidi, c'est vous... Expliqua le jeune garçon sans comprendre le sens de la question, ou sans savoir expliquer la réponse.
C'est quoi votre nom ?
_ Ages...
_ Sayidi Ages, alors.
_ Oh... et pour la femme qui m'accompagne, c'est pareil ?
_ Elle s'appelle comment ?
_ ... C.
_ Sayida C. ! » S'exclama le gamin avec une bonne humeur déroutante... et contagieuse !
Archélas lui rendit son sourire et se leva, concluant que sayidi devait correspondre à monsieur, et sayida à madame.
En descendant les quelques marches qui menait à l'auberge - sans oublier de se baisser pour passer la porte trop basse pour lui - il eut la chance de ne pas croiser Vrass qui s'était déjà volatilisé avec l'Élite. Il gagna sa chambre après s'être débattu avec un dédale de couloirs et d'escaliers. Tout semblait construit sous terre dans cette cité, et c'était tant mieux ! Il y faisait beaucoup plus frais. Une fois dans sa chambre, le soldat s'installa en tailleur sur son lit et sorti quelques accessoires de ses affaires : l'œuf d'Olump, ses fioles où valsaient les Squames prisonniers, et le sachet en papier qu'il était passé prendre chez l'herboriste plus tôt. C'était l'occasion d'y jeter un œil. Il y trouva une petite boîte semblable à une tabatière, remplie d'une drôle de poudre. Une cuillère de dosage y était enterrée. Les instructions, écrites de la main de Benedikt, indiquaient la marche à suivre. Bien. Il s'agissait de verser une dose de poudre dans un flacon, d'y enfermer un Squame... et de mélanger le tout ! Sérieusement ? Et si le botaniste s'était tout simplement payé sa tête pour se venger du désordre que le soldat avait mis dans sa boutique ?
Archélas ferma les yeux un instant, prenant une lente et profonde inspiration. C'était le moment d'essayer... Ses paupières se rouvrirent sur les turquoises déterminées.
Calmement, il ouvrit le petit œuf métallique, s'attardant cette fois à en observer le mécanisme. Qu'il n'ait pas l'air d'un idiot en totale panique la prochaine fois qu'il aurait à l'ouvrir dans l'urgence... Faisant sauter le loquet, il ouvrit avec précaution. Lové au fond de la coquille, l'Olump noir l'observait en clignant des yeux comme s'il sortait d'un long sommeil.
« Je vais avoir besoin de toi... Hasarda Archélas qui n'était pas sûr que faire la discussion avec un gnome de vingt centimètres soit d'une très grande utilité.
_ Poukiiik ?
_ Je voudrais que tu avale les Squames que je vais lâcher, et que tu les recrache dans l'autre flacon, d'accord ?
_ Pouik ! Pouik ! » Répondit le minuscule lutin en agitant les bras et les jambes d'un air ravi.
Archélas s'appliqua alors à verser une dose de poudre dans les cinq flacons fournis par Benedikt. Ensuite, il s'empara de l'une des fioles à l'intérieur desquelles s'agitaient les Squames, bloqua sa respiration, et la déboucha juste sous le nez de l'Olump en formulant toutes les prières de Nideyle qu'il connaissait à l'attention d'Alrik. Le gnome aspira aussitôt la fumerolle sombre avant de refermer la bouche, les joues gonflées comme un hamster se promenant avec tout un stock de graines. Fébrile, le soldat présenta un flacon rempli de poudre. L'Olump loucha, et comme il l'avait fait dans le désert, porta la fiole à ses lèvres comme s'il s'agissait d'un biberon avant de recracher le Squame en un hoquet aigu. Archélas referma aussitôt et s'accorda une seconde pour souffler. Vraiment... quelle idée de se lancer dans une mission pareille !
En portant le flacon au niveau de ses yeux, il remarqua que le Squame flottait près du bouchon, le plus loin possible de la poudre là où il avait dansé dans tout le récipient quelques secondes plus tôt. C'est donc avec espoir que le soldat secoua le tout, se sentant vaguement ridicule pendant qu'il opérait. Pourtant, lorsqu'il s'arrêta pour observer le résultat, son cœur faillit s'arrêter de stupeur. En guise de fumerolle noire, une légère vapeur éthérée presque entièrement translucide flottait doucement dans son flacon. La poudre en revanche, était devenue aussi noire que la suie.
« Ça... a marché...
_ Poukouik ? »Rassuré et plein d'enthousiasme, Archélas répéta l'opération pour les quatre autres Squames. Tous passèrent d'un noir d'encre à une pureté étincelante. Satisfait et encore tremblant d'émotion, il rangea ensuite toutes ses fioles, et offrit un morceau de tissu à son Olump afin de lui aménager un petit nid douillet au fond de son œuf qu'il referma avec un pincement au cœur. Ça ne devait pas être très drôle pour lui, d'être enfermé constamment dans ce truc... En attendant, Archélas était en possession de cinq âmes, et de cinq fioles vides pour capturer de nouveaux Squames si l'occasion se présentait. À cet instant il n'avait plus qu'une envie : retourner dans cette fameuse Basse-Ville et chercher un moyen d'identifier ces âmes. À qui appartenaient-elles ? Étaient-elles en mesure de parler ? Tant de questions se bousculaient dans son esprit sans trouver de réponse... au point qu'il fini par se rendre compte au bout d'une bonne dizaine de minutes qu'il allait finir par creuser une tranchée à force de tourner en rond dans sa chambre !
Se rappelant alors de l'Élite, il quitta la pièce et se précipita vers la terrasse, persuadé qu'elle l'attendrait... mais elle n'était pas là, et seule la chaleur l'accueilli. Abattu tout à coup - quoi que toujours un peu excité par ce succès - il s'attabla. Son petit serveur déposant ses fruits et son pichet d'eau fraîche devant lui avec un sourire satisfait.
« Merci. »Quelques interminables minutes plus tard, alors qu'Archélas grattait la peau de sa dernière mangue avec désespoir, l'Élite refit son apparition. Et devant le nouveau bol de fruit qui se présentait à lui, le soldat délaissa son écorce toute rongée pour piocher dans les figues avec délice.
« J'espère qu'il ne s'est pas montré trop désagréable. Hasarda-t-il, même s'il se doutait que la jeune femme était assez grande pour se défendre. Puis, ne pouvant contenir son enthousiasme plus longtemps, il enchaîna aussitôt.
Je me suis permis de faire quelques essais avec les Squames que nous avons capturés... La poudre que m'a vendue le botaniste a l'air de faire effet. J'ai très envie d'envoyer mes flacons par Flabo à vos guérisseurs... mais je voudrais tellement voir... si c'est possible... si on peut vraiment rendre une âme à quelqu'un... »Naïvement sans doute, le soldat espéra partager cet espoir avec quelqu'un d'autre que son Olump... oubliant que la personne à laquelle il s'adressait n'était pas la plus démonstrative de Nideyle...