La réponse de Belle suffit à ce que les plumes de l’orphe se redressent sur sa tête joyeusement. Il s’abstient d’afficher un grand sourire béat, mais de peu. Ne pas le déconcentrer, ce ne sera pas un problème, il a l’habitude que Lucilie le laisse la regarder s’entraîner sous la même condition. Et de toute façon, il a tendance à se faire oublier naturellement, alors ce n’est pas comme si ça lui demandait un effort particulier. Et le commentaire du danseur à propos de son frère à quelque chose de rassurant. Après tout, le danseur a déjà démontré être bien plus débrouillard et malin que lui, donc s’il partage son avis, c’est que sa réflexion n’est sans doute pas mauvaise.
Sin’ finit son petit-déjeuner pendant que son ami fait de même puis se change, puis pose le plateau dans un coin en attendant de le descendre et s’installe sagement sur le lit en attendant. Il observe, un peu curieux, le drôle d’objet que le jeune homme vient de sortir. Il n’a jamais rien vu qui ressemble à ça, et il se demande bien ce que ça peut être ! Mais ce qu’il remarque surtout, de là où il est, c’est le nom de son propriétaire gravé derrière… Bell donc, et non pas “Belle” comme il l’avait cru. Il n’avait jamais vu ce prénom, mais c’est vrai que pour un garçon, c’est tout de même moins bizarre…
Il sursaute presque quand Bell le tire de ses réflexions en reprenant la parole. Il commence par hocher la tête un peu machinalement — il n’avait pas l’intention de paniquer, c’est vrai qu’il trouve ce truc un peu étrange, mais si son ami le manipule comme ça, c’est que ça ne doit pas être dangereux, il lui fait confiance — avant d’écarquiller les yeux de surprise en observant l’objet en question plus attentivement. Une machine, ça ‽ Mais c’est tout petit ! Il n’y a certainement pas la place pour tous les… engrenages et autres… trucs qu’on trouve immanquablement dans les machines, même s’il n’a en fait pas la première idée de ce qu’on peut trouver à l’intérieur. En tout cas c’est forcément plus gros que ça !
Même une petite boîte à musique ça ne peut pas être aussi petit, il en est persuadé. Il le sait, parce qu’il en a déjà vu en faisant ses livraisons dans les belles maisons de Tib’Koh. Et pourtant, le danseur n’a pas menti, et de la musique s’élève de la drôle de boîte. Et quelle musique ! Ça n’a rien à voir avec la mélodie mécanique, au son métallique, que produisaient les quelques boîtes à musique qu’il a eu l’occasion d’entendre. C’est beaucoup plus joli, on croirait qu’il y a un vrai piano là-dedans ! C’est incroyable ça !
Fasciné, l’orphe garde le regard rivé sur la boîte, sans guère prêter d’attention aux étirements du danseur. De toute façon, ce n’est pas la partie la plus intéressante… Il n’ose pas trop bouger de sa place — il n’a pas oublié qu’il ne doit pas le déconcentrer, donc il évite le plus possible de remuer — mais il ne peut pas s’empêcher de se pencher en avant pour essayer de mieux observer l’étrange chose, les plumes de son crâne frémissant de curiosité. Son observation ne lui apprend pas grand-chose, d’ailleurs, on dirait juste une petite boîte toute plate en métal, avec juste le dessus dans une drôle de matière qu’il ne reconnaît pas, et tout noir.
Quand Bell s’adresse de nouveau à lui, il relève la tête, un peu brusquement — et manque de s’étaler en avant sur le lit dans la foulée — en cillant, l’air d’avoir besoin d’un instant pour se rappeler où il est et ce qu’on est en train de lui dire. Pas du ballet ? Il lui faut un instant pour comprendre qu’il veut simplement dire que ce ne sera pas aussi bien que du “vrai” ballet, mais ça convient tout à fait à l’orphe. Il est déjà très content de pouvoir découvrir à quoi ça ressemble ! Sin’ répond à la proposition d’un hochement de tête ravi, sans prendre le temps de se demander quel rapport elle peut bien avoir avec la petite boîte que le danseur lui a désigné d’un geste en parlant.
Il oublie d’ailleurs tout à fait l’objet pour un temps, se concentrant plutôt sur les mouvements de Bell. Le début est plus intrigant que réellement joli, mais le garçon n’en est pas moins impressionné par les positions improbables que prennent les pieds du danseur. Il est bien convaincu qu’il n’arriverait jamais à en faire autant, et même Lucilie n’a jamais rien fait de ce genre !
