Atlas IV, avaries et crash
Les portes grincèrent, le mécanisme automatique malmené par les gestes furieux de l'amiral. Il avait les traits tirés par de trop longs jours sans sommeil et de trop longues heures de soucis. À ses côtés, un officier subalterne le suivait comme un petit chien penaud, navré d'avoir eu à réveiller son supérieur.
« J'espère pour vous que c'est important !
_ Amiral Lemiur, nous dérivons...
_ Allons bon, encore ?! »
Il jeta à peine un œil aux écrans de contrôle, avisant la planète qui se présentait à quelque distance. Une planète qui n'était pas supposée se trouver là, comme Corteth avant elle.
« Et vous m'appelez pour ça ? »
Le capitaine se leva de son poste de commandement et fit face. Il était blême, comme s'il avait vu un fantôme ou une armada de vaisseaux ennemis. Voir les deux, à en juger par son air déconfit. Il sembla hésiter un moment avant de prendre la parole, craignant une réaction violente et légitime de son supérieur.
« L'Atlas IV s'y dirige, Amiral.
_ Je n'me souviens pas avoir donner cet ordre ! Et qu'est-ce que vous faites planté devant moi ?! Reprenez votre poste, il ne va pas se naviguer tout seul, ce vaisseau !
_ Précisément Amiral, il navigue seul...
_ Vous vous foutez d'moi ?!! »
Mais au silence régnant dans le poste de pilotage, Onirie Lemiur devina que non. Il jeta un regard furieux en direction des machinistes dépêchés pour l'occasion et ne lut dans leurs regards qu'un affolement mal contenu. L'Atlas IV qui n'en faisait qu'à sa tête, il ne manquait plus que ça ! Jamais ils n'auraient dû laisser les autres races s'occuper des améliorations techniques de ce vaisseau ! Et surtout pas les Cortesians ! À coup sur, cette avarie était une de leur combine pour assouvir on ne savait lequel de leurs intérêts vicieux. La plaie ! En quelques enjambées, il se retrouva le nez collé aux écrans, les yeux allant d'un point lumineux à l'autre afin d'en déchiffrer la signification. Étoiles, champs d'astéroïdes, lunes, et là, une planète. Accueillante en apparence, elle n'était plus qu'effrayante à présent que leur vaisseau s'y dirigeait sans faire mine de ralentir.
« Vous avez coupé les moteurs ?
_ Nous avons essayé, mais nous n'avons plus aucun contrôle.
_ Et manuellement ? Vous avez essayé de couper le circuit d'alimentation ?
_ C'est que... l'attraction artificielle risque d'en pâtir...
_ Et que voulez-vous que ça m'fasse ? Vous ! Ordonna l'amiral en s'adressant aux machinistes. Allez m'arrêter ces foutus réacteurs, et j'veux pas savoir comment vous vous y prendrez ! »
Aussitôt ordonné, aussitôt obéit, et la présence courroucée de l'amiral transforma le poste de commandement en une ruche angoissée où les ouvrières volaient d'un écran à l'autre avec frénésie, comme si cela avait pu d'une quelconque manière s'avérer utile.
« Amiral Lemiur !
_ Quoi encore ?!!
_ Nous accélérons...
_ Nous quoi ? »
Il planta son regard rougi par la fatigue sur les cadrans avant de se ruer sur un panneau de secours. Ses codes confidentiels n'eurent aucun effet, autre que celui de faire accélérer encore l'Atlas IV. Comme s'il était animé d'une vie propre, il filait, s'engageant dans la ceinture d'astéroïdes sans le moindre contrôle. Les premiers impacts se firent à peine sentir, les boucliers résorbant les chocs efficacement, jusqu'à ce qu'une masse plus imposante que les autres ne l'entame sérieusement. À partir de cet instant, et comme dans une mauvaise série de science fiction, le vaisseau fut méchamment secoué et les avaries commencèrent à pleuvoir, inondant les écrans de contrôle d'alertes clignotantes. Les lumières s'éteignirent, trois secondes qui semblèrent une éternité, puis les néons de secours prirent le relais, lueurs bleues et timides dans les couloirs les plus empruntés. Nulle alerte ne retentit, inutile compte tenue des soubresauts subits et trop gourmande en énergie. Et dans les boyaux conduisant jusqu'aux générateurs, les machinistes n'avançaient plus qu'à tâtons, privés de lumière par l'Atlas capricieux. Il y eut un éclair violent, puis un silence sourd.
Dans le poste de commandement, les hommes battirent des paupières, surpris par la lueur blafarde. Aveugles de longues secondes, ils cherchaient à recouvrer ce sens si précieux et ce, le plus rapidement possible. Lorsque se fut le cas enfin, ils virent l'immense cabine baignée d'une blancheur crue. Les parois vibraient en émettant des ronflements lugubres, moins lugubres toutefois que le visage terrifié des hommes d'équipage. L'atmosphère de la planète semblait leur faire barrage, comme une menace sourde pour les empêcher de violer la tranquillité des Nideyliens.
« On s'écrase Amiral...
_ Merci, je m'en étais aperçu !!! Reprenez-moi le contrôle de ce vaisseau ! Nom de dieu, ils foutent quoi les machinistes ? »
Couvrant les aboiements peu constructifs d'un Amiral épuisé, les alarmes d'intégrité de la coque et des structures se mirent à émettre des « bip » particulièrement stressants dans tous les coins, et personne ne fut en mesure de gérer quoi que ce soit tant la panique était à son comble. L'Atlas IV qui se livrait à un genre de suicide, ça ne faisait pas partie des scenarii envisagés lors de leur formation à ce poste. Le voile blafard se leva soudain sur une vue des plus pénibles. Le sol, se rapprochant à une vitesse déplaisante. Puis ce fut l'hécatombe technique d'un revers de main : les écrans s'éteignirent, les lucioles bleutés des néons moururent, la litanie des alarmes se tut et tout le monde fut projeté en arrière lorsque l'attraction artificielle rendit l'âme à son tour. Le vrombissement des moteurs s'était dissipé, et ne se faisaient plus entendre que les sifflements du vent sur la coque endommagée. L'amiral Lemiur croyait rêver. Cauchemarder serait plus approprié. Les machinistes avaient tout coupé, y compris l'alimentation en oxygène. À la rigueur, il aurait préféré mourir écrasé en bas qu'étouffer lentement en voyant le sol se rapprocher.
« Ça revient !
_ Vu ! Hurla l'amiral en retrouvant un semblant d'équilibre. Réactivez les boucliers et les moteurs ! Arrêtez-moi ce foutu vaisseau !!! »
C'était comme être en selle sur un étalon sauvage et prier pour espérer s'en sortir vivant, sans contrôle sur la direction ou la manière dont vous serez jeté à terre... tout en sachant que c'est bien là que vous finirez ! Occupé à lancer la procédure d'urgence à grand renfort de codes confidentiels – certains programmeurs ayant décidément une drôle de définition de l'urgence – il vit du coin de l'œil plusieurs modules de secours crever la masse de nuages laiteux en direction de l'ouest. Bien. Au moins ils faisaient leur boulot, là-bas derrière. Ça ferait toujours ça qui survivrait. Le sillage irisé laissé derrière ces quelques échappées le renseigna sur le fonctionnement des boucliers. Opérationnels. Il ne manquait plus qu'à pousser les réacteurs pour reprendre de l'altitude et éviter le pire. Mais à mesure que la descente s'accélérait, les gestes, eux, se faisaient plus lents, moins efficaces, moins optimistes. L'équipage semblait céder au fatalisme, ce qui ne manqua pas de mettre l'amiral hors de lui plus qu'il ne l'était déjà. Ils en furent quitte pour une engueulade mémorable qui les extirpa malgré eux de leur torpeur jusqu'à les obliger à s'affairer d'avantage.
In extremis, le réacteur principal cracha toute la puissance encore présente dans le vaisseau. Il y eut un choc d'une violence inouïe qui démantela plusieurs grosses pièces de la coque. Au sol, Nideyle entière trembla comme si elle était prise de frissons, et sa fragile écorce céda à la pression phénoménale exercée par ce projectile insolite. Pulvérisés par le bouclier, les arbres et les mottes de terre se changèrent en sable, envoyant des gerbes de flammes et de cendres alentours dans un éclat de foudre assourdissant. Le sol s'enfonça sous le poids du vaisseau qui ricochait comme ces cailloux lancés à plein vitesse sur la surface cruelle d'un lac, provoquant un sillon circulaire aux dimensions démentes, cratère impensable au milieu des plaines. Des pans entiers de la coque se disloquèrent en gémissant, emportant avec eux les corps sans vie de ceux dont les quartiers cédaient. Durant une atroce seconde, le vaisseau se hissa à une centaine de mètres au dessus du sol calciné, ronflant sous l'effort des machines poussées bien au delà de leurs capacités.
Puis se fut le silence.
Lourd.
Brûlant.
Les mirages provoqués par les réacteurs s'étaient évanouis. Dans un dernier grognement, la colossale cité de métal vacilla avant de plonger irrémédiablement vers le sol, privée de ses réacteurs. La poussière et la cendre soulevées tourbillonnèrent au mouvement d'air provoqué par le déplacement de la masse immense, couvrant de moitié le spectacle désolant du vaisseau s'écroulant, vidé de ses forces. L'impact souleva plus qu'un nuage, un brouillard de braises et de débris, et s'enfonça comme un pan de montagne dans un marais, faisant trembler le sol sous son corps inerte.
L'Atlas IV, étoile filante, soleil déclinant, échoué sur Nideyle comme un oiseau mort.
Texte et idées par Seby.