Précédemment
Bell, en regardant Sinnæus se faire soigner, est bien embêté d’entendre qu’il faudrait bien trois semaines avant que l’intéressé puisse enlever son attelle. C’est bien long, trois semaines. Pour le danseur, se fouler la cheville est une vraie catastrophe susceptible d’entrainer de gros ennuis dans un torrent de larmes ; de se voir enlever son rôle pour les représentations à venir, par exemple. Qu’on puisse prendre la chose aussi bien, comme l’orphe oiseau qui sourit grandement en apprenant qu’ils sont proches d’Ephtéria… Ça lui passe au-dessus.
Le danseur n’arrive pas à comprendre, même s’il sait bien que les enjeux ne sont pas les mêmes. Quelque part, il serait presque jaloux. Après tout, Sin’ utilise aussi son corps en tant qu’outil de travail, et il n’en fait pas tant un plat que tous ceux qui appartenaient à la compagnie de danse de Bell. C’est plus de l’inquiétude qui assombrit le visage du blessé lorsqu’il lui demande s’ils auront assez d’argent pour vivre jusqu’à sa guérison, pas la terreur sans nom qui avait envahi le danseur lorsqu’il s’était fait mal à un genou quelques années auparavant.
« Je suis content que tu le prennes aussi bien. » murmura-t-il alors, pourtant toujours plein de culpabilité, ce qui le poussa à continuer : « Mais ne t’inquiète pas pour l’argent, je payerais pour nous autant que je peux jusque-là. C’est ma faute si tu es blessé alors c’est à moi de payer. »
Bell s’arrêta de parler un instant pour réfléchir. Sinnæus disait qu’il ne savait rien faire d’autre, ce qui lui semblait bien peu probable pour être honnête, mais après tout, il n’aimait pas contredire les gens quand ils parlaient d’eux-mêmes. Si ça se trouve, c’était vrai. Le danseur, s’il y réfléchissait bien, ne savait pas faire grand-chose non plus. Danser, d’accord, mais à part ça ?
Le problème de devoir s’investir autant dans une passion, c’était qu’il n’y avait de place pour rien d’autre. C’était, au final, la raison pour laquelle le danseur errait à travers des terres qu’il ne connaissait pas ; incapable de savoir quoi faire s’il n’était plus dans sa compagnie de danse, il s’était enfuit dans un voyage qui ne demandait que de la détermination.
Retrouvant le fil de ses pensées, Bell posa un regard embêté sur son compagnon de voyage. Ils avaient beau être très différents, ils ne l’étaient pas autant qu’il pensait, au final…
« Et bien, moi non plus je ne peux pas danser pour de l’argent ici, alors on est deux. On apprendra et puis c’est tout ! Pour l’instant, j’ai encore quelques économies, il faut en profiter. »
Le danseur lui fit un signe de la main pour qu’ils continuent leur route. Mieux valait être positif dans la vie ! Bell savait lire et écrire, cela pourrait sans doute se révéler utile en Païlandune. Sin’, lui, pourrait sans doute l’aider quoiqu’on leur demande de faire. Et puis en attendant, surtout, il fallait trouver une auberge pour la nuit.
« On pourra réfléchir à ça plus tard, de toutes manières. Trouvons une auberge, déjà. »
La route était facile et agréable, aussi il valait mieux en profiter. Il fallait dire qu’il faisait doux et que la campagne autour d’Ephtéria offrait des champs bien cultivés à perte de vue. Ce n’était pas difficile de suivre les chemins de terre utilisés par les paysans et leurs charrettes, et Bell appréciait beaucoup ce genre de paysages, si différents des Ghettos de son enfance.
Et pourtant, les pourtours de la ville s’étalèrent rapidement devant eux, si bien qu’ils regagnèrent les ruelles pavées et étroites qu’on trouvait aussi à Aspasie ; sauf qu’ici, tout semblait plus peuplé et fourmillant. Habitué à la foule de la basse-ville, Bell observa d’un œil intéressé son compagnon de voyage, qui avait l’air de venir d’un coin assez perdu, avant d’être distrait par une enseigne prometteuse.
« Ah, une auberge ! »