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Arne ne lui fit même pas l'honneur de relever son regard méprisant, à son plus grand désarroi. Elle aurait bien aimé l'insulter encore un peu, ça l'aurait défoulée... enfin, ce serait pour la prochaine fois peut-être ? En attendant, elle était fatiguée de son voyage en barque, et elle aurait tué pour un vrai lit... et quand je dis qu'elle aurait tué, je pèse mes mots. Trempée des pieds à la tête, la jeune femme avisa l'assemblée qui les observait encore, silencieuse après l'apparition surprise de monsieur « je fais peur à tout l'monde ». Peut-être pourrait-elle faire du gringue à l'un d'entre eux et ainsi profiter d'une couche pour la nuit ? Elle avait entendu dire que les hommes d'ici étaient faciles, ça se tentait. Elle avait juste à choisir... Celui-ci ? Trop poilu... Celui-là ? Surtout pas, l'état de ses dents faisait peur à voir... Rien que l'idée d'avoir à l'embrasser lui donnait la nausée... Peut-être cet autre ? Ah, tiens, où est-ce qu'il était passé le chevreau roux ? Mektild pivota, furieuse de ne pas avoir remarqué sa disparition avant, mais ne le trouva pas parmi les badauds restés là. Et au final, ce fut le regard de quelques pirates mal lunés qui la renseigna sur la direction à vérifier. Ça alors ! Elle n'en revenait pas : Arne Urolf, le Huskarl bavard avait repris la mer ! Et ben c'est ça, qu'il retourne à son village repriser des bas. Non mais !
L'épée au fourreau et la hallebarde à la main, Mektild abandonna sa première idée, jugeant que les Balaïnois étaient décidément trop laids pour la mériter. À la place, elle quitta les pontons et s'enfonça dans les rues de la ville. Derrière elle se dessinait un sillage de flaques d'eau salées, si bien qu'il était facile de la suivre à la trace sans avoir à se fatiguer le moins du monde. Comme à Wingdrakk, les nuits ici étaient animées, presque autant que les jours. C'était amusant. Rassurant presque, même si la jeune femme n'avait aucun besoin de réconfort. Dans son village éloigné des côtes, elle se souvenait avec une pointe de mépris que passé le coucher du soleil – et avant pour certains – tout le monde était déjà couché... Comme des poules ! Et en parlant de poules, Mektild en croisa trois qui tapinaient devant une auberge miteuse. Pas le genre de bâtisse à attirer l'attention des grands nobles, mais étant donné son état de fatigue, elle n'allait pas cracher dessus. Elle entra sans frapper – pour quoi faire ? Et demanda une chambre. L'aubergiste la toisa des pieds à la tête, puis de la tête aux pieds – au cas où il aurait manqué quelque chose – avant de rétorquer que c'était payable d'avance. S'ensuivit aussitôt un marchandage animé, Mektild refusant de payer pour une chambre dont elle ne savait même pas si elle lui conviendrait, et l'homme arguant qu'il était hors de question de prendre le risque de la voir s'envoler le lendemain sans avoir payé son dû. Furieuse, la jeune femme planta sa hallebarde dans le comptoir, faisant éclater le bois sous le coup de la fureur.
- « Vous n'avez qu'à garder ça en guise de caution. Je vous paye demain si je n'ai pas été dévorée par les cafards, et ne vous avisez pas de tirer profit de cette arme pendant mon sommeil ! » cracha-t-elle.
La fissure dans la tablette du comptoir et la voix éraillée de Mektild fit le reste, et l'aubergiste fut convaincu, moyennant quelques difficultés à avaler sa salive après ça... La jeune femme monta à l'étage, satisfaite.
La chambre était petite, propre, et offrait une jolie vue sur le port. Effet indésirable cependant : le bruit ! Car on entendait les éclats de voix des marchands et les invitations mielleuses des filles d'en bas. Cependant, ça faisait l'affaire. La jeune femme déposa alors son épée courte et chaque pan de son armure sur un chevet trop petit, laissant le tout s'écrouler avec bruit, puis sortit. À la femme occupée à ramasser les chaussures devant chaque porte, elle ordonna presque de lui indiquer où se trouvaient les commodités et s'y rendit, suivant les explications vexées de l'employée. Ce n'était pas bien compliqué à trouver. Devant la pièce, une lessiveuse ressemblant étonnamment à un fût de bière, et quantités de seaux d'eau. Ah ! De l'eau claire ! Sans hésité, Mektild se débarrassa de ses vêtements sales, trempés et poisseux qu'elle jeta dans la grande bassine en bois pour la lessive, puis entra dans la pièce. Elle était minuscule, sans doute pour conserver un semblant de chaleur par temps froid, et un dallage de pierres couvrait le sol humide. Un tabouret en piteux état trônait au milieu, et deux seaux remplis d'eau douce l'attendait. Alors elle s'assit, et frotta comme une forcenée son corps rendu rêche par les vents marins, l'iode, le sable et la déshydratation. Tout juste s'il lui resta un morceau de savon dans la main lorsqu'elle eut terminé, tant elle l'usa à s'en arracher la peau. Elle prit tout son temps, s'attardant sur ses cheveux, jouant à se lustrer les cornes, sifflotant presque avant de se rincer enfin... et de sortir. Bien évidemment, elle n'avait aucun change... mais elle n'avait aucune pudeur non-plus ! De fait, elle regagna sa chambre tranquillement, déambulant entièrement nue dans les couloirs...!
Plusieurs servantes lui jetèrent des œillades effarouchées et une catin la dévisagea d'un air affreusement jaloux. Un homme lui adressa un sourire un peu trop large à son goût, avant de se raviser en croisant son regard assassin. Ces plusieurs semaines en mer avaient sculpté son corps déjà rudement musclé. Une ceinture abdominale dynamique, des épaules larges, des cuisses fermes... au premier abord, sa nudité complète prêtait effectivement à sourire... Mais à y regarder de plus près, on s'inquiétait d'un corps un peu trop athlétique pour une si jolie demoiselle. Les clichés ont la vie dure, que voulez-vous ! Et enfin, elle retrouva sa chambre, et la porte claqua derrière elle. Quelques secondes plus tard à peine, on frappa, ce qui provoqua un grognement de mécontentement chez Mektild. Elle alla ouvrir, bien déterminée à faire passer l'envie à cette bande d'imbéciles heureux de venir la déranger, mais à peine eut-elle le temps d'apercevoir à qui elle avait affaire qu'elle se retrouva avec une chemise de nuit entre les bras, et que la porte de sa chambre se referma aussitôt sur son nez. Bah ! Que des âmes chastes dans le coin !
La jeune femme enfila toutefois le vêtement si gracieusement imposé et s'écroula sur son lit, rompue par la fatigue. Et alors que le sommeil la gagnait, faisant fi du bruit et du froid de Brumaire, le visage enfoui dans les draps, elle constata mollement que jusqu'à son matelas, cette ville puait le poisson...