Le jeune Orphe se fit ouvrir la porte par un majordome hautain et tiré à quatre épingles. Grand et mince, il semblait tout de même presque trop serré dans son costume blanc et noir. Il était d'un ridicule ! Aussi, quand il s'adressa à Grima sur un petit ton supérieur, celui-ci eut envie de lui rire au nez. Lui, un pauvre majordome, ne savait pas à quel point le "fils de la famille de Sleetlsel" était influent ! Grima sourit intérieurement mais garda une expression froide au-dehors, hochant la tête pour toute réponse.
Il fut donc introduit dans la demeure. Il ne manqua aucun détail, ses yeux se promenèrent de parte et d'autre sur les murs, le sol. Il observa le mobilier, les personnes qu'ils croisaient. L'intérieur était d'une richesse somptueuse et étalée, et pas seulement dans le hall d'entrée, mais également dans toutes les pièces. Les meubles étaient faits de bois rares, recouverts d'étoffes luxueuse et sur lesquels étaient posés des vases, candélabres, et autres éléments de décoration inutiles à première vue, mais qui s’avéraient avantageux lorsqu'il s'agissait de montrer sa richesse. Sur le mur, entre deux drapés de couleur rouge et brodés d'or, se trouvaient de grands portraits représentant certain illustres membres de la famille. Sur le chemin menant au salon, il croisa un certain nombre de serviteurs affairés à des tâches plus ou moins importantes. La maison était chargée, et vivante, ce qui montrait que le Baron et la Baronne ne faisaient pas partie de ces nobles désargentés qui essayaient tout de même de faire bonne figure.
Ils arrivèrent finalement au salon où Monsieur le Baron attendait, fumant la pipe - ce qui était très à la mode à l'époque. D'une quarantaine d'années, l'homme était bien portant sans être ventripotent et était coiffé et rasé à la mode de la Cour. Il avait un air amical et respectueux, que Grima appréciait. Il le salua et fut surpris de le trouver ici pour s'occuper d'enfants.
"Comme vous le savez probablement, ma sœur s'apprête à donner naissance à un enfant aussi trouvais-je que cela serait une bonne occasion de me préparer à le recevoir comme il se doit, quand il serait plus vieux." fut la réponse du jeune Orphe, qu'il eut à peine le temps de dire, avant que la Baronne ne fasse son entrée dans la pièce. Elle était pressée, vive et trop énergique et semblait empotée dans sa robe corsetée. Grima haïssait au plus haut point les femmes de la petite noblesse, toutes ces manières, ces rubans et ces fanfreluches ridicules l’insupportaient. Elles faisaient partie de la catégorie de femmes tellement obnubilées par bien paraître à la Cour et plaire aux bonnes personnes qu'elles s'attiraient la plupart du temps l'admiration des imbéciles et la médisance des personnes véritablement importantes, tel que lui. Mais il n'y laissait rien paraître, se contentant d'afficher un sourire glacé et d'acquiescer à ses recommandations courroucées.
"Mais bien sûr Madame, ne vous préoccupez de rien, tout se passera à merveilles", dit-il, en regardant les deux enfants qui riaient comme des imbéciles dans les bras potelés de leur mère. Il leur dit bonjour et se présenta vaguement. Elle s'en alla enfin, suivie de près par son mari qui lui fit lui-aussi une remarque. Quant à la servante, Grima eut l'impression qu'elle était totalement paniquée à l'idée de passer une soirée en l'absence de ses maîtres. Elle détala après lui avoir annoncé l'heure du repas, laissant Grima seul avec les enfants.
Ceux-ci étaient, comme leur mère, potelés, autant l'un que l'autre. Ils avaient les joues bouffies des enfants gâtés et regardaient Grima avec un air malicieux qui ne lui plaisait absolument pas. il savait bien qu'ils allaient être intenable, et inspira un grand coup avant de leur dire, un grand sourire figé aux lèvres :
"Alors, nous voilà tous les trois. Comment vous appelez-vous ?" Banalité. A vrai dire, il n'avait que faire de leur nom, mais il fallait bien commencer par quelque chose. Il leur demanda ensuite :
"Que voulez-vous faire avant le dîner ? Que diriez vous de jouer un peu ? Vous avez bien une salle de jeux ici, non ?"