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Le périple du retour vers la capitale fut d'une tristesse à pleurer. Un vent mordant s'était levé et balayait les plaines en même temps que le moral du soldat dont le visage était à peine visible sous la pèlerine d'Axo. Protégé des bruines glaciales, il devait cependant maintenir le tissu à l'aide de ses deux mains, sans quoi les rafales d'une rare violence s'engouffraient sous la capuche et arrachaient le soldat à la douce chaleur qu'il était parvenu à accumuler. La mâchoire serrée et les épaules rentrées, il se contentait de subir cet hiver acerbe sans lutter, Nemesis détrempée entre ses genoux grelottants. Tous deux courbaient l'échine sous les bourrasques offensives, la pèlerine claquant comme un drapeau, les yeux irrités larmoyants sans relâche, si bien qu'Archélas ne fut jamais aussi soulagé d'apercevoir Ephtéria entre deux ondées balayées férocement. Là-bas, les premières silhouettes blanches et puissantes bravant la tempête lui redonnèrent un peu de baume au cœur alors que le pas de sa jument venait de déraper dans un trou de renard.
Une pression des mollets dépourvue de douceur lui fit presser l'allure à contrecœur, et c'est un cavalier en bien piteux état qui franchit la porte Sud d'Ephtéria, au milieu du tumulte du vent sifflant entre les allées. Indifférent à la population suffisamment irréfléchie pour oser braver les éléments, courbés en deux contre la force inébranlable du puissant Notos, le soldat se dirigea tout droit vers le Palais.
« ARCHÉLAS AGES, CAPITAINE D'INFANTERIE LÉGÈRE. J'AI UN RAPPORT DE MISSION DE LA PLUS HAUTE IMPORTANCE À FAIRE À NOTRE SOUVERAIN LE ROI LIVIAN D'EPHTÉRIA. » dut-il crier pour se faire entendre dans la tourmente.
Le garde entendit à peine un mot sur deux et dut reconstituer la requête du capitaine mentalement, avec les petits morceaux que le vent avait bien voulu lui laisser. Durant une infime seconde, il hésita à faire répéter ses intentions au soldat avant de se raviser. Le conduire auprès du Roi présentait l'avantage d'entrer se mettre au chaud, aussi ne se fit-il pas prier bien longtemps. Seule Nemesis demeura sur le parvis mouillé, l'encolure basse comme si les torrents de pluie qui s'abattaient à présent pesaient sur son corps fumant.
Sur le marbre impeccable, le claquement des bottes des deux hommes résonna quelques temps.
« Sale temps... se permit la sentinelle à mi-voix.
_ Très sale temps. » Confirma Archélas en soufflant bruyamment sur ses doigts dans l'espoir de les délier.
Quelques servantes aux bras encombrés de polochons s'écartèrent à leur passage, effarées à l'idée qu'une seule goutte de cette averse glaciale puisse les atteindre. Le hall était plongé dans une obscurité lugubre à peine perturbée par quelques torches vacillantes agriffées aux colonnes froides. Puis les deux hommes franchirent une double-porte. Le capitaine reconnaissait les lieux pour y être passé quelquefois et ne s'étonna pas du contraste saisissant régnant entre le hall et les couloirs. Tête baissée, il avait ôté la capuche de sa pèlerine et s'activait à se frotter les mains l'une contre l'autre, retenant à peine sa mâchoire de claquer. Un sourire crispé par le froid s'épingla sur son visage en reconnaissant l'un des fameux pompons en poils de mâtin que vendait Sayah - et qui menaçaient de le mordre chaque fois qu'il mettait les pieds dans sa boutique - suspendu à une poignée. C'était certain, il n'y avait pas gardien plus efficace... à moins d'enchaîner un Fenrir devant chaque porte.
Le capitaine se redressait à mesure que ses pas le portaient à la suite de son guide, s'obligeant à davantage de prestance. Son père lui avait appris à ne jamais courber l'échine devant un homme important. « Ne t'estime jamais inférieur à un Seigneur, mais n'oublie jamais que tu l'es. », voilà ce que lui avait enseigné Démétrien. Et voilà ce qu'Archélas mettait en pratique chaque fois qu'il en avait l'occasion. Rester fier mais humble, assuré mais déférent. Il ouvrit lentement sa pèlerine afin de dégager son uniforme, preuve de son rang et de sa fonction. Ne pas penser à l'audience à venir lui semblait de plus en plus compliqué à mesure qu'il se rapprochait de son Souverain. Chaemil avait toujours été un ami de Livian – si tant est que l'un comme l'autre ait pu un jour considérer qui que ce soit comme un ami – et le capitaine pressentait que l'annonce de la mort du lieutenant-colonel ne passerait pas si facilement. La pilule ne serait pas aisée à faire avaler au Roi...