Comme il ne sait pas trop bien où aller, il décide de se mettre en quête de la plus grande ville de la région. Après tout, les gens de Tib’Koh ont toujours l’air de mieux savoir ce qu’il se passe que ceux de Kobiki, ça doit être sûrement pareil ici. Et puis, une bestiole aussi grosse que celle qu’on lui a décrite — un dragon ? Si c’est bien ça, il espère qu’il n’a pas mangé son frère… —, ça ne passe tout de même pas inaperçu, quelqu’un là-bas doit bien savoir quelque chose à son propos.
On lui apprend qu’il est en Païlandune, ce qui lui fait une belle jambe, et que la capitale s’appelle Ephtéria, ce qui l’aide déjà un peu plus. C’est sûrement là qu’il doit aller pour trouver quelqu’un qui pourra l’aider. Par contre, personne ne semble avoir remarqué de grosse créature volante, et la description de Naja n’évoque rien, ce qui est plus ennuyeux. Enfin, il verra bien.
Il prend la direction qu’on lui a indiquée et il vole longtemps. Il finit par se demander s’il ne se serait pas perdu. Il regrette un peu de ne pas être un pigeon, à ce moment-là. Certes, ce n’est pas aussi joli, mais avoir une boussole dans la tête, ce serait bien pratique ! En plus, le temps se couvre et voilà qu’il se met à pleuvoir. Heureusement, il finit par remarquer une ville, et plus il s’en approche, plus elle lui semble gigantesque. Sûrement plus grande que Tib’Koh en tout cas, et définitivement plus que Kobiki. C’est sûrement ça ! De toute façon, par ce temps, mieux vaut en profiter pour s’arrêter. Il est déjà trempé, et si le vent se lève, voler va devenir vraiment compliqué, d’autant qu’il est déjà fatigué par son voyage.
Pip’ n’a pas l’air fâché non plus de pouvoir se reposer, et en profite pour venir s’installer sur son épaule. On lui jette quelques regards étranges, mais l’orphe s’en fiche, trop occupé à admirer ce qui l’entoure pour s’en soucier. Il est encore plus impressionné que la première fois qu’il avait découvert Tib’Koh, alors qu’il n’était qu’un enfant à l’époque. Même par ce temps, il y a drôlement de monde dans les rues, mais la plupart sont pressés et pas de très bonne humeur.
Il faudrait qu’il se mette à l’abri, mais ne sait pas trop où aller, marchant au hasard en tournant la tête de tous les côtés, sans toujours bien faire attention où il va. Il se fait bousculer à plusieurs reprises, ou bouscule lui-même des gens, s’excuse à chaque fois sans paraître être entendu. Son enthousiasme en est quelque peu douché — au sens propre comme au figuré — d’autant qu’il se sent perdu dans cette grande ville, incapable de trouver le moindre point de repère pour lui dire vers où diriger ses pas.
Il rentre à nouveau dans quelqu’un, un grand homme à la carrure impressionnante, et celui-ci ne lui laisse même pas le temps d’ouvrir la bouche avant de commencer à lui hurler dessus. Sinnæus, navré autant qu’effrayé, auquel l’autre ne prête pas la moindre attention, trop occupé à l’insulter. L’orphe recule machinalement, les mains tendues en signe d’apaisement, ce qui ne semble qu’énerver encore davantage son interlocuteur, qui semble prêt à en venir aux mains. Tout ça pour une petite bousculade involontaire ? Jamais il n’aurait imaginé que les gens de l’autre côté du monde puissent être si méchants. À bout d’arguments, il tourne les talons et prend ses jambes à son cou, trop paniqué pour songer à simplement s’envoler.
Sa fuite n’est que de courte durée, interrompue brutalement par une autre personne se trouvant malencontreusement sur son chemin alors qu’il avait instinctivement tourné la tête pour vérifier s’il était poursuivi, et qu’il n’a donc pas pu éviter. Le choc les envoie tous les deux rouler dans une flaque d’eau, Sinnæus tente de se relever précipitamment, trop d’ailleurs, puisqu’il s’emmêle les pattes et retombe au sol, tout en psalmodiant désespérément :
« Pardon, pardon, je suis vraiment désolé, j’ai pas fait exprès, excusez-moi… »
À bout de forces et à bout de nerfs, il n’a même pas le courage de chercher à se remettre sur pieds. Il a l’air bien piteux, assis dans sa flaque, ses grandes ailes traînant dans l’eau. Pip’, qui s’était envolé de son épaule au moment de l’altercation, revient faire mine de le consoler, mais il n’y prête même pas attention, toujours occupé à débiter ses excuses. Ça ne lui ressemble pas, mais il a l’impression qu’il pourrait bien se mettre à pleurer si on se remet à lui crier dessus…