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Perché tout en haut d'une armoire de près de trois mètres – allez comprendre ce qu'il faisait là-haut – Sayah observa les nouveaux venus depuis son coin d'ombre, ses yeux rougeoyants crevant à peine l'obscurité comme deux tisons. Ses paupières sans cils battirent brièvement tandis qu'une petite langue fourchue sortait prendre la température. Ça sentait le sang, ça sentait la sueur, et ça puait la terreur à des kilomètres. Intrigué – quoi que pas si surpris que cela – il se faufila entre le plafond et son perchoir et glissa souplement au sol, sa peau plus froide que la pierre luisant d'un vert pâle presque triste. Les journées sans soleil ne lui réussissaient pas. Sans quitter ses visiteurs des yeux, il se coula jusqu'à eux et s'arrêta à distance respectable pour les détailler sans hâte. Sur son visage, nulle autre expression que son sadisme habituel, comme s'il s'amusait de tout.
« Frithjof m'avait prévenu qu'il me livrerait deux prisonniers... mais je ne m'attendais pas à ççça... » siffla-t-il en penchant la tête.
Ses troisièmes paupières balayèrent ses iris de sang horizontalement, comme s'il se souvenait d'une anecdote très plaisante. Lui non-plus n'avait pas été particulièrement bien reçu, lorsqu'il était venu ouvrir sa boutique d'autorité. Mais lui maîtrisait une magie à rendre jaloux Amroth en personne, alors ils n'avaient pas fait d'histoire bien longtemps. Et puis chacun trouvait son compte dans son commerce, alors ils le toléraient. À vrai dire, même ici on le craignait un peu, le lézard.
« Deux sssans cornes dans un village Winghox... il faut être sssuicccidaire ou idiot. »
Sa voix suave et tranquille semblait constater les faits sans ironie. Son regard, lui, continuait de détailler les deux jeunes gens. Le soldat, il l'avait déjà vu. Il était bon client, et leur dernière rencontre ne datait que de quelques jours. Néthi était même venue le voir peu après leur visite pour faire transférer les propriétés des Lucioles sur un pendentif en forme d'épée. Pendentif que l'homme portait autour du cou. La Morphe était avec lui, mais pour elle, c'était différent. Elle avait eu l'idée saugrenue de crapahuter jusqu'à Wingdrakk une première fois pour quelques achats, et Sayah avait fait l'erreur de la ramener à Banba. De nouveau, il toisa le soldat. À en juger par ses derniers achats et son empressement ce jour là, il devait être en partance pour une mission, ce qui ne signifiait rien de bon. Un soldat en mission obéit à Livian, et un soldat à la botte de Livian qui se retrouve à Wingdrakk, ce n'est pas bon. Oh bien sûr, il vendra beaucoup d'armes et beaucoup de montures si ces deux peuples décident de se livrer bataille, mais il y aura trop de morts, et les morts n'achètent jamais rien, c'est bien connu. D'autant que les hommes du nord sont un millier de fois plus dépensiers que les Winghox, et que si guerre il y a, ce seront eux qui mourront en plus grand nombre. Autrement dit, très mauvais pour les affaires.
« Je propose toute sssorte d'articles... mais pas d'aide. Ççça ssse sssaurait. »
Et il se redressa, immobile, attentif. C'était la première fois qu'on lui faisait le coup de lui demander son aide, alors il observait. Le comportement humain. Le comportement Morphe. Ça l'intriguait, la psychologie.