- « C'est quoi ton problème ? T'as pas eu ton compte ? Si y'a que ça, je peux te tailler les griffes à coup d'épée ! »
Un homme richement costumé lui jeta un regard outré. Elle devait passer pour une aliénée à tailler la bavette avec un chien. Et puis d'ailleurs, il était tout à fait honteux qu'elle ose se déplacer ainsi accoutrée. Non mais, ces tenues-là étaient réservées aux hommes. Où était sa robe ? Et son maquillage ? Et ses bonnes manières ? Et son mari – parce qu'après tout c'était bien à lui de l'éduquer ! On n'avait pas idée de parler si fort avec une voix si rauque et un vocabulaire si châtié.
« Mademoiselle, tenez donc votre chien en laisse, c'est dangereux enfin ! » lui reprocha-t-il d'un ton scandalisé.
Mektild leva à peine les yeux vers lui, encore occupée à épier Ordalie en se demandant de quelle manière elle pourrait bien satisfaire ses envies de meurtre... La pauvre, elle n'avait plus tué depuis si longtemps... Ceci dit, il était drôle ce chien. Il pourrait bien lui être utile plus tard ou éventuellement lui procurer quelques fou-rire en chemin. Et si elle l'épilait poil après poil ? L'homme toussota comme pour appuyer son hypothétique autorité, et elle se rappela tout à coup qu'il venait de lui manquer de déférence, à elle.
- « Sans rire, il est dangereux mon chien ? Tu veux la manger, ma lame ? »
La seconde suivante, elle se désintéressait déjà du noble resté tout choqué – pas dit qu'il s'en remette – et sans prendre la peine d'observer l'effet improbable qu'avait pu avoir ses paroles, elle reprit sa marche en direction... Bonne question d'ailleurs. Ça ressemblait vaguement à un quai comme il y en avait dans les ports, sauf qu'en guise d'océan s'étalaient les plaines, et la brume. Sur l'esplanade de pierres et de pavés se bousculaient une foule diverse. La majorité semblaient riches, voir très riches. Des femmes en robes de soie et aux corsets serrés s'éventaient, la tête haute et le regard méprisant – surtout lorsqu'il se posait sur Mektild et Ordalie – et les hommes discutaient entre eux en se donnant un air important. Dans les coins d'ombre, des enfants en culottes courtes et aux genoux écorchés chargeaient des bagages plus lourds qu'eux dans les compartiments. C'était étrange, presque fascinant. Et si n'importe qui ce serait émerveillé de tant d'agitation, Mektild n'avait guère qu'une envie : en gifler un ou deux. Mais tout de même, vu de près, la locomotive l'appelait et la suppliait presque – à grand renforts de râles chauds – de monter à bord.
- « Je te parie qu'ils vont nous demander de l'argent, pour entrer ! Enfin pour toi je sais pas, t'es un chien... Dis, si tu veux m'apprendre à me changer en bouquetin, c'est le moment ou jamais hein... Parce que y'a du bétail, dans ce wagon-là, et les bestiaux n'ont pas l'air d'avoir à payer, eux... »
Oui et bien on ne peut pas avoir passer une semaine en mer à se battre contre les éléments et prétendre tenir un raisonnement cohérent une fois à terre...