En tous les cas, l'humain semblait s'être calmé, même si l'Orphe-lion demeurait méfiant. Chat-Rat se débrouillait plutôt bien dans le rôle de la louve enseignante, et même si elle ne parlait pas toujours très bien, ce qu'elle expliquait était tout à fait compréhensible. Au bout d'un moment relativement court toutefois, Bernard avoua qu'il avait faim et Kallistrat décroisa les bras.
« Il est tellement empoté qu'il serait capable de mettre le feu à la forêt. On va le ramener au village. Il y a un grand espace dégagé sur la place, avec de l'eau pour éteindre s'il se trompe.
_ Sur la place ? Mais... mais Manôlis ne va jamais accepter ça.
_ Qui c'est, « ma nos lisse » ?
_ C'est le Seigneur de Guttenvald... du village si vous préférez.
_ Le chef du village ?
_ Oui voilà, le chef du village. Il ne voudra pas qu'on fasse un feu au milieu de la place, il vaudrait mieux aller chez mam... »
Mais comme s'il avait prévu le coup, Kallistrat envoya une nouvelle paire de gifles à Bernard qui grogna franchement de douleur autant que de rage. L'Orphe-lion l'excédait... et puis à cause de lui il avait fait tomber tous ses champignons. En soit, chaton ne voyait pas vraiment d'inconvénient à l'idée que la mère de ce fichu Bernard chasse pour lui. Pour être honnête, les lionnes chassaient toujours pour les mâles. À la différence près que les mâles savaient chasser. Ils étaient juste paresseux. Bernard lui, ne savait pas chasser. Sans femelle, c'était sa mort assurée, et cela, Kallistrat ne le tolérait pas.
« Ta maman est vieille ! Elle va mourir bientôt, et toi, tu ne sais même pas trouver ta nourriture tout seul. Tu feras comment pour manger ? Une deuxième gifle, un peu moins brutale, secoua l'humain qui n'en revenait pas qu'on lui parle sur ce ton. Tu veux te trouver une femelle pour chasser à la place de ta maman ? Pour ça il faut la mériter ! Remue-toi, on retourne à ton village, on fait un feu, et ton te trouve une femelle. On va bien voir ! Ramasse tes champignons, il ne faut pas gâcher la nourriture ! Il se tourna ensuite vers Chat-Rat, l'air très sérieux. Il m'énerve. On devrait l'emmener très loin de son village pour lui apprendre. Il ne pourrait pas revenir tout seul et il ferait plus d'efforts. »
Mais même de ça, Kallistrat n'en était plus très sûr tant la mauvaise volonté de Bernard atteignait des sommets. Pestant dans son double-menton, l'humain ramassa ses champignons.
« Ce n'est pas gentil de dire que ma maman va mourir. Et ce n'est pas gentil de dire qu'elle est vieille.
_ C'est la vérité. Elle est vieille, et toi tu es incompétent.
_ Et vous vous êtes une brute ! Ce n'est pas comme ça qu'on fait chez les humains ! »
Kallistrat haussa les épaules. Peut-être oui, mais selon lui c'était une erreur. La preuve : Bernard. Il s'efforça tout de même de se radoucir et demanda le plus gentiment possible à cet énergumène incapable d'avancer jusqu'à Guttenvald, où il s'arrêta en terrain dégagé.
« Bon ! » Déclara-t-il de sa voix profonde.
Il balaya les alentours du regard et constata qu'effectivement, il n'y avait aucune structure pour faire un feu. C'est donc que ça ne devait pas être autorisé. Cependant, il se rappelait très bien que l'homme qui avait soigné Chat-Rat avait un feu chez lui, dans une espèce de trou dans le mur. Et même si Kallistrat trouvait un peu bizarre de faire un feu à l'intérieur d'une maison, il estima qu'il n'était pas là pour juger des mœurs bizarres des humains. Il lui faudrait donc trouver une maison avec un feu dans le mur. Problème : les maisons appartenaient aux gens, et de ce qu'il avait compris, les gens ne prêtaient pas leurs maisons à n'importe qui. Seule solution : trouver une femelle, la conquérir, la gagner, et avoir le droit d'utiliser son foyer intérieur.
« Est-ce qu'il y a une femelle qui te plaît dans ton village ?
_ Euh... »
Bernard jeta un regard paniqué à Kallistrat, sentant venir une tâche plus tordue encore que ce que ses deux apprentis professeurs lui avaient fait subir jusqu'à maintenant. Mais les sourcils froncés de l'homme-lion le firent hésiter... c'est que, mine de rien, il était capable de lui en coller une s'il ne répondait pas ce sauvage, et Bernard en avait assez des gifles. D'un autre côté, ça pourrait devenir intéressant que les Guttenvaldois le prennent en flagrant délit de brutalité sur l'un des leurs... mais... il n'était plus très sûr... et puis il aimait bien Shara. Un peu.
« Euh... j'aime bien Ariane, mais elle va se marier avec Mathéo...
_ C'est qui Mathéo ? Et c'est qui Ariane ?
_ Ben Ariane c'est la fille que j'aime bien, et puis Mathéo c'est le grand brun là-bas. C'est le forgeron, celui taillé comme un rocher, vous voyez ?
_ Je vois. » Confirma Kallistrat qui n'avait aucune idée de ce qu'était se marier.
Poussant Bernard devant lui, il l'obligea à se rapprocher du forgeron qui buvait une pinte de bière en compagnie de bûcherons tout aussi épais que lui, et avant que l'humain qui serrait ses champignons contre son ventre bedonnant ait eu le temps de comprendre – et de s'enfuir à toutes jambes – l'Orphe prit la parole. Sa voix puissante et grave, parfaitement audible, transforma Bernard en cachet d'aspirine.
« Bernard veut Ariane, alors il va se battre avec vous pour la gagner. Puis, se retournant vers Bernard, il l'encouragea sincèrement. Si tu l'aimes, tu dois te battre de toutes tes forces. Tu n'es pas obligé de le tuer, tu dois juste lui prouver que tu es le plus fort et que tu mérite ta femelle. »