Le reste des évènements fut quelque peu confus pour le bouc, qui retomba dans une sorte de rêve idyllique où tout lui semblait beau et harmonieux... La fièvre avait repris de plus belle avec le soleil et il n'eut pas vraiment conscience que des moines le soignaient, ni qu'on le transportait dans une chambre... Au contact du lit, il s'imagina toutes sortes de délices qu'il serait de mauvais goût d'exprimer, et son sommeil, bien que réparateur, fut... mouvementé.
Lorsqu'il se réveilla, les hallucinations étaient passées et il retourna à la réalité. Il observa sa blessure qui était bien pansée, ainsi que la chambre autour de lui. Il scruta le mobilier, regardant s'il y avait quoi que se soit de valeur, qu'il pourrait
emprunter. Il regarda tout autour de lui. Il était dans une assez grande chambre sobre, et il n'y avait pas grand chose pour l'orner, hormis une grande armoire en chêne. Il se leva alors, discrètement, prenant soin de ne faire aucun bruit, et s'approcha du grand meuble. Il en ouvrit doucement la porte et fit un large sourire. Devant lui se trouvait un joli chandelier en argent, qui devait sûrement valoir quelques ores ! Il attendit un peu, histoire d'être sûr que personne n'arrivait, puis se saisit de son joli trésor, referma calmement la porte, chercha du regard son sac et fourra le chandelier à l'intérieur. Alors qu'il venait tout juste d'exécuter ce petit méfait, il entendit des pas se rapprocher de sa chambre. Il fondit sur son lit et eut tout juste le temps de se glisser sous les draps, un sourire d'ange sur le visage, quand Enarys rentra dans la pièce.
Digne et fière, comme à son habitude, elle lui adressa un regard froid. Philéas la salua et son sourit s'élargit sur ses lèvres.
"Bonjour ! Merci de m'avoir amené ici", dit-il d'une voix guillerette,
"on y est très bien accueilli !" Puis, se penchant quelque peu, il ajouta, sur le ton de la confidence :
"Je crois bien avoir rêvé de vous cette nuit..." Il ne développa pas le fond de ses pensées, il n'en eut pas besoin. La Winghox n'étant pas stupide, elle aurait sûrement compris le message.
"Vous vous êtes bien reposé ?", lui demanda-t-il en sortant de son lit. Il s'étira, et sentit une légère douleur à l'épaule, mais rien de bien méchant. Il resta un moment debout, torse nu, dans le soleil, à sourire à Enarys puis finit par ramasser son sac. Il s'était plutôt bien reposé, mais n'avait pas vraiment envie de repartir tout de suite. De plus, cette petite ville avait l'air d'un charme exquis, ne trouvait-elle pas ? Tout en fermant son sac, il lui dit que vu l'heure avancée, il ne servirait à rien de partir et peut-être pourraient-ils passer la nuit dans une auberge ! Il pouvait même lui payer sa chambre si elle le désirait.
Lorsqu'il prononça le mot "auberge", ses oreilles frémirent légèrement. Ah! Que de belles romances cela lui rappelait ! Bien sûr, son invitation à passer la nuit dans une auberge n'était pas tout à fait anodine, et la fatigue n'en était pas la seule motivation. D'un commun accord, ils finirent par quitter l'abbaye, après avoir largement remercié les moines. Ils retrouvèrent leurs montures qui avaient pu, elles-aussi se reposer et Tasha fut très heureux de pouvoir à nouveau cajoler son maître. Après avoir traverser un petit bout du village, ils arrivèrent à l'auberge du Moulin à Parole, et prirent - à la grande tristesse du bouc - deux chambres séparées. Au moins, elles se trouvaient toutes les deux au même étage..
"Vous mang'rez avec les aut' convives, ou ben tout seuls ?", leur demanda leur agréable et campagnard hôte.
"Oh, nous nous ferons un plaisir de manger avec tout le monde", répondit l'Orphe dans un sourire,
"n'est-ce pas Enarys ?- Ca tombe ben", continua le gros bonhomme, sans attendre la réponse de la Winghox,
"y'en a du monde ce soir ! Vous zallez ben fair' ripailles, ça oui !" Sur ce, il partit dans un rire gras, secondé par Philéas de son rire enjoué, aux oreilles de qui les mots "auberge", "convives" et "ripailles" semblaient rassembler d'heureuses promesses !