Ce passage-là ne dure pas très longtemps, et bien vite Sin’ s’émerveille des figures qui s’enchaînent. Même si Bell avait l’air dire que ce n’était pas aussi bien que du ballet, lui trouve ça vraiment très joli ! Il reconnaît même celle que le jeune homme a essayé de faire la veille — mais cette fois en plus gracieux, et surtout nettement plus stable ! En revanche, s’inquiète un peu quand le danseur s’élance dans de grands sauts. Heureusement que la chambre n’est pas trop petite, et qu’il n’y a pas grand-chose comme meubles ! S’ils y avaient pensé avant, ils auraient pu demander à l’aubergiste si elle n’avait pas une pièce plus pratique à leur prêter… Mais trop tard maintenant, il ne va pas l’interrompre pour ça ! D’autant que Bell s’en sort plutôt bien pour éviter les murs.
Le temps passe sans qu’il s’en rende vraiment compte, et il ne saurait pas vraiment dire combien s’est écoulé quand le danseur finit par s’arrêter, à peine essoufflé après toutes ces pirouettes. L’orphe affiche un sourire émerveillé qui lui donne un air enfantin, le faisant sembler encore plus jeune que d’habitude, et c’est avec un enthousiasme évident qu’il répond :
« Oh non, j’ai pas trouvé ça long. C’était très joli ! »
Si Bell n’a sans doute pas tort en ce qui concerne sa timidité, la vérité c’est que même s’il en avait eu l’autorisation, il n’aurait pas songé une seconde à s’en aller et à rater le spectacle. En plus, le danseur semble de meilleure humeur maintenant, il lui sourit même, et ça fait plaisir à Sinnæus. Sans vraiment l’étonner en revanche, il a remarqué que la danse avait souvent cet effet là sur sa sœur aussi. S’il n’avait pas deux pieds gauches, il aimerait bien pouvoir faire pareil lui aussi… Enfin, lui il peut voler, c’est quand même quelque chose !
L’orphe observe le danseur manipuler son petit objet si étrange, et y jette sans vraiment s’en rendre compte un regard curieux alors que son ami vient s’installer à côté de lui. Ce qui lui tire un petit sursaut de surprise lorsqu’il constate que la surface lisse auparavant noire affiche désormais une image. Mais ce n’est rien comparé à sa stupéfaction lorsque l’image se met à bouger ! Il fixe la chose avec des yeux effarés, la main tendue vers le petit objet sans pourtant aller jusqu’à le toucher. Il n’entend qu’à peine les explications de Bell, qui ne l’éclairent d’ailleurs que partiellement, et lance avec fascination :
« C’est magique ‽ »
Les objets magiques, même s’il n’en a jamais vu — jusqu’à aujourd’hui en tout cas —, il sait que ça existe, on lui en a parlé. Mais il n’a jamais rien entendu qui ressemblait à ça ! Il regarde les petites images défiler, sans trop savoir s’il est plus fasciné par ce qu’il voit ou par la petite machine qui les produit, et glousse légèrement en reconnaissant — vaguement — la silhouette du danseur quand celui-ci la désigne. Une question lui vient, mais il préfère la garder pour plus tard et simplement savourer ce si curieux spectacle pour l’instant.
Les costumes sont très jolis, et, même s’il reconnaît les mouvements que Bell vient d’effectuer devant lui, et que c’est un peu confus à cause de la taille réduite, il doit bien admettre que la danse est bien plus jolie comme ça, et il est très impressionné par la capacité de tous ces petits personnages de bouger avec autant d’harmonie.
Le jeune homme manipule son étrange machine à plusieurs reprises, et Sin’ devine qu’il la fait passer à différents moments du spectacle, parce qu’à chaque fois l’image change, et plus rien n’a l’air d’avoir de sens avec le peu qu’il avait compris de l’histoire. Mais ça ne le gêne pas, c’est joli quand même. Et ce petit bidule est décidément drôlement impressionnant !
Quand c’est terminé, et que Bell éloigne de lui la machine, c’est presque à regret que l’orphe en détache son regard. Il a les yeux pleins d’étoiles et un grand sourire de gamin, et ses plumes frémissent presque d’excitation face à toutes ces choses merveilleuses qu’il découvre en même temps. Il est très curieux à propos de la machine, il aimerait bien savoir comment elle marche et si elle fait d’autres choses fabuleuses — après tout, Bell a bien dit qu’elle faisait “plein de trucs” ! — mais c’est loin d’être la seule chose à avoir éveillé son intérêt et sa curiosité, si bien qu’il préfère commencer par celui du ballet, avec dans la voix une exaltation qui fait oublier sa timidité habituelle.
« C’était beau… et tu danses drôlement bien ! Par contre tout compris à l’histoire… ça raconte quoi ? »