Le botaniste regarde Jonah repasser avec la bourgeoise avec une expression indignée d'autant plus motivée par sa mauvaise humeur de base. Ce n'est pas très sympathique de les laisser planter là ; et puis s'il se retrouve tout seul à Aspasie ce soir parce qu'il n'ont pas réussi à prendre le train à temps ? Benedikt fronce le nez et hausse un sourcil, se retenant tout juste de lui souhaiter bonne chance pour jouer le gamin pendant toute la durée du trajet. Enfin, ça fait un billet de moins à trouver ! Le botaniste fait un tour sur lui-même à la recherche d'une idée. Les mensonges, ce n'est pas vraiment son domaine, et avec un gros chat recouvert de boue, c'est encore plus compliqué...
La solution apparaît sous la forme d'une main peu scrupuleuse en train de se glisser dans le sac du petit botaniste. Qui se retourne brusquement en attrapant le poignet de la chapardeuse, une fille maigrelette aux grand yeux presque noirs, habillée d'une robe de bourgeoise particulièrement élimée et en mauvais état, de sorte qu'elle ressemblait à une fille de riche marchand perdu dans la forêt depuis quelques jours.
« Hé ! » s'exclame le botaniste en protestation, avant de hausser des sourcils étonnés. « Attends... »
« Ouais, j'étais pas sûre, t'es celui qu'on voyait toujours avec Noa ! »
« Le meilleur moyen de vérifier, c'était d'essayer de me chiper quelque chose ? »
La jeune fille se met à rire. « Tu crois que je m'embêterais sinon ? T'as l'air trop pauvre ! Remarque, non, t'as l'air... étranger, maintenant. Mais j'ai reconnu tes grosses boucles, là, elles m'ont toujours donné envie de tirer dessus. »
Elle planta son regard dans ceux qui accompagnaient le botaniste, du moins ceux qui restaient, un instant perplexe sur l'état du gros lion gris. Son maquillage n'était peut-être plus vraiment visible, mais sa jolie perruque, si, et avec toute cette crasse, l'effet était plutôt surprenant.
« Tes fréquentations se sont pas arrangées, on dirait ! » rajoute-t-elle avec un sourire narquois alors qu'elle dévisageait ensuite Vrass.
Benedikt la regarda avec un air boudeur, avant de s'adoucir soudainement.
« Elles sont on ne peux plus respectable. Tu pourrais m'aider ? »
« Ça dépend pourquoi. »
« J'aimerais bien récupérer trois billets de train pour Balaïne. »
« Ben t'en as pleins là ! » répond-t-elle en désignant du menton le guichet de la gare quelques mètres plus loin, où un homme, casquette enfoncée sur la tête, tamponne un billet pour un vieil aristocrate accompagné d'une tripotée de domestiques.
« Non, sans payer, je veux dire. »
« C'est ce que je dis. Je veux bien t'aider, mais je te préviens, c'est toi qui le fais, moi je vais pas prendre des risques pour toi, et en plus, j'ai toujours dis que c'était mauvais de traîner avec des gamins de l'orphelinat. »
« Tu as vu quel âge on a ? »
« Ah, je te fais une faveur parce que je sais que t'es qu'un sale petit voyou, au fond. » chantonne-t-elle. « Alors ne soit pas désagréable. »
« Ce n'est pas vrai du tout ! Tu m'aides ou pas ? »
Elle hausse les yeux au ciel et désigne sa droite. « Passe par là, moi j'arrive de l'autre côté. »
Benedikt se retourna vers le tatoueur et Kallistrat. Il ne risquait pas de leur demander de les accompagner pour l'instant. Des trois, c'était le botaniste qui était susceptible de pouvoir se faufiler où il voulait sans qu'on le remarque. Ils avaient bien d'autres qualités, mais pas celle de passer inaperçu, Vrass et Kallistrat. L'état dans lequel était ce dernier allait être peut-être un problème dans le train, billet ou pas, d'ailleurs. Mais autant s'en occuper après, ils auraient déjà plus de légitimé à le faire monter.
« Je reviens dans moins de cinq minutes, normalement. » dit-il en s'éloignant.
Le temps de s'appuyer contre un mur avec un air indifférent à une distance raisonnable, sa complice était déjà en train de se mettre à hurler devant le guichet, engueulant copieusement le pauvre homme derrière à propos d'une histoire de voleurs qui l'avait attaqué. Elle faisait tellement de bruits et insista tellement pour qu'il vienne, et c'était exactement le but, qu'il finit par accepter après avoir essayé en vain de la raisonner. Il aurait probablement appelé des soldats de la garde royale s'il avait été sûr que ce n'était qu'une fille des rues, mais les vêtements de celle-ci prêtait à confusion et rajoutait de la crédibilité à ses mensonges. Il se leva, quelque peu paniqué par l'avalanche de hurlements qui lui tombait dessus, et sortit de sa loge pour suivre la jeune fille. Benedikt se glissa à l'intérieur alors même que la porte ne s'était pas encore complètement renfermée, et jeta un coup d’œil rapide à l'endroit. Il n'y avait pratiquement rien sur le bureau qui en occupait une grande partie, mais les très nombreux tiroirs, en revanche, devait forcément contenir ce qu'il l'intéressait ; et il entreprit immédiatement de les ouvrir chacun en vitesse, jusqu'à ce qu'il s'arrête juste avant d'en renfermer un. Ah, voilà !
Le botaniste n'avait jamais pris entre ses mains un billet de train. Aussi lorsqu'il en attrapa trois et s'aperçut qu'il y manquait des ajouts indispensables, non seulement la provenance et la destination mais encore d'autres choses, il faillit laisser échapper un juron. Pas le temps de prendre la plume qui flottait dans un flacon d'encre sur le bureau, le botaniste écrivait trop lentement, et trop mal de toutes manières pour rendre cela crédible. Peut-être pouvait-il demander à Vrass ? Seulement celui-ci n'était pas présent dans l'immédiat. Et d'ailleurs, c'était aussi bien, car les ennuis arrivait à grand pas, sous la forme d'un employé des transports ferroviaires un peu grognon d'avoir été dérangé qui revenait à son poste. Loin d'accompagner la voleuse là où elle voulait l'emmener – le plus loin possible -, il avait demandé à deux autres employés en train de discuter dans le hall de s'en occuper. Et ce n'était pas ses vociférations, alors qu'elle le poursuivait sans se démonter, qui y changèrent quelque chose. Ce fut lorsque qu'elle s'arrêta à côté du winghox et du lion gris qu'elle se mit cette fois à grogner contre le botaniste.
« Mais quel idiot, pourquoi il n'est pas déjà ressortit ! »
L'idiot en question plongea instantanément sous le bureau dès qu'il aperçut le moustachu à casquette, et trois secondes après, l'homme se rasseyait sans cérémonie sans rien remarquer, obligeant le botaniste à se recroqueviller au fond dans une position très peu confortable. S'il avait la place de se glisser à quatre pattes derrière l'employé pour sortir, il fallait au moins que l'attention de celui-ci soit détournée par autre chose, et qu'il y ait assez de bruit pour lui permettre d'ouvrir la porte discrètement. Hors des quatre personnes susceptible de l'aider, il avait un orphe pas très subtil, un winghox avec qui il n'avait pas fini de se disputer et qui était sous l'influence des sorts de Saya sans l'avouer, un trafiquant d'armes transformé en gamin qui n'était même pas avec eux et une fille des rues qu'il ne connaissait pratiquement pas et qui ne ferait peut-être pas des pieds et des mains pour le sortir de là. Benedikt retenu un soupir et glissa les trois billets de train dans sa ceinture, attentif à bouger le moins possible et à ne faire aucun bruit